Intervention de Jean-Pierre Demerliat

Réunion du 10 novembre 2004 à 15h00
Règlement définitif du budget de 2003 — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre DemerliatJean-Pierre Demerliat :

En baissant l'impôt sur le revenu, il a fait les yeux doux aux privilégiés, tout en diminuant les capacités d'action et les marges de manoeuvre de l'Etat.

Cela fut d'autant plus handicapant que l'on était dans une période de faible croissance.

Cette attitude, consistant à distribuer des cadeaux fiscaux aux plus aisés tout en attendant le retour hypothétique d'une croissance extérieure, est une faute de politique économique, d'autant plus que, si la croissance a effectivement redémarré au niveau mondial, la France n'en a pas profité.

Le choix de ce taux de croissance illusoire a été non pas un choix volontariste mais un mauvais objectif et, quoi qu'il en soit, un objectif raté.

Examinons les recettes.

Alors que la loi de finances initiale prévoyait des ressources nettes de 231 milliards d'euros, celles-ci n'ont été finalement que de 221, 6 milliards d'euros, soit une moins-value d'environ 10 milliards d'euros par rapport aux estimations initiales, dont 7, 5 milliards d'euros de recettes fiscales et près de 2 milliards d'euros de recettes non fiscales, le solde provenant d'une augmentation des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne.

La prévision de recettes dépendant directement de l'estimation de croissance retenue lors de la construction du budget, il était évident, compte tenu du caractère complètement fallacieux de la prévision de croissance, que les évaluations de recettes ne pouvaient qu'être faussées.

On ne peut pas se glorifier en annonçant des baisses d'impôts et de charges pour certains, lors de la présentation d'un budget, et se plaindre ensuite d'être obligé de constater la dégradation d'un déficit, qui ne serait imputable qu'aux seules recettes fiscales, et donc à la faible croissance.

II faut cesser de faire croire que vos baisses d'impôts sont sans conséquences pour le budget de l'Etat !

L'analyse de la Cour des comptes est sévère : « en 2003, le produit fiscal, touché par le double effet des mesures d'allégement de la fiscalité et d'une croissance ralentie, a diminué de 0, 2 % à 239, 8 milliards d'euros, soit 400 millions d'euros de moins qu'en 2002. Il s'agit de la deuxième année de baisse consécutive ». La Cour des comptes poursuit : « les recettes fiscales représentant plus de 85 % des recettes de l'Etat, cette présentation résume bien les choix budgétaires effectués sur la période récente : redistribution sous forme de baisses d'impôts, à hauteur de 60 % à 70 %, des fortes hausses de recettes dues à la conjoncture porteuse des années 2000 et 2001 ; poursuite des baisses d'impôts en 2002 en l'absence de marges de manoeuvre. En 2003, l'absence de marges de manoeuvre s'est confirmée. »

Ce qui est surprenant, c'est que cette baisse des impôts collectés n'a pas fait baisser le taux de fiscalisation des foyers fiscaux. Après la baisse de ce taux constatée au cours des années précédentes, notamment en 2001 et 2002, sous le gouvernement de gauche, le taux moyen d'imposition des foyers fiscaux a été en 2003 de 11, 8 %, soit le même taux qu'en 2002. Le taux moyen d'imposition de l'ensemble des contribuables, y compris les foyers non imposables, s'est maintenu également à 9 %.

C'est le résultat paradoxal, vous l'avouerez, d'une politique d'annonces, d'effets d'annonce, d'affichage et de distribution ciblée de « petits » cadeaux à ceux qui n'en ont pas besoin.

C'est pour cela que la stratégie économique de ce gouvernement n'a pas eu les effets qu'elle prétend avoir.

Les baisses d'impôt ciblées n'ont pas plus soutenu l'activité qu'elles ont relancé l'emploi : les baisses d'impôts ciblées sur les ménages les plus aisés n'ont eu aucun effet sur la demande intérieure et, partant, sur la croissance.

J'en viens aux dépenses.

Les dépenses du budget général, quant à elles, ont atteint 278, 3 milliards d'euros, hors recettes d'ordre relatives à la dette, et 273, 8 milliards d'euros, hors fond de concours, soit une progression optique de 0, 1 % par rapport à 2002.

Derrière cette façade, « rafistolée » grâce au procédé peu glorieux des modifications de périmètre des responsabilités de l'Etat, aussi importantes qu'opaques, la régulation budgétaire en matière de crédits a touché aussi bien les crédits de paiement que les autorisations de programme, au point de menacer le respect du rythme des engagements prévus par les contrats de plan Etat-région.

Dès aujourd'hui, dans tous les départements et dans toutes les régions, des projets sont paralysés par les manques de crédits, qu'il s'agisse de crédits de l'Etat ou de crédits européens.

Le Gouvernement a asséché les dépenses d'intervention : il a gelé 4 milliards d'euros de crédits en février 2003 ; puis à nouveau 6, 7 milliards d'euros sur les crédits de report en avril 2003. Une partie de ceux-ci ont fait l'objet d'annulations définitives.

Les dépenses d'intervention, qui sont le « nerf de la guerre » en matière d'exécution des politiques publiques, ont particulièrement fait les frais de cette politique d'austérité. Elles ont supporté 24 % du total des mises en réserve et 21 % du total des annulations effectuées en 2003.

Comment voulez-vous, dans ces conditions, que l'Etat puisse respecter le rythme prévu par les contrats de plan Etat-région, même étalés sur six ans, avec une chute nette des autorisations de programme civiles ?

A ce rythme, ces contrats de plan ne pourront pas être réalisés, même étalés sur huit ans. Comment alors réaliser tous ces investissements sanitaires, sociaux, routiers ou ferroviaires, que tout le monde juge aussi urgents qu'indispensables ?

Même les administrations déconcentrées pâtissent de la suppression de crédits qui devaient être mis à leur disposition, laissant notamment les services sociaux démunis sur le terrain.

A l'augmentation du chômage s'ajoute l'aggravation de la précarité sur l'ensemble du territoire : le nombre des bénéficiaires du RMI augmente et, partant, les charges supportées par les départements progressent, puisque ce sont désormais ces derniers qui financent le RMI.

Le coût de ce transfert devait être compensé par l'attribution aux départements d'une partie des recettes de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Alors qu'elles étaient censées augmenter, nous savons en réalité que ces recettes sont en diminution et que les promesses du Gouvernement n'étaient, comme souvent, que paroles verbales.

D'ailleurs, d'une façon générale, tout ce qui avait été promis lors de l'examen de la loi de finances initiale a, dans une large mesure, été remis en cause par la suite.

Quels sont les résultats de tout cela ?

Alors que l'on diminue l'impôt sur le revenu, les collectivités locales se voient contraintes d'augmenter les impôts locaux.

Lorsque vous annoncez que vous allez prendre des mesures, les gens comprennent que vous n'effectuez que des « manoeuvres ».

En fait, l'évolution des dépenses publiques reflète simplement une absence totale de stratégie économique de la part du Gouvernement. Bien plus grave, elle conduit à l'asphyxie des politiques publiques.

Dans le même temps, tous secteurs confondus, la progression de l'ensemble des dépenses publiques a dépassé 2 % en volume. Contrairement au discours officiel, le Gouvernement ne maîtrise pas les dépenses publiques, dont la part dans la richesse nationale connaît une forte croissance depuis 2002. Vous vous contentez de serrer les dépenses de l'Etat, au risque de compromettre son bon fonctionnement.

Quand une mesure annoncée est effectivement financée, c'est au prix de redéploiements qui viennent réduire à néant d'autres politiques pourtant présentées, peu de temps auparavant, comme tout aussi prioritaires et urgentes !

Selon la Cour des comptes - encore elle ! -, « la pratique de la régulation, du fait notamment de l'incertitude dans laquelle sont maintenus les services ministériels, les amène à adopter un mode de gestion dégradé, voire irrégulier : priorité donnée aux actions nouvelles au détriment des dépenses obligatoires ou récurrentes ; allongement des délais de règlement des factures ; entorses aux procédures d'engagement des crédits et de passation des marchés publics ; réalisation de dépenses hors de toute programmation cohérente ou dans l'urgence ».

La Cour poursuit : les reports de charges « ont conduit à des impayés de l'Etat à l'égard de ses créanciers, appelés à supporter la charge en trésorerie de ces retards. De nombreuses situations de ce type ont été identifiées. Il en résulte une dégradation de la situation nette de l'Etat à l'égard d'un certain nombre de ses partenaires, identifiable dans la presque totalité des ministères ».

J'évoquerai maintenant le déficit.

L'audit de juillet 2002 prévoyait un déficit budgétaire égal à 3 % du PIB, soit 48, 5 milliards d'euros. En 2003, ce déficit a atteint 3, 7 % du PIB, soit 57 milliards d'euros, c'est-à-dire 15 % de plus que prévu par l'audit.

Le déficit de l'ensemble des comptes publics, au sens du traité de Maastricht, a atteint le montant record de 63 milliards d'euros, soit 4, 1 % du PIB, c'est-à-dire 60 % de plus que la prévision de l'audit !

Comment donc en est-on arrivé là ? Comment la situation s'est-elle aggravée à ce point ? Comment est-on arrivé à une telle dégradation de nos finances publiques ?

Il n'est pas étonnant que la Commission européenne ait déclenché la procédure concernant les déficits excessifs contre la France, le 2 avril 2003, même si notre pays a bénéficié d'un sursis à la mise en demeure au mois d'octobre.

De fait, tout se passe comme si le Gouvernement avait fait le choix délibéré d'une dégradation du déficit budgétaire, dans le but, affiché sans vergogne, de poursuivre à crédit une politique socialement injuste et économiquement inefficace de distribution de cadeaux fiscaux ciblés.

Cette politique, c'est celle qui est suivie depuis 2002, contraire aux discours tenus auparavant sur la nécessité de procéder à des baisses d'impôts durables, car financées par des réductions de dépenses. Ce n'est pas un hasard si le taux de couverture des dépenses par les recettes s'est dégradé : alors qu'il était resté stable, au-dessus de 88 % de 1999 à 2001, ce taux s'est effondré en 2002 et 2003 pour n'atteindre que 80 %.

Quant à la dette publique, elle a explosé, alors même qu'elle a profité d'une baisse des taux d'intérêt. Elle a atteint 63, 7 % du PIB, en progression de cinq points par rapport à 2002.

De fait, par la même occasion, la France s'est affranchie du deuxième des critères à respecter dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. La dette a ainsi dépassé le montant astronomique de 1 000 milliards d'euros. Sur ce plan, on peut battre le précédent record de la période 1993-1997 !

Elles sont bien loin, les années 1998-2001 pendant lesquelles le solde d'exécution budgétaire était positif - avant paiement des charges de la dette s'entend.

Mes chers collègues, cette loi de règlement du budget 2003 vient malheureusement confirmer nos appréciations de l'époque. Et, bien que nous ne nous en réjouissions pas, reconnaissez que jamais dans aucune loi de finances l'écart entre les intentions affichées et la réalité n'a été aussi grand.

La dégradation sans précédent des comptes publics observée en 2003 est le résultat direct de l'échec du Gouvernement pour relancer la croissance et lutter contre le chômage. Et il ne peut pas en rejeter la faute sur ses prédécesseurs ! La loi de finances pour 2003 a en effet été conçue et exécutée par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin. Mais quelle évolution depuis le « solde de tout compte » qu'était censé représenter l'audit des finances publiques mené à l'été 2002 ! Le bilan est sans appel : la loi de règlement dresse le tableau d'un véritable délabrement des finances publiques.

Parallèlement, nous n'avons pas lieu de nous réjouir de la dégradation concomitante de la sincérité budgétaire à laquelle nous assistons désormais de façon systématique depuis juin 2002, et qui conduit à ce que le budget exécuté n'ait plus qu'un lointain rapport avec celui qui avait été voté.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez aisément, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que le groupe socialiste ne vote pas le quitus de la gestion budgétaire du Gouvernement en 2003.

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