Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 10 novembre 2004 à 15h00
Prélèvements obligatoires — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet :

Madame la présidente, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, ce débat sur les prélèvements obligatoires nous donne l'occasion d'une approche globale de la politique. C'est en définitive suffisamment rare au Parlement pour ne pas s'en réjouir.

Cela est d'autant plus vrai que nos rapporteurs, en particulier M. le rapporteur général, ont élevé le débat en formulant des propositions d'ensemble qui méritent naturellement - les échanges de cet après-midi en témoignent - un approfondissement.

Dans votre intervention liminaire, monsieur le rapporteur général, vous avez dit que, au fond, l'étude de la structure des prélèvements obligatoires permettait d'avoir une vision globale du poids de l'Etat. En vérité, ce qui se dessine à travers cette étude, c'est une vision globale de nos décisions politiques telles qu'elles se sont sédimentées au cours des décennies, voire, à certains égards, au cours des siècles.

Mon intervention portera sur deux points très différents.

Je soulignerai d'abord l'importance de ce débat, qui nous donne l'occasion d'élaborer une réflexion d'ensemble sur notre société et sur la forme que l'action publique et la solidarité entre les catégories de Français, d'une part, et les générations, d'autre part, peuvent prendre.

J'illustrerai ensuite mon propos par un exemple tiré de votre rapport, monsieur le rapporteur général, concernant non pas la TVA sociale, mais les biocarburants.

Le niveau des prélèvements obligatoires correspond assurément à une vision politique de ce qu'un pays souhaite se donner comme modèle social. Cela est particulièrement vrai du taux global, et je crois me souvenir que l'on prêtait au président Pompidou la définition suivante d'un pays socialiste : c'est un pays où le taux des prélèvements publics dépasse un certain pourcentage - seuil qui est d'ailleurs franchi depuis très longtemps chez nous. A cet égard, il faut reconnaître que la France a été un peu socialiste ces dernières années et qu'elle a parfois du mal à cesser de l'être...

Plus intéressante est la question de la structure de ces prélèvements et des rôles respectifs, pour une fois confrontés, de l'Etat, des collectivités territoriales et des organismes mettant en oeuvre la solidarité sociale sous toutes ses formes. En effet, pour un taux de prélèvement global donné, lequel n'a qu'une valeur indicative insuffisante, la forme de la démocratie différera selon la répartition des rôles entre ces trois agents. Nous aurions d'ailleurs pu avoir ce débat lors de l'examen d'un texte de décentralisation.

A cet instant, je vous livrerai une anecdote personnelle, mes chers collègues. Ma dernière fille est entrée en classe de terminale cette année, où elle fait de l'économie. On lui a demandé si les prélèvements publics augmentaient ou diminuaient. Elle devait à la fois commenter la diminution des prélèvements de l'Etat et constater que les prélèvements sociaux augmentent, ce qui est une réalité, comme l'a parfaitement démontré dans son rapport M. Marini.

Je voudrais souligner qu'il est également intéressant de distinguer, dans cette problématique des prélèvements obligatoires, ce que j'appellerai les supports. Qui paie ? Il n'est pas si facile de répondre à cette question, qui se trouve au coeur du débat ouvert par M. Jean Arthuis. C'est là notre conception de la démocratie qui est en jeu.

Certes, il y a les producteurs, les consommateurs et les épargnants, mais il est évident qu'ils peuvent être différemment affectés par l'assiette des prélèvements obligatoires.

A cet égard, on voit bien, et ce point fait toute la force du raisonnement de M. Jean Arthuis, que l'on ne peut négliger l'existence d'une différence fondamentale entre le consommateur et le producteur : ce dernier évolue, dans l'immense majorité des cas, dans un espace ouvert. Aujourd'hui, l'ouverture des frontières l'empêche de répercuter la charge des prélèvements, ce qui a longtemps été le cas. Sur ce plan, le rapport Arthuis de 1992 était prémonitoire, hélas ! s'agissant du risque de délocalisation. Votre seul tort, monsieur le président de la commission des finances, est d'avoir prévu avec quelques années d'avance leur caractère massif.

Quant à l'épargne - je préfère pour ma part parler d'épargne plutôt que de capital, car, pour constituer un capital, il faut commencer par épargner -, elle représente une troisième source à côté de la consommation et de la production. Dans un pays où la fortune est taxée lors de son acquisition, lors de sa transmission et lors de la réalisation de la plus-value, les épargnants ont d'ailleurs quelque mérite à persévérer ! L'épargne présente la caractéristique d'être mobile, et cela vaut non seulement pour les grandes fortunes, mais aussi pour les mutualistes de la Préfon, qui gèrent leurs avoirs avec le même réalisme que n'importe quel gestionnaire de fonds de pension de veuves écossaises ou de fonctionnaires californiens.

En ce qui concerne la paix sociale en France, on a cité tout à l'heure M. Camdessus, selon lequel notre pays se trouverait sous anesthésie. Or l'inflation a constitué, dans le passé, une forme d'anesthésie. Au fond, producteurs et consommateurs jouaient alors à se « refiler le bébé », et c'était en définitive l'épargnant qui payait puisque l'inflation rognait ce qu'il avait pu économiser.

Je voudrais conclure mon propos sur ce premier point par une ultime remarque sur le cheminement des prélèvements obligatoires.

En effet, la complexité du système est d'autant plus grande que l'Etat s'est donné pour rôle de priver les collectivités territoriales de certaines recettes, à charge de compensation. Le budget de l'Etat est donc lourd de transferts qu'il a décidés lui-même en privant les collectivités locales d'une liberté à laquelle elles faisaient face avec un certain esprit de responsabilité, rappelées qu'elles sont à la raison par des électeurs qui sont plus proches d'elles, au quotidien, que le ministre chargé du budget...

En abordant maintenant le second point de mon intervention, je m'adresserai plus particulièrement à M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire, qui nous fait l'honneur non pas de sa présence, car elle est tout à fait normale, mais de son écoute attentive, sur un sujet qu'il connaît bien pour avoir exercé des responsabilités éminentes dans le domaine des transports.

M. le rapporteur général a évoqué avec une très grande pertinence la fiscalité des biocarburants. Ce thème est au coeur de notre débat puisque, cet été, le « plan climat » a été présenté par le ministre de l'environnement, M. Lepeltier, qui a annoncé un décuplement- d'ici à 2010, rassurons-nous ! - de l'utilisation des biocarburants, tandis que M. le Premier ministre, au cours d'un intéressant discours prononcé à Venette, a prévu, plus modestement, le triplement, mais d'ici à 2007, si ma mémoire est bonne, des volumes de biocarburants incorporés à l'essence ou au gazole. Enfin, l'Assemblée nationale, influencée sans doute par le rapport Marleix, a décidé d'accroître les quotas d'exonération partielle de TIPP pour les biocarburants.

A l'écoute de ces annonces, on se dit que le sujet intéresse et que le contexte est très favorable. Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, il existe un problème de fond, que ce débat sur les prélèvements obligatoires, envisagés à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif, nous donne l'occasion de soulever : que s'agit-il de sanctionner ou, plus exactement, de frapper lorsque l'on opère un prélèvement sur les biocarburants ? S'agit-il de frapper les transports ou de frapper les énergies fossiles ? Ce n'est pas tout à fait la même chose !

Certes, la TIPP a pour objet de frapper les énergies fossiles. Elle a été d'ailleurs conçue par l'un de mes prédécesseurs en tant que sénateur de la Meuse. C'est en 1926 que les grandes lois pétrolières françaises ont été élaborées, et, dans leur sillage, s'est mise en place une fiscalité dérogatoire qui s'est alourdie progressivement. Or on en arrive à la situation suivante : on veut frapper les énergies fossiles, mais en réalité on frappe les transports, ou plus exactement un mode de transport particulier - les véhicules mus par un moteur thermique à usage individuel -, le seul auquel peuvent recourir un très grand nombre de nos compatriotes, notamment ceux qui vivent dans le monde rural, dans les petites villes ou les villes moyennes, qui ne peuvent accéder à des moyens de transport collectifs utilisant d'autres types d'énergie, par exemple l'électricité.

Ma question sera donc la suivante, monsieur le secrétaire d'Etat : lorsque vous évoquez une aide aux biocarburants, ne serait-il pas plus prospectif de vous demander ce qu'il convient de frapper, les transports ou les énergies fossiles ?

S'il s'agit de frapper les transports, il faut aussi taxer les véhicules fonctionnant à l'énergie électrique dès lors que la source sera embarquée ! Dans ce cas, évidemment, vous découragerez toute innovation en matière de véhicules électriques, alors que, on le mesure bien aujourd'hui, l'électricité sera sans doute une énergie facilement utilisable dans le secteur des transports d'ici à quelques années, au moins dans l'espace urbain.

Si, au contraire, vous décidez une bonne fois pour toutes qu'il s'agit de frapper les énergies fossiles, alors il ne faut pas frapper les biocarburants, qui ne sont nullement d'origine fossile.

La vérité est entre ces deux options : l'importance de la TIPP ne permet pas de basculer d'un système à l'autre. Cependant, ce n'est pas parce que l'on ne peut pas faire tout, tout de suite, qu'il n'est pas possible de fixer une ligne directrice de bon sens sur le long terme. Ce que je reproche, en l'espèce, aux prélèvements, c'est d'interdire l'émergence d'une filière industrielle viable, faute de signaux stables indiquant la volonté de la collectivité.

En effet, en matière de prélèvements, je ne partage pas l'idée selon laquelle ils seraient nécessairement mauvais. La France peut et doit avoir des projets collectifs, et la force de l'Etat, des collectivités territoriales ou des systèmes sociaux, en tout cas la force de la décision politique, c'est justement d'indiquer, à un moment donné, que, le jeu en valant la chandelle, nous acceptons de consentir un effort particulier. Encore faut-il savoir quelle est l'orientation que la collectivité entend retenir.

Or, au travers de ce débat sur les prélèvements obligatoires, grâce à l'éclairage apporté par M. le rapporteur général sur la fiscalité des biocarburants, nous avons vraiment le sentiment que, à vouloir faire plaisir sans risque et sans fixer d'objectifs à long terme, c'est-à-dire sans décider si les biocarburants constituent un intrant d'un moyen de transport ou s'ils sont un avatar des énergies fossiles, nous risquons d'empêcher la constitution d'une véritable filière agro-industrielle dont notre pays a pourtant besoin et pourrait tirer, au sein d'un espace européen solidaire, le meilleur profit.

Tel est le sens de mon intervention, monsieur le secrétaire d'Etat, dans le cadre de ce débat sur les prélèvements obligatoires par lequel vous donnez à un sénateur l'occasion de pouvoir enfin s'exprimer sur un sujet général !

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