Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, l'expression d'« ardeur au travail » a pris une connotation vieillotte, car un basculement s'est produit dans notre pays.
Cette ardeur s'est progressivement éteinte en raison de la réduction du temps de travail, de l'accroissement de la précarité de l'emploi, qui découple qualité professionnelle et stabilité, et du sentiment que le fait de travailler plus n'assure pas forcément un avenir meilleur à ses enfants.
Comment redonner envie de travailler alors qu'en 2003 l'Etat a payé 10 milliards d'euros pour que les Français travaillent moins ?
La disparition de cette ardeur au travail est aussi largement imputable à une pression fiscale que les particuliers et les entreprises considèrent comme prédatrice. Je rappelle que la France se situe, dans l'Union européenne, entre le neuvième et le onzième rang en termes de salaire net et que son barème de l'impôt sur le revenu, plus progressif que celui de ses partenaires européens, n'incite pas à rester dans notre pays pour travailler.
Dans ce débat sur l'évolution des prélèvements obligatoires, il ne faut pas se payer de mots, alors même qu'une augmentation de 0, 2 % est prévue entre 2004 et 2005.
S'interroger sur l'évolution des prélèvements obligatoires, c'est poser en même temps la question de la compétitivité de nos entreprises et celle de l'attractivité de la France, c'est mettre en lumière le paradoxe suivant : troisième pays au monde de destination des investissements industriels, avec 47 milliards d'euros d'investissements qui participent à nos 2, 6 % de croissance, la France a des difficultés à retenir ses propres entrepreneurs sur son sol et à transformer cette croissance en emplois.
La fiscalité devrait être un outil de stimulation de la création de richesse en résolvant deux problèmes : tout d'abord, faire baisser notre taux de chômage, qui s'élève aujourd'hui à 10 % - taux supérieur à la moyenne communautaire -, et ce en corrélation avec une réduction des charges fiscales, mais aussi et peut-être surtout administratives, qui pèsent sur les entreprises ; ensuite, résorber le déficit budgétaire de la France, en diminution certes, mais dont le montant - 45 milliards d'euros - constitue une charge intenable pour notre économie et nos contribuables et nuit à notre crédibilité européenne. Une fiscalité juste et performante doit optimiser la perception et l'utilisation de ces prélèvements.
Mettre la fiscalité au service de l'emploi et de la croissance, c'est avant tout poursuivre la réduction des charges. Je me concentrerai donc sur l'impôt sur les sociétés, avant d'aborder rapidement l'idée d'une TVA sociale.
Avec 35, 4 % pour une moyenne communautaire de 29, 8 %, la France a le taux nominal marginal d'impôt sur les sociétés le plus élevé de l'Union européenne. Ce taux a augmenté de 2, 1 % entre 1995 et 2003, alors qu'il a baissé en moyenne de 5, 3 %, durant cette même période, chez nos partenaires de l'Union !
Réduire l'impôt sur les sociétés est bien sûr un élément important pour la compétitivité de nos entreprises, confrontées à la tentation de la délocalisation : rappelons que le nombre de nos partenaires européens les plus réticents devant l'harmonisation fiscale a augmenté, plusieurs nouveaux membres de l'Union pratiquant un dumping fiscal, avec des taux d'impôt sur les sociétés oscillant entre 0 % et 20 %.
Deux orientations, parfaitement complémentaires, sont envisageables.
Au niveau communautaire, l'idée d'une coopération renforcée pour harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés avait été envisagée. Les tenants du dumping fiscal ont obtenu le maintien dans la future Constitution européenne de la règle de l'unanimité en matière de fiscalité. Doit-on pour autant renoncer ? Le Gouvernement est-il prêt à défendre l'idée d'une coopération renforcée en matière fiscale auprès de la nouvelle Commission ?
Au niveau national, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit une baisse de l'impôt sur les sociétés, dont le taux serait ramené à 33, 3 %, ce que je salue. Néanmoins, il faut ici plus qu'une mesure ponctuelle. Ce dont nos entreprises ont besoin, c'est un cadre fiscal prévisible et encourageant. Leur compétitivité peut-elle être durable si notre taux d'impôt sur les sociétés reste structurellement au-dessus de la moyenne communautaire ?
Dans ces conditions, le Gouvernement est-il prêt à s'engager à ramener d'ici la fin de la législature notre taux d'impôt sur les sociétés sous la barre des 30 %, pour le rapprocher de la moyenne communautaire ?
Cette baisse nécessaire, ajoutée à la simplification administrative et à la réforme du régime d'imposition des plus-values, permettra de renforcer l'attractivité de notre territoire. C'est en effet tout l'environnement administratif qui doit être revu et allégé en faveur des entreprises.
Ne les pénalisons pas dès le départ, ne leur infligeons pas ce qu'elles ressentent comme une sanction préalable. Au contraire, facilitons leur bonne gouvernance et allégeons leurs contraintes en amont afin qu'elles dégagent plus de bénéfices en aval, bénéfices dont la taxation, même moins élevée, générerait davantage de recettes pour l'Etat. Il faut répéter que nos entreprises, les PME et l'artisanat en particulier, sont les seuls gisements d'emplois existants. Notre droit doit aider à préserver l'emploi et non intervenir une fois que les licenciements sont effectués.
L'enjeu est majeur : donner envie aux entreprises d'investir et donner aux Français envie de travailler, de retravailler ou de faire travailler.
Par ailleurs, notre commission des finances a réfléchi à l'instauration d'une « TVA sociale », qui rendrait nos prix plus concurrentiels. Cette idée a été brillamment défendue par M. le président de la commission des finances, Jean Arthuis, et par M. le rapporteur général. C'est une idée simple, de bon sens, qui traduit la volonté de soutenir nos entreprises face à la concurrence internationale en baissant leurs charges. Elle a été développée avec une juste conviction, et je n'y reviendrai pas.
Pour pouvoir revenir à une fiscalité plus optimale et moins contraignante, il faut aussi aborder la question de l'efficacité et de la justice des prélèvements. C'est en ces termes que se pose la question des niches fiscale, de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, et de la fiscalité locale.
J'évoquerai tout d'abord les 50 milliards de « niches fiscales », c'est-à-dire de dérogations : cette obligation de créer des exceptions à hauteur d'un tel montant démontre combien notre système fiscal est mauvais.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quelles mesures comptez-vous prendre pour supprimer les causes de ces niches fiscales ?
S'agissant de l'ISF, l'idéologie doit laisser place au pragmatisme et à l'efficacité. On comprend qu'il soit insupportable pour les 2, 4 millions de chômeurs ou les presque 1, 2 millions de RMlstes que l'on puisse débattre de sa modification, voire de sa suppression, mais il s'agit d'éviter que, chaque année, 400 contribuables environ quittent la France vers des pays à la fiscalité plus clémente et plus dynamisante.
Au-delà de l'aspect idéologique, voire moral, de cet impôt, interrogeons-nous en termes d'intérêt économique pour le pays : 1 % du total des assujettis à l'ISF, c'est peu, mais le profil de ces exilés volontaires est inquiétant pour nos entreprises, car ce sont des investisseurs et des entrepreneurs créateurs d'emplois.
Selon notre rapporteur général, le montant des capitaux ainsi délocalisés se situent dans une fourchette allant de 10 millliards à 15 milliards d'euros entre 1997 et 2001. Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous confirmer et préciser ce chiffre ? Pouvez-vous, d'autre part, évaluer l'impact économique du départ de ces redevables à l'ISF sur les PME françaises et donc sur le nombre d'emplois perdus, c'est-à-dire le nombre de chômeurs ou de RMIstes supplémentaires ?
L'ISF n'existe plus que dans cinq Etats de l'Union européenne. Ces dix dernières années, quatre pays l'ont supprimé. Il ne se pratique chez aucun de nos grands partenaires européens dont les économies sont comparables à la nôtre et qui sont membres du G8 : ni en Allemagne, ni au Royaume-Uni, ni en Italie. L'Espagne, la Finlande, le Luxembourg et la Suède appliquent certes cet impôt, mais leurs économies ont des caractéristiques différentes.
Pourtant, le Gouvernement n'envisage pas de grand ébranlement de l'ISF dans le projet de loi de finances pour 2005.
Pourquoi ce qui est jugé mauvais dans ces trois pays concurrents pour les investissements et pour nos entreprises serait-il bon en France ?
A la suite d'une décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe de 1995, l'Allemagne a mis fin en 1997 à son équivalent de l'ISF. L'impôt devant être assis sur la faculté contributive des contribuables, attendrez-vous que soit déclaré illégal le prélèvement de l'impôt sur la fortune sur un bien qui n'engendre pas de revenu, comme une résidence principale, par exemple ?
Il faut, bien sûr, prendre en compte l'état d'inquiétude, parfois de désespérance de ceux qui sont en situation précaire, mais il faut aussi être motivé par l'intérêt général.
Enfin, la fiscalité locale n'est pas assez lisible dans les grands discours sur la décentralisation. Un récent rapport du collectif Economistes pour l'action politique, le CEPAP, a ainsi révélé que, entre réductions fiscales et prélèvements, les particuliers paieraient davantage d'impôts. Le solde serait négatif d'environ 1, 6 milliards d'euros depuis 2002, en raison notamment d'une augmentation des impôts locaux de plus de 3, 5 milliards en trois ans.
Si M. le ministre d'Etat était présent, je lui dirais ceci : « Monsieur le ministre, vous allez quitter votre ministère. J'aurais souhaité que vous eussiez eu le temps d'y montrer le même pragmatisme qu'au ministère de l'intérieur. Avant de partir, mettez donc en place des mesures qui, à moyen terme, atténueront, puis supprimeront nos paradoxes. Notre pays est l'un des plus imposés et pourtant celui où le rendement de l'impôt est le plus mauvais. Optimisez ce rendement et, mécaniquement, les impôts baisseront ! C'est le meilleur souvenir que vous pourrez laisser de votre passage à ce ministère. »