Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes – c’est la première fois que je vous salue dans l’hémicycle à ce titre – monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, ce débat sur les questions européennes sera l’occasion d’évoquer des sujets de régulation financière. L’exercice me sera d’autant plus facile que je sais m’adresser aussi au futur président de l’Autorité des marchés financiers.
Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, l’Assemblée nationale et le Sénat ont constitué, à l’appel du président du Sénat, Gérard Larcher, ce que j’intitule « une mission mixte paritaire » pour traiter des questions relatives aux origines, à la réalité de la crise financière et aux réactions que les États, l’Union européenne, le monde doivent y apporter
Malgré leurs différences d’approche, de famille politique, voire d’idéologie d’origine, les membres de la mission se sont accordés, après des discussions nourries et assez fondamentales, sur un constat partagé. Comme j’ai eu le privilège de participer à cette mission comme corapporteur pour le Sénat, je voudrais, si vous le permettez, vous donner lecture de quelques phrases qui me semblent essentielles dans ce constat partagé.
« La crise actuelle s’analyse comme le résultat de la conjonction d’une double démission des États face au leadership américain et à la toute-puissance des marchés.
« La dérégulation amorcée dans les années quatre-vingt a laissé libre cours aux conceptions anglo-saxonnes, américaines mais aussi britanniques, des marchés financiers. Par leur monnaie, le dollar, qui a bénéficié de fait du statut de monnaie internationale à travers un déficit des paiements sans limite leur permettant de s’imposer comme l’émetteur d’actifs dominant, et au moyen d’une politique monétaire qui a facilité l’inflation immobilière et la constitution d’une bulle financière, les États-Unis ont imposé leur vision du monde. Il est temps que les pays européens fassent entendre leur voix.
« L’autre renoncement se constate surtout au niveau de l’Europe. En ne mettant pas en place des mécanismes de supervision et de régulation financières et économiques, les États membres se sont laissés déposséder au profit de procédures souvent technocratiques et faisant de plus en plus de place aux décisions d’instances à caractère professionnel, dont il est difficile que les membres ne soient pas en conflit d’intérêts. »
Il n’y a pas si longtemps – c’était en mai 2007 – j’avais, au nom de la commission des finances, consacré un petit rapport sur la régulation financière. J’en appelais, voix clamant dans le désert, à une certaine reprise en main de cette soft law proliférante, ce que les juristes appellent souvent le « droit mou » qui prévaut dans le domaine communautaire.
J’insistais sur les effets pervers d’une comitologie qui, à force de renvoyer des sujets complexes impliquant de nombreux acteurs à des groupes de personnalités soi-disant expertes, aboutit naturellement à la déresponsabilisation du politique. Il faut donc, monsieur le secrétaire d’État, réintroduire le politique dans la définition des règles du jeu.
Reconnaissons au demeurant que l’harmonisation de la surveillance et de la réglementation des banques et des services financiers est depuis longtemps au cœur de l’action communautaire.
Le plan d’action pour les services financiers de 1999-2005 fut une étape décisive avec près de 40 directives. Depuis 2001, la législation financière communautaire s’est largement inscrite dans le processus Lamfalussy, qui a ouvert la voie à cette comitologie.
Des progrès indéniables ont été réalisés. Lorsqu’on compare nos législations nationales et communautaires, les lois de transposition à la régulation américaine, nous devons observer, malgré le constat sévère par lequel je commençais mon propos, que notre droit a évolué dans le bon sens, sans doute – et c’est l’essentiel du message que je voudrais faire passer ce matin – sans une implication suffisante des États et des autorités politiques.
Bien des sujets sont très structurants, et on ne s’en est pas assez rendu compte, par paresse, par facilité, voire par lâcheté, par plaisir ou par nécessité d’aboutir à des compromis Je voudrais citer quelques concepts qui se sont affirmés dans la logique anglo-saxonne et qui ont des conséquences que l’on avait sous-estimées.
D’abord, je citerai l’évolution des normes comptables, sujet que M. le président de la commission, Denis Badré et moi-même aurions pu développer, si nous en avions eu le temps. Les évolutions auxquelles nous avons souscrit, que nous avons acceptées souvent par défaut, sont pour beaucoup dans l’aggravation et l’accélération de la crise financière. Le problème est de savoir comment s’en sortir. Car casser le thermomètre en période de crise, ce n’est pas si simple, on ne peut que très difficilement revenir en arrière.
Ensuite, je mentionnerai la fin de la centralisation des ordres sur les marchés réglementés. Avec la directive concernant les marchés d’instruments financiers d’avril 2004, nous avons souscrit à la toute-puissance des grandes banques d’investissement.
Or ce modèle, qui va à l’encontre des principes mêmes de la transparence et de l’organisation équitable des marchés, a aujourd’hui craqué. Comment revenir, monsieur le secrétaire d’État, sur ces choix effectués par défaut ?
Enfin, je noterai la publication trimestrielle des comptes, imposée par les directives « Transparence. » Nous y avons souscrit. Peut-être était-ce inévitable dans un mouvement mondial, mais nous avons ainsi accepté de privilégier le prisme du court terme et d’accentuer la volatilité des valeurs.
En outre, dans ces matières, l’Europe a bien souvent réalisé son consensus sur le plus petit dénominateur commun, sur ce qui créait le moins de problèmes et permettait de terminer la réunion en faisant les quelques sacrifices, dont on ne se rendait pas forcément bien compte, mais qui permettaient de passer au dossier suivant.
Ainsi, en matière de rémunération des dirigeants, par exemple, on n’a qu’une simple recommandation peu innovante de décembre 2004.
S’agissant des infrastructures de règlement-livraison et de compensation des titres, dites « post-marché », on s’en est remis à de simples codes de conduite plutôt que de mettre en place une directive et de créer une véritable infrastructure d’intérêt général dont on voit bien la nécessité en considérant les handicaps que font peser sur nos économies les activités dérégulées ou les produits de gré à gré.
Enfin, en matière de surveillance des agences de notation, sujet sur lequel, en 2003, M. Francis Mer me disait : « Passez, il n’y a rien à voir ! », nous avons observé la longue résistance du commissaire Charlie MacCreevy et son revirement, pas encore très concret, ni très substantiel, intervenu fin 2007.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, cette réglementation communautaire définit des règles parfois complexes d’attribution de compétences pour les régulateurs nationaux. La directive OPA est assez paradoxale puisqu’elle crée un droit à la carte. Il y a tellement de combinaisons possibles que l’on se demande s’il faut y voir du droit communautaire ou le résultat d’un nouveau compromis de l’impossible entre nos amis britanniques et les États continentaux.
Certes, la Commission est loin d’être la seule responsable de cette confusion, et les divergences de conceptions au sein du Conseil européen sont souvent apparues irréductibles. Peut-être la crise a-t-elle du bon, en ce sens qu’elle va inévitablement faire évoluer les mentalités et, donc, les positions des États. Comme le dit très justement le président Nicolas Sarkozy, il faut que l’Europe reprenne les choses en main « pour permettre de tout surveiller sans pour autant tout réglementer ».
C’est l’équilibre qu’il convient de trouver. Quelques avancées sont prometteuses ; espérons qu’elles seront approfondies, monsieur le secrétaire d’État. Je citerai notamment la proposition de directive sur l’enregistrement des agences de notation et la mise en place de collèges de régulateurs pour la quarantaine de banques transnationales. Permettez-moi de vous dire qu’on en reste à la surface des choses et qu’on ne traite que les sujets les plus faciles.
J’achèverai ce bref propos par une allusion au volet international. Bien entendu, l’évolution de la réglementation européenne n’a pas de sens si elle ne se traduit pas par une progression de l’influence de l’Europe sur le monde.
C’est le moment de faire prévaloir une conception équitable, raisonnable, efficace des zones dérégulées juridiquement et fiscalement.