Intervention de Christian Gaudin

Réunion du 10 novembre 2004 à 15h00
Prélèvements obligatoires — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Christian GaudinChristian Gaudin :

Madame la présidente, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, ce troisième débat sur les prélèvements obligatoires s'inscrit dans le droit fil d'une réflexion de fond de plusieurs années sur notre système fiscal, considéré en relation avec l'attrait que présente notre territoire pour l'investissement.

En 2000, la commission des finances du Sénat avait mis en place une mission d'étude présidée par notre collègue Denis Badré sur l'ensemble des questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises. Ses conclusions, exposées dans un rapport publié en juin 2001, étaient claires : le phénomène d'expatriation est bel et bien réel, il est nécessaire d'en tirer profit par l'ouverture de notre pays sur l'extérieur et par une politique globale, cohérente et volontaire, visant à redonner du dynamisme et de l'attrait à notre territoire.

Entre-temps, la situation s'est fortement dégradée.

En effet, voilà un an, la commission des affaires économiques m'avait chargé de présider un groupe de travail sur la délocalisation des industries de main-d'oeuvre. Six mois d'un travail passionnant nous ont permis de confronter les avis et opinions de près de deux cents spécialistes, économistes, industriels, syndicalistes... Le rapport que nous avons établi, présenté par M. Francis Grignon et adopté en juin dernier par la commission, dresse un constat nuancé de la situation et contient plusieurs propositions pour éviter les délocalisations injustifiées.

Ce n'est pas mon propos aujourd'hui d'évoquer toutes ces pistes. Je veux simplement m'arrêter à celle qui paraît la plus intéressante au regard de la problématique : le transfert sur la richesse consommée d'une partie des charges sociales pesant sur le travail, au travers d'une « TVA de compétitivité », dont l'objectif est clairement affiché à travers cette dénomination. Cela est, bien entendu, à rapprocher de la TVA sociale que Jean Arthuis avait imaginée dès 1993.

Nombreux sont les facteurs concourant aux délocalisations ; parmi eux, figurent les coûts de production, en particulier le coût du travail. Vous avez d'ailleurs rappelé dans votre rapport d'information, monsieur le rapporteur général, que ces coûts étaient très élevés en France en raison du poids des prélèvements sociaux, lesquels sont eux-mêmes largement assis sur le travail.

Le financement de notre protection sociale est en effet l'héritage d'un modèle qui, lors de sa création, il y a cinquante ans, alliait nécessité pratique - le facteur travail était le plus abondant -, souci de paritarisme et logique de principe ; les risques à couvrir concernaient principalement l'activité professionnelle : accidents du travail, chômage, retraite.

Aujourd'hui, tout indique que ce système a atteint ses limites. Les déficits abyssaux de la branche maladie et de l'UNEDIC, tout comme les besoins annoncés des régimes de retraite, ont déjà conduit à enfoncer un coin dans la logique d'assurance en y introduisant, par l'impôt, un principe de solidarité.

Dans le même temps, la prise en compte de la nécessaire compétitivité des entreprises a favorisé la multiplication des régimes dérogatoires, permettant d'exempter tout ou partie des charges sociales pesant sur les bas salaires.

Dans ce contexte, seule une transformation radicale des modalités selon lesquelles sont opérés nos prélèvements sociaux semble à même de permettre de dégager les marges de manoeuvre dont nous avons grand besoin.

Nous sommes en effet confrontés à une double contrainte.

D'une part, beaucoup en conviennent, mais la commission des affaires économiques a estimé nécessaire de le rappeler, on ne luttera pas contre la concurrence des pays émergents en déchirant notre filet de protection sociale ou en renonçant à nos standards socioculturels. Je pense, par exemple, à la préoccupation environnementale ou aux services publics. Dans ces conditions, il est inutile d'évoquer des baisses drastiques de salaires, de la fiscalité ou des normes protectrices : notre société n'accepterait pas ce nivellement par le bas.

D'autre part, les politiques d'opportunités fiscales ou sociales, temporaires ou permanentes, se heurtent désormais à une triple limite.

D'abord, on ne le dit pas assez, ces politiques génèrent de la complexité. Or celle-ci a un coût et elle contribue à entretenir un climat général préjudiciable à la marche des affaires. En outre, on le sait, cette complexité est difficilement gérée par les PME et les PMI, vers lesquelles, pourtant, nos efforts doivent tendre sans relâche.

Ensuite, pour être réellement discriminantes, ces politiques doivent être géographiquement ou sectoriellement limitées. Or la concurrence provient aussi de l'extérieur : c'est la fameuse « échelle de perroquet ». Les Etats, chacun à leur tour, organisent, pour une branche, une région ou une période déterminées, un dispositif fiscal ou social attractif ; puis, celui-ci est dépassé par un autre... A bien des égards, cette méthode provoque les comportements de prédateurs ou de « chasseurs de dot » si justement honnis.

Enfin, la dernière limite est bien évidemment celle que posent les déficits publics. Le jeu des exonérations, des niches fiscales, des écrêtements, etc. pèse lourd sur le budget de l'Etat, pour une utilité marginale qui n'est même pas, du reste, toujours évidente.

Face à ce constat, la TVA de compétitivité ouvre de très intéressantes perspectives.

Elle contribue à faire diminuer le coût du travail sans altérer le socle de protection sociale auquel tiennent légitimement nos concitoyens. Je dirai même qu'elle peut garantir à nos régimes sociaux la pérennité de ressources que n'assure pas le mode de prélèvement actuel, la consommation représentant une assiette plus large et surtout plus dynamique que le travail.

De plus, elle s'applique de manière généralisée et permanente à tous les secteurs et à toutes les régions.

J'ai bien évidemment examiné avec attention les objections de la commission des affaires sociales relatives à la suppression des mécanismes actuels de discrimination positive au profit des bas salaires ou aux risques potentiels pour les zones frontalières. Mais j'ai également pris connaissance avec intérêt de l'expérience danoise décrite par Philippe Marini et Jean Arthuis et dont notre groupe de travail avait déjà été averti. Cette expérience démontre que les systèmes simples sont parfois très efficaces, même lorsqu'ils s'inscrivent dans un environnement complexe.

Cette expérience ne peut naturellement, à elle seule, emporter notre décision. Les intuitions de bon sens doivent être validées par des analyses rigoureuses et exhaustives.

Messieurs les secrétaires d'Etat, nous souhaitons précisément que s'ouvre un débat serein sur une réforme structurelle de grande ampleur, évitant les a priori technocratiques ou politiques.

Avec Francis Grignon, nous avons récemment interrogé tous les partenaires sociaux sur le projet de TVA de compétitivité. Nous attendons leurs réponses pour continuer à enrichir notre réflexion.

Nous comptons sur le Gouvernement pour faire vivre, avec le Parlement, ce débat dans les mois qui viennent.

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