Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais à mon tour intervenir sur le thème particulier de la TVA de compétitivité, afin de compléter les propos tenus tout à l'heure par Christian Gaudin pour soutenir cette TVA.
Je rappellerai d'abord que cette suggestion n'est pas isolée, et que le groupe de travail de la commission des affaires économiques sur les délocalisations n'a pas inventé cette mesure il y a six mois. Chacun sait que Jean Arthuis préconise la TVA sociale depuis plus de dix ans !
Aujourd'hui, sont également convaincus de son opportunité des syndicalistes comme le président de la CGC, Jean-Luc Cazette, des économistes comme Henri Guaino, ancien commissaire général au Plan, ou encore des universitaires qui, à l'instar de Christian Saint-Etienne, estiment qu'il existe « un lien révolutionnaire entre la réforme de la santé et les délocalisations ».
Révolutionnaire ? Je ne suis moi-même pas loin de le penser lorsque j'observe les oppositions définitives que cette suggestion soulève, oppositions qui réunissent au demeurant assez curieusement les contraires.
Ainsi, M. Le Duigou considère, au nom de la CGT, qu'il s'agit d'un piège dont le consommateur sera victime. Mais le véritable piège n'est-il pas que le financement de notre protection sociale pèse si lourdement sur le facteur « travail » ? Qu'il pénalise la production nationale tant sur le marché intérieur, face aux importations étrangères libres de tout droit, qu'à l'exportation, en renchérissant nos produits ? Qu'il conduise les entrepreneurs à accélérer la substitution capital-travail, voire à délocaliser pour se tourner vers des pays où les charges sociales sont moins élevées ? Qu'il oblige l'Etat à mener de coûteuses politiques d'exonérations sociales pour éviter ces décisions ?
Le piège n'est-il pas décidément de maintenir un système de financement social construit en un autre temps où les frontières étaient étanches, l'économie administrée, la concurrence circonscrite, selon un système devenu inadapté à la globalisation des échanges ? Il est là, le piège, et c'est l'emploi qui en est la victime !
Il faut cesser d'être schizophrène : le consommateur est aussi un producteur qui a certainement à gagner au remplacement d'un système pénalisant le travail domestique par un dispositif plus adapté aux nouvelles conditions de l'activité économique.
L'autre type d'opposition est technocratique.
Les bons esprits tiennent en général deux discours. Selon les premiers, les modèles économétriques actuels « démontrent » que le remplacement de certaines cotisations sociales par de la TVA n'a guère de vertus. Ainsi, monsieur le rapporteur général, votre rapport d'information présente des résultats en les analysant de manière très subtile. Mais vous dites aussi, avec raison, que ces simulations ne prennent pas toujours tous les paramètres en compte, ni n'examinent les conséquences d'un tel basculement sur une longue période. Il y a les modèles et la réalité. L'expérience danoise, à cet égard, paraît assez convaincante.
Le second discours est celui de l'impossibilité technique. Les règles communautaires relatives à la TVA ne permettraient pas de faire ce que vous proposez, l'OMC n'acceptera jamais car c'est un droit de douane déguisé : voilà ce que j'ai entendu depuis la publication de notre rapport d'information sur les délocalisations, au mois de juin dernier.
Est-il besoin de dire que je ne suis pas convaincu ? D'abord, le Danemark l'a fait en 1988 sans que l'Union européenne s'y oppose, et je ne vois pas ce qui justifierait aujourd'hui qu'elle adopte une attitude différente. Ensuite, nul n'est venu jusqu'à présent étayer le fait qu'une telle décision contreviendrait aux règles de l'OMC. L'intérêt de la TVA de compétitivité tient justement au fait qu'elle concerne tous les produits et activités économiques, indépendamment de leur lieu de production : il n'y a là, me semble-t-il, rien de plus conforme à l'esprit comme à la lettre de l'OMC !
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il me semble qu'une partie des oppositions à cette préconisation tient davantage d'un conformisme de la pensée que d'une analyse rigoureuse et approfondie de tous les paramètres de la question.
Je ne nie pas les difficultés potentielles de la mise en oeuvre d'une telle mesure. Je ne mésestime pas les objections qui peuvent être soulevées. Je ne présente pas cette réforme comme la panacée, l'alpha et l'oméga de la lutte contre les délocalisations ou la remise à l'endroit de nos prélèvements sociaux. A cet égard, j'ai bien pris connaissance des arguments de notre collègue Alain Vasselle et je suis par exemple convaincu, comme lui, que l'on ne saurait basculer du jour au lendemain l'intégralité des cotisations familiales et maladie sur la TVA, ne serait-ce que pour des questions de masses financières.
Cependant, je suis tout aussi convaincu qu'il y a quelque chose d'absurde, économiquement, socialement et politiquement, à cristalliser un système aussi pénalisant pour l'emploi national, la production domestique et l'équilibre des finances publiques, sous le simple prétexte qu'il existe.
C'est pourquoi je crois indispensable, comme Jean Arthuis et Philippe Marini, que le débat d'aujourd'hui soit poursuivi et approfondi, au-delà des seuls experts des finances publiques, afin d'examiner et de déterminer les conditions de la réussite d'une TVA de compétitivité.
Soyez assuré, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'avec le président Jean-Paul Emorine, Christian Gaudin et nos collègues de la commission des affaires économiques, nous nous y emploierons !