L’article 26 insère dans le code de la santé publique, au livre IV de la première partie, un titre III portant création des agences régionales de santé, les ARS – il semble que nous allons bientôt dire adieu à « l’autonomie », qui devait compléter leur appellation ! –, agences qui constituent la clef de voûte de cette réforme : c’est pourquoi elles ont déjà été évoquées à de nombreuses reprises au cours de l’examen du titre Ier, enfin achevé, et le seront encore lors de la discussion des deux autres titres, relatifs à l’accès aux soins et à la prévention.
La création des ARS opère en effet une transformation radicale du paysage sanitaire français, mais celle-ci résulte moins de la régionalisation du système que du nouvel équilibre entre les acteurs de santé que l’on prétend mettre en place – ou, pour être tout à fait précis, du déséquilibre que l’on instaure !
Une réorganisation du système de santé peut porter sur quatre éléments fondamentaux : le niveau de territorialisation ; la portée du mandat confié aux agences ; le périmètre de leur compétence, déterminant leur mode de gouvernance ; enfin, l’objectif qu’on leur assigne et les outils dont on les dote.
Je veux rapidement évoquer ces quatre aspects au seuil de notre débat.
Si, pour le premier élément, l’option en faveur d’une organisation territoriale régionalisée n’est, en général, pas contestée – elle est pertinente et s’inscrit dans la logique des réformes successives engagées depuis les années quatre-vingt-dix –, les trois autres éléments, en revanche, ont donné lieu à des choix critiqués à très juste titre.
S’agissant de la portée du mandat devant être confié aux agences régionales de santé, se pose la question suivante : celles-ci doivent-elles définir la politique de santé qu’elles mettent en œuvre ou décliner, à l’échelon régional, la politique de santé décidée à l’échelon national ?
La commission a, sur ce point, radicalement modifié le projet de loi en récrivant les dispositions relatives, d’une part, à la mission principale des agences, et, d’autre part, à l’attribution de la gestion du risque assurantiel en santé, estimant à juste titre que, dans les deux cas, seul le niveau national était à même de garantir et de sauvegarder un traitement égal des citoyens. La conséquence logique en est évidemment la réécriture des articles L. 1433-1 et L. 1433-2 du code de la santé publique, relatifs au rôle du conseil national de pilotage.
En ce qui concerne le périmètre de compétence des agences régionales, l’option la plus large a été retenue, englobant la prévention, les soins, le secteur social et le secteur médico-social. Cette appréhension transversale de la santé a évidemment une incidence directe sur les acteurs de ces secteurs. Il est tout aussi évident que la réorganisation du système de santé ne doit pas risquer de démanteler ou d’entraver le fonctionnement d’établissements, de services, de réseaux dynamiques bien en place, qui font preuve de leur efficacité et rendent le service attendu au plus près des besoins des citoyens. Il est en effet à craindre que la logique sanitaire n’absorbe celle du secteur médico-social, justifiant ainsi la dispersion de ses personnels.
Le souci d’efficacité dont vous vous prévalez tant implique impérativement que la révision des rôles, la modification des priorités, des financements, des procédures d’agrément et d’évaluation soient arrêtées conjointement entre acteurs également légitimes à intervenir dans le même champ.
La spécificité même du médico-social, qui s’organise nécessairement en fonction des problématiques des personnes et dont toute l’approche est centrée sur leur projet de vie et leurs besoins, justifie la présence d’un directeur général adjoint chargé de ce secteur. En un mot, c’est un pilotage « unifié », et non « unique », que mériteraient ces agences.
Or, la « gouvernance » de l’ARS émane d’une construction technocratique organisée uniquement en termes de dispositifs : nos craintes sont donc fondées. Le choix de placer un directeur général omnipotent à la tête de chaque agence, celle-ci étant par ailleurs dotée d’un conseil dépourvu de toute capacité décisionnelle et de contrôle véritable, ce qui confine ses membres – dont les élus territoriaux – au rôle de figurants, ne reçoit évidemment pas notre agrément. De même, les départements doivent être réellement associés à l’établissement des schémas régionaux, et en décider conjointement avec l’agence.
Enfin, des clarifications sont nécessaires quant aux outils dont seront dotées les agences régionales de santé, s’agissant notamment de l’accès aux données.
Pour ce qui est de l’objectif assigné aux agences, c’est là que le bât blesse le plus : aucun directeur général d’agence ne pourra échapper, sauf à être démis par ceux qui l’auront nommé, à la vision comptable de l’usager qui imprègne et commande toute cette réforme. Je voudrais rappeler, à cet égard, que la technicité des questions de santé, qui nécessite bien sûr que soit recueilli l’avis de spécialistes, ne doit pas servir à occulter leur dimension politique et les choix de société qui les sous-tendent. Vous dessinez ici un modèle de société : l’organisation territoriale du système de santé portée par cette réforme est fort éloignée de la démocratie sanitaire et de la solidarité revendiquées. Nos amendements viseront à y remédier.