Intervention de Odette Terrade

Réunion du 23 juillet 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Adoption définitive des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, je formulerai tout d'abord quelques remarques quant au déroulement de ce débat.

Comme M. le président de la commission spéciale l’a rappelé, le présent texte, qui comportait initialement 44 articles, en comprend aujourd’hui 175. Il s’est notamment trouvé augmenté de nombreuses dispositions dont le lien avec le projet de loi nous semble pour le moins ténu, sinon inexistant...

Près de 1450 amendements ont été déposés en première lecture à l’Assemblée nationale et plus de 1100 dans le cadre du débat sénatorial, ce qui me conduit à penser que nos discussions n’auraient pas eu la même teneur si s’étaient appliquées les règles de fonctionnement prévues par la révision constitutionnelle qui vient d’être arrachée au Parlement lundi dernier. Il est probable que nous n’aurions alors examiné au Sénat, pour l’essentiel, que les 240 amendements déposés par la commission spéciale et le Gouvernement, ainsi que les quelques dizaines d’amendements émanant des parlementaires de la majorité. Je ne suis pas certaine que nos débats auraient beaucoup gagné en clarté et en intérêt, mais le fait est là !

Je formulerai une autre observation liminaire. Si, comme je l’ai souligné, ce texte a sensiblement augmenté de volume, c’est pour des raisons diverses et variées, mais c’est fondamentalement parce que le Gouvernement soit directement, soit sous le couvert d’amendements émanant des commissions, a procédé à l’adjonction successive de nombreux « objets législatifs plus ou moins identifiés », comme en témoignent, par exemple, les quatre amendements adoptés en seconde délibération au Sénat et tendant à revenir sur des dispositions modifiées par la Haute Assemblée.

Par ailleurs, depuis le début de nos débats, et même dès le dépôt de ce projet de loi, ce texte est présenté de façon fallacieuse comme un fourre-tout, un ensemble de dispositions disparates qui n’auraient d’autre lien que celui, plutôt lâche, de son intitulé ; nous ne dirons jamais assez que ce dernier est connoté positivement, le mot « modernisation » étant, hélas pour lui, utilisé aujourd’hui à toutes les sauces pour justifier les reculs de société et les régressions démocratiques que le Gouvernement organise depuis le printemps 2007 et qu’il entend encore amplifier à la rentrée prochaine.

II est vrai que « modernisation de l’économie » inquiète moins, a priori, que « concurrence libre et non faussée », qui correspondrait pourtant plus précisément à ce texte. Ce titre est aussi plus présentable que « soumission aux intérêts des grands groupes et mise à mort du petit commerce et de l’artisanat », alors que ces éléments sont également inscrits dans ce projet de loi.

Mes chers collègues, venons-en au fond : au fil de plusieurs articles qui comportent de menues dispositions fiscales et sociales, ce projet de loi invente le statut d’auto-entrepreneur, creusant de fait les déficits publics pour un résultat encore incertain.

Cette partie du texte ne vise pas à faciliter la création des petites entreprises ; elle se compose plutôt de mesures dont tireront surtout parti les donneurs d’ordre avisés pour externaliser certains de leurs coûts et faire porter les risques sur de plus petites entreprises.

Au demeurant, nous avons indiqué que ce statut d’auto-entrepreneur allait offrir à quelques entreprises un nouveau filon à exploiter dans le cadre de plans sociaux, et il est à craindre que cette menace ne se concrétise rapidement.

S'agissant des délais de paiement, les dispositions votées ne changent pas grand-chose au droit en vigueur, surtout quand elles rencontrent, dans le même texte, celles qui sont relatives à la « négociabilité » des prix et qui réduisent à néant les pauvres garanties offertes par l’article 6 du projet de loi.

Je passerai sur les mesures relatives aux effets de seuil, une concession accordée au discours ambiant sur le poids présumé intolérable des « charges sociales », qui ne règlent rien quant à la situation des PME, mais qui obèrent un certain nombre de budgets sociaux et interviennent au moment même où le Gouvernement, à la recherche de nouvelles ressources, s’apprête à confisquer l’argent du 1 % logement et celui de la formation professionnelle pour les substituer à ses propres engagements budgétaires, qu’il n’a pas tenus.

Je ferai quelques remarques sur la dépénalisation du droit des affaires. Celle-ci se trouve abordée entre les articles 15 et 20, qui augurent mal de la suite qui sera réservée, dans les mois à venir, au traitement de ce dossier.

Tout semble fait pour que des entrepreneurs incompétents et qui prennent des initiatives hasardeuses puissent, en dépit de toute logique, continuer d’exercer leurs responsabilités, au détriment – faut-il le rappeler encore ? – des salariés qui auront eu la malchance de travailler pour eux.

Le caractère profondément libéral de ce texte se trouve ici résumé : indulgence pour les fautifs dès qu’ils sont chefs d’entreprise, mépris pour les salariés victimes des licenciements découlant des erreurs de gestion de leurs patrons.

La modification des relations commerciales prévue par le projet de loi est réelle. Elle s’organise autour de la discrimination tarifaire, de la généralisation de la revente à perte et de l’opacité des contrats.

Les lois Royer, Galland et Raffarin s’effacent devant ce texte qui fait la part belle aux grands groupes et accompagne leur capacité d’adaptation aux circonstances.

Mieux, les services de la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, normalement investis du contrôle des pratiques commerciales et, notamment, de la détection des pratiques abusives ou nuisibles à la santé publique, se voient démembrés au profit d’une Autorité de la concurrence, créée sur mesure.

Ainsi, une autorité de plus, portée par un amendement de la commission se substituant fidèlement au projet d’ordonnance prévu par le texte, participe du démembrement progressif de l’État induit par la trop fameuse RGPPP, la révision générale des politiques publiques !

Les atermoiements des auteurs du texte sur l’urbanisme commercial ne changent pas grand-chose au fond, puisque vous omettez délibérément, monsieur le secrétaire d'État, d’adopter la moindre mesure à l’encontre de la position dominante des centrales d’achat.

Nous sommes persuadés que la prédominance des grandes enseignes de la distribution n’est pas uniquement due à la taille de leurs équipements commerciaux ; toutes ces centrales d’achat disposent de leurs hypermarchés, de leurs supermarchés, de leurs supérettes et de leurs magasins de proximité depuis longtemps.

En réalité, la domination des magasins Auchan ou Carrefour découle surtout de la situation désastreuse du pouvoir d’achat des ménages salariés, que les politiques d’allégement du coût du travail que vous persistez à mener ne peuvent d’ailleurs que détériorer encore. Il ne suffit pas, comme le faisait hier la presse économique, de demander « de combien baisseront les prix ».

Ce qui est à craindre, contrairement aux estimations les plus optimistes, c’est que la baisse des prix ira de pair avec celle de la qualité des produits offerts à la clientèle, en attendant, évidemment, que le renforcement de la position dominante de quelques-uns ne finisse par faire évoluer les prix à la hausse.

Posons la question : l’ouverture à la concurrence de secteurs comme les télécommunications ou l’énergie s’est-elle, pour l’heure, accompagnée d’une réduction des prix ? La réponse est négative !

Quant à la concurrence, elle se révèle singulièrement organisée. Si des emplois sont jamais créés, avec ces dispositions, ils seront probablement précaires et ils concerneront les grandes enseignes de la distribution, tandis que disparaîtront encore un peu plus les emplois dans les petites enseignes et chez les fournisseurs.

Comme de juste, de nouveaux cadeaux fiscaux sont venus s’ajouter aux dispositions initiales du projet de loi. Entre la mesure qui est destinée aux impatriés, celle qui vise à répondre aux besoins des grands groupes – cet objectif figure tel quel dans l’exposé des motifs ! – en ce qui concerne la mobilité de leur personnel et les petits cadeaux prévus par notre collègue Philippe Marini pour réduire un peu plus l’ISF, c’est un véritable pont d’or qui est fait aux plus fortunés !

Quel scandale que de traiter de façon privilégiée certains cadres étrangers au moment où l’on continue de pourchasser les travailleurs immigrés sans-papiers ! Ces derniers n’apportent-ils pas une contribution exceptionnelle au développement de notre économie ?

Le présent texte comprend également nombre de dispositions relatives aux intérêts des grands groupes. C’est dans ce cadre qu’il convient d’envisager le débat sur les télécommunications ou celui sur le devenir de l’audiovisuel et dont on se demande ce qu’il faisait dans un texte où les droits et positions de Bouygues, Numéricable, Lagardère et autres Bolloré ont été confortés !

Cette privatisation de la loi pose d’évidentes questions quant à la validité même, sur le plan constitutionnel, de telles mesures.

La même observation peut être émise s’agissant de l’évolution du livret A et des dispositions de ce texte qui ont trait aux marchés financiers.

Alors que l’actualité est marquée par la chute libre de la valeur de nos établissements de crédit, empêtrés dans la crise des subprimes, que fait-on ? On offre à ceux-ci sur un plateau le livret A et le livret de développement durable, c’est-à-dire 200 milliards d’euros d’encours dont ils pourront disposer à leur guise !

En effet, rien dans ce texte ne vient garantir la centralisation de la collecte de l’épargne populaire, puisque chaque établissement de crédit aura une obligation de centralisation différente au regard de l’encours géré, au détriment du financement du logement social.

Au demeurant, compte tenu des dernières annonces – rapt sur le 1 % logement, racket sur les organismes d’HLM –, la politique gouvernementale en matière de logement confinera assez rapidement à l’autoritarisme, que celui-ci passe par l’application du surloyer obligatoire ou par l’ajustement des plafonds de ressources.

La satisfaction des besoins collectifs en logement et l’amélioration de la situation des mal-logés ou des sans-abri resteront, elles, en option !

Ce sont bel et bien 50 milliards d’euros, issus de l’épargne populaire, qui seront confisqués et livrés sans coup férir aux banques. La réforme de la gestion de la Caisse des dépôts et consignations, engagée avec l’affaire EADS, ne vise qu’un seul objectif : transformer cet établissement public en un auxiliaire des aventures boursières des requins de la haute finance et du CAC 40, en lieu et place de ses missions traditionnelles de service public.

D’ailleurs, au nom du libéralisme, certains poussent aujourd’hui les feux d’une réforme des autorités de contrôle des marchés financiers, comme le montre l’article 42 de ce projet de loi, et ce au moment même où s’affirme la crédibilité de l’AMF, avec les suites de l’affaire EADS.

Soyons clairs sur ce point : l’Autorité des marchés financiers ne constitue pas pour nous le meilleur outil de contrôle des marchés financiers. Pour autant, l’affaire EADS et les investigations qui sont menées montrent que cette instance peut affirmer son pouvoir en prenant des décisions exemplaires.

Or c’est ce moment que choisissent certains pour motiver la création d’une structure toujours plus indépendante de la sphère publique et plus subordonnée aux seuls acteurs du marché, alors même que ses équivalents étrangers, notamment en Grande Bretagne ou aux États-Unis, ont fait la démonstration, dans la crise des subprimes, de leur incapacité à prévenir ce genre de sinistre. Laissons donc plutôt l’AMF faire son travail !

Mes chers collègues, toutes ces observations montrent que nous demeurons profondément opposés à ce texte libéral, qui ne résoudra aucune des difficultés de l’économie de notre pays, notamment en ce qui concerne la croissance et la création d’emplois. Il est même fort à craindre que ce sera l’inverse qui se produira.

Madame la ministre, la « modernisation de l’économie » que vous nous avez présentée ne constitue, de notre point de vue, qu’une collection d’illusions libérales, mâtinée de mesures destinées à quelques grands groupes et intérêts clairement identifiés.

Nous refusons cet asservissement de la loi aux intérêts particuliers de quelques-uns. C'est pourquoi le groupe CRC ne votera pas le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion