Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun a pu se rendre compte combien mon collègue Philippe Marini, rapporteur général, était « comme un poisson dans l'eau » concernant les prélèvements obligatoires - je n'aurai certainement pas la même aisance - et en quelque sorte intarissable sur un sujet qu'il maîtrise parfaitement. Il représente, de ce fait, un redoutable débatteur pour les membres du Gouvernement ici présents, et je ne doute pas qu'il en sera de même dans un instant lorsque le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, s'exprimera après les deux rapporteurs.
J'ai noté avec satisfaction - mais ce n'est une surprise ni pour moi ni pour mes collègues - combien notre ministre des finances avait su choisir les mots qu'il fallait pour convaincre la Haute Assemblée de la nécessité de s'engager dans une réforme qui se traduise par des résultats significatifs en matière de prélèvements obligatoires.
J'ai également conscience, en ma qualité de rapporteur chargé des équilibres financiers de la loi de financement de la sécurité sociale, combien la commission des finances et le Gouvernement attendent de la commission des affaires sociales des orientations et des engagements qui puissent se concrétiser dans des résultats tangibles.
Il y a quelques instants, M. le ministre de la santé s'est exprimé sur le sujet et nous a redit dans quelle voie notre pays s'était engagé en ce qui concerne la réforme de l'assurance maladie, déclinant l'ensemble des pistes qui devraient se traduire, nous l'espérons, par des améliorations significatives.
Des premiers résultats ont déjà été constatés à la fin de l'année : M. Douste-Blazy a parlé des quatre derniers mois, période pendant laquelle nous avons pu assister à un très net ralentissement des dépenses. J'espère, comme M. le ministre de la santé, qu'il s'agit là non pas d'un simple impact psychologique de la part de nos concitoyens au regard de la réforme, mais que ce ralentissement de la dépense sera pérenne et qu'il ira même en s'accentuant.
De la sorte, l'effort effectué par le budget de l'Etat au travers des prélèvements obligatoires dans le cadre des prélèvements fiscaux sera accompagné d'un ralentissement - donc d'une progression a minima - des cotisations sociales, étant donné que certains éléments incontournables évoqués par Philippe Douste-Blazy et rappelés à l'instant par Philippe Marini nous laissent à penser qu'il y aura une progression globale des dépenses de santé. L'important est que celles-ci soient contenues à un niveau supportable par nos concitoyens au regard de leurs capacités de financement.
Je ne répéterai pas tout ce qui a été excellemment dit à la fois par MM. les ministres et par notre rapporteur général. Il a été rappelé tout à l'heure que les organismes sociaux bénéficient de 50 % des prélèvements, soit 340 milliards d'euros - cette somme a été avancée par le ministre de la santé lui-même - ce qui représente le cinquième de la richesse nationale.
Il y a donc lieu de se poser la question de savoir comment soutenir à long terme l'évolution constatée sur les vingt dernières années. Au cours de cette période, le budget de l'Etat a réduit les prélèvements qui lui sont affectés, mais il a dans le même temps gonflé son déficit dans des proportions inquiétantes.
La maîtrise des prélèvements obligatoires doit désormais, mes chers collègues, prendre en compte cette équation qui impose que chaque augmentation de prélèvements obligatoires doit être compensée par la diminution d'autres impôts.
Le rapport du Gouvernement sur l'évolution des prélèvements montre bien la difficulté qu'il y a à baisser désormais le niveau de l'impôt. Ainsi, pour compenser 6, 5 milliards d'euros de prélèvements sociaux nouveaux, il faut afficher un montant presque équivalent de réductions d'impôts par ailleurs.
Je formulerai maintenant quelques observations sur la réforme des cotisations sociales, à partir d'une mise en perspective historique.
En 1992, vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues, le Gouvernement avait commandé au Commissariat général du Plan un rapport sur les perspectives de financement de la protection sociale. Ce rapport concluait qu'il n'existait pas d'« assiette miracle » et insistait sur la nécessité de maîtriser les dépenses. Il suggérait également de clarifier le lien entre prestations et cotisations, d'élargir l'assiette des financements, de taxer les comportements à risque et, enfin, d'alléger la charge pesant sur le travail faiblement rémunéré.
Qu'en est-il aujourd'hui et quelles suites ont-elles été données à ce rapport ?
Avec le recul, j'observe que l'ensemble des réformes qui ont été mises en oeuvre au cours de la décennie passée a répondu au moins pour partie à ces objectifs.
C'est le cas, d'abord, en matière de financement du non- contributif par la solidarité nationale. Si Edouard Balladur, lorsqu'il était Premier ministre, a créé le Fonds de solidarité vieillesse, c'était précisément pour modifier la répartition du poids de ces dépenses entre solidarité nationale et cotisations.
C'est le même objectif qui a motivé, ces deux dernières années - et cela a fait l'objet de longs débats au sein de la Haute Assemblée, lors de la discussion des projets de loi de financement de la sécurité sociale et des projets de loi de finances -, l'augmentation de la fiscalité du tabac, qu'a évoquée Philippe Douste-Blazy voilà un instant, la majoration de la CSG et les allégements de cotisations pesant sur les bas salaires. Ce mouvement, qui avait commencé avec Alain Juppé, a été poursuivi.
Seule la maîtrise des dépenses est demeurée hors de portée, je pense que nous pouvons tous en convenir.
Dans la perspective d'un élargissement de la part patronale du financement de la protection sociale, le plan Juppé proposait, pour sa part, d'étudier la piste d'un élargissement de l'assiette des cotisations à la valeur ajoutée produite par l'entreprise.
Le Gouvernement issu des urnes en 1997 demanda un complément d'expertise à M. Edmond Malinvaud. Le rapport de celui-ci aboutit à une mise en garde : l'augmentation théorique de l'assiette risquait de se révéler finalement contre-productive en raison du caractère manipulable de la notion de valeur ajoutée. Ce basculement risquait en outre de provoquer des transferts de charges massifs entre les différents secteurs d'activité. Enfin, le partage de la valeur ajoutée entre la rémunération du capital et celle du travail étant stable à long terme, un changement d'assiette des cotisations patronales n'aurait pas remplacé la masse salariale par une base beaucoup plus dynamique.
La réflexion théorique sur cette question ne fut donc pas tranchée et aucune réforme ne fut engagée durant cette période, mais les mesures d'exonération et d'allégement de charges se sont multipliées pour atteindre plus de 9 % du montant des cotisations encaissées en 2003. Ces mesures constituent, je pense que vous en conviendrez avec moi, une véritable réforme des cotisations sociales patronales.
Finalement, les pouvoirs publics ont atteint l'objectif initialement fixé à une réforme des cotisations sociales patronales : asseoir la fraction du financement de la protection sociale sur une base plus favorable à l'emploi des moins qualifiés.
Pour autant, l'annonce médiatisée de plans de licenciements et l'engagement de procédures de délocalisation ont jeté le doute sur l'efficacité de cette mesure et remis à l'ordre du jour une solution écartée par le passé, mais que M. le rapporteur général vient de développer, après M. le ministre des finances : la substitution - chère à M Arthuis - d'une TVA dite « sociale » ou de « compétitivité » aux cotisations patronales.
La commission des affaires sociales s'est bien entendu interrogée sur la pertinence de cette substitution. Je prends le risque d'aborder le sujet au-delà de ce qu'en ont dit M. le ministre des finances et M. le rapporteur général.
Des auditions auxquelles j'ai procédées, j'ai retenu que le droit communautaire encadrait strictement la fiscalité pesant sur les prix des produits, et Marie-Thérèse Hermange, ancien député européen, qui est parmi nous cet après-midi, pourrait confirmer mes propos.
La TVA est régie par une série de directives qui fixent un plafond et un plancher différents selon les catégories de produits. La France pratique trois taux, 19, 6 %, 5, 5 % et 2, 1 %. Elle pourrait, à l'extrême, les porter à 25 %, c'est-à-dire le plafond européen admissible, mais elle ne pourrait pas, sans méconnaître les règles communautaires, créer une «TVA additionnelle » affectée aux régimes sociaux.
Dans quelle mesure une telle substitution serait-elle réalisable ?
Nul ne remet sérieusement en question les cotisations d'assurance vieillesse ou de chômage, dont le caractère contributif est la raison d'être.
Du reste, la proposition d'un basculement total des cotisations sociales patronales serait hors de proportion en raison du montant en cause : 178 milliards d'euros, contre 110 milliards d'euros pour la totalité du produit actuel de la TVA.
En revanche, a été évoquée - mais pas par la commission des finances, j'en conviens - la suppression des cotisations d'assurance maladie et des cotisations familiales, qui s'élèvent tout de même à 90 milliards d'euros, soit 80 % du produit de la TVA. M. le rapporteur général a d'ailleurs fait référence à un basculement - cela fait partie des points à étudier - de 60 % des cotisations familiales sur la TVA, ce qui allégerait d'autant la part des cotisations que supportent les entreprises. Il a cependant ajouté qu'il fallait mesurer les éventuels effets pervers de l'adoption de cette mesure, notamment son caractère peut-être inflationniste, et prendre en compte les conséquences qu'elle pourrait avoir sur le climat social des entreprises.
Je n'apprendrai rien aux membres de la commission des finances en rappelant qu'un point de taux normal de TVA représente 5, 5 milliards d'euros et un point de taux réduit, 2, 1 milliards d'euros. Chacun peut donc mesurer l'ampleur de la hausse du taux qui serait nécessaire à la substitution en cas de basculement de la totalité des cotisations sociales patronales pour le financement de l'ensemble des branches.
En réalité, hors la question du montant, la commission des affaires sociales a estimé que les conditions d'ajustement d'une telle mesure étaient d'une grande complexité.
Le scénario vertueux suppose une répercussion intégrale de la suppression des cotisations patronales sur les prix hors taxes. Dans l'hypothèse inverse, on devrait s'attendre à un fort effet inflationniste résultant de l'augmentation du taux sur un prix hors taxes inchangé, les entreprises préférant améliorer leur marge plutôt que leur compétitivité.
Comment présumer d'un comportement qui relève a priori d'une stratégie variable d'un marché à l'autre ? Il me semble en effet très inquiétant que les conditions d'ajustement d'une telle substitution échappent ainsi aux pouvoirs publics.
Ces conditions dépendent en fait de la qualité du débat social et de la faculté des pouvoirs publics de négocier avec les organisations syndicales pour que l'augmentation des prix à la consommation, notamment des prix importés, ne se traduise pas par des revendications salariales. Les traditions sociales de notre pays ont certes leurs mérites, mais rendent peu problable la réalisation d'un fort consensus social comme en connaissent les pays scandinaves, auxquels Philippe Marini a fait référence.
Par ailleurs, selon les informations qui m'ont été transmises, une telle substitution aurait aussi ses « perdants ».
Il s'agit, en premier lieu, des bénéficiaires d'allégements de cotisations, soit parce qu'ils perdraient un avantage absolu - dans les zones franches urbaines, par exemple - soit parce que cette mesure ne se traduirait pas par un avantage dynamique vis-à-vis de leurs concurrents extérieurs.