Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, M. le président de la commission des affaires européennes l’a souligné, l’examen de l’article 33 du projet de loi de finances pour 2009 revêt un caractère tout particulier. Il intervient dans un contexte financier, budgétaire, économique et social difficile, à l’échelon tant national qu’européen.
À l’évidence, la gestion de la crise financière qui nous frappe, au-delà d’une première réponse strictement financière, nous conduit à nous interroger sur la capacité de l’Union européenne à intervenir financièrement pour juguler les effets de la crise et pour relancer l’économie et la croissance.
Je le dirai d’emblée et sans détour : les crises multiples et interdépendantes auxquelles nous sommes désormais confrontés révèlent combien les capacités financières communes restent limitées et, surtout, combien la réflexion des Européens sur un véritable budget communautaire reste partielle et incomplète.
À mon sens, les limites du budget européen peuvent être illustrées par les deux défis auxquels doivent aujourd’hui faire face les États membres et les institutions européennes : d’une part, une crise financière imprévue qu’ils doivent gérer ; d’autre part, le grand projet de lutte contre le changement climatique, dont la question du financement a été jusqu’à présent occultée et sera traitée par les États membres dans la dernière phase des négociations.
Ces deux exemples posent clairement la question de la capacité de levier du budget européen. C’est sur cette problématique que je souhaite aujourd’hui me pencher avec vous, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues.
Comment financer les mesures destinées à lutter contre les conséquences de la crise financière ?
Nous connaissons bien la faiblesse de la marge de manœuvre des États membres, compte tenu de leurs déficits publics et de leurs perspectives de croissance. Dans ces conditions, comment répondre rapidement à la fois aux difficultés que rencontrent déjà les entreprises et à la montée du chômage qui se dessine, tout en échafaudant un plan de relance à plus long terme en vue d’un retour de la croissance ?
Le groupe des Vingt, réuni à Washington le 15 novembre dernier, a été clair : la relance doit être favorisée par tous les moyens, en particulier par des mesures budgétaires.
La Commission européenne s’est ainsi vue dans l’obligation de réagir en présentant aujourd’hui même un plan de relance global de 130 milliards d’euros, qui comporterait deux volets, mobilisant l’un des contributions nationales, l’autre des fonds communautaires.
Le premier volet reposerait donc sur des contributions des États membres, à hauteur de 1 % du PIB de l’Union européenne ; l’effort serait modulé, selon les pays, en fonction de leur situation budgétaire. Une fois l’enveloppe réunie, chaque État membre pourrait en consacrer une part aux secteurs qu’il juge prioritaires pour son économie.
Pour l’instant, on ne connaît pas les modalités précises de cet appel à contributions : s’agit-il de contributions nouvelles, d’« avances » sur contributions ou de la comptabilisation des plans nationaux mis en place au titre de la participation à la relance européenne, comme le souhaiteraient par exemple nos amis Allemands ? Faut-il verser au « pot commun » pour se voir restituer les sommes ensuite ? Quelle obligation de participation s’impose aux États membres ? Selon quels critères seraient redistribués les montants ? Bref, le dispositif prête à interrogations et reste, pour l’heure, encore bien flou.
Le second volet serait proprement communautaire. Au début du mois, la Commission européenne a répertorié les instruments disponibles susceptibles de minimiser l’incidence économique et sociale de la crise. Afin de mieux répondre aux problèmes sociaux qui en découlent de manière immédiate, la Commission européenne se propose de mobiliser les principaux fonds à sa disposition : le Fonds social européen et le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation.
Pour ce qui est du Fonds social européen, on peut s’interroger sur sa reprogrammation en direction des chômeurs, alors que le conseil « budget » de l’Union européenne en avait malheureusement réduit le financement en première lecture. On peut également se demander comment la Commission européenne souhaite renforcer l’efficacité du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, dont les moyens – 500 millions d’euros par an – restent limités. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Je souhaite insister plus particulièrement sur le rôle que la Commission européenne souhaite voir attribuer aux fonds structurels dans ce projet de relance. Elle envisagerait en effet leur redéploiement en direction d’actions spécifiques, en opérant un prélèvement sur l’enveloppe de 4, 5 milliards d’euros non dépensée en 2008, qui devait être restituée aux États membres. Ce choix va dans le bon sens, car il prend en compte non seulement l’idée que la crise accroîtra les disparités entre les régions d’Europe, qu’elles soient économiques, sociales ou territoriales, mais également celle que l’on peut jouer d’un effet de levier par un financement ciblé.
Cependant, comme je le rappelais voilà encore quelques mois devant ce qui est devenu la commission des affaires européennes, il ne faudrait pas que la future orientation de la politique régionale finisse par sacrifier la solidarité à la compétitivité. J’insiste tout particulièrement sur ce point, monsieur le secrétaire d'État. La situation actuelle appelle à mieux utiliser les 350 milliards d’euros disponibles sur la période 2007-2013 au titre de la politique de cohésion.
Cette fois, la Commission européenne n’a pu ignorer les appels répétés en faveur du financement de grandes infrastructures européennes, ne serait-ce que pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement énergétique du territoire européen et le développement de modes de transport économes en carbone, que la lutte contre le changement climatique rend aujourd’hui incontournables. La question reste la même : quelles seront les modalités de financement ? J’y reviendrai dans un instant.
Nous pouvons également nous interroger sur le rôle dévolu à la Banque européenne d’investissement, la BEI, dans la gestion de ces crises. Il semble que l’on ait brutalement redécouvert ses vertus et son mandat, et que l’on souhaite la voir financer les prêts non seulement aux PME, mais aussi aux moyennes entreprises, et lui voir jouer le rôle de vecteur principal de soutien et d’impulsion pour la lutte contre le changement climatique, que ce soit pour la recherche ou pour le financement des réseaux européens d’énergie. Bref, on voudrait pouvoir tout lui demander, puisque son financement n’est pas compris dans le budget européen.
Les responsables de la BEI ont pourtant bien résumé le problème : « Pour financer un tel programme, il y a deux options : recapitaliser l’établissement ou réorienter les budgets au détriment des infrastructures. »
La BEI a d’ores et déjà annoncé son intention d’augmenter son volume de prêts de 10 milliards à 15 milliards d’euros par an. Nous espérons que le conseil Ecofin du 2 décembre prochain tranchera en faveur d’une augmentation substantielle de son capital.
Les premières pistes de ce plan de relance annoncé semblent a priori aller dans le bon sens. Toutefois, il s’agirait plutôt d’un habillage communautaire des dispositions déjà prévues par les États membres, d’un redéploiement des moyens existants, et non d’un appel à une participation nouvelle des États membres. On peut, dès lors, légitimement s’interroger sur la possibilité de mobiliser de nouvelles ressources qui permettraient d’être à la hauteur de la situation.
De quels moyens financiers dispose l’Union européenne actuellement ? Il suffit d’examiner les chiffres : son budget annuel s’élève à environ 116 milliards d’euros en crédits de paiement et son budget pluriannuel à 864, 2 milliards d’euros. De tels montants paraissent dérisoires au regard de ceux qui sont annoncés pour sauver le système bancaire en Europe, à savoir de 1 700 milliards à 1 800 milliards d’euros.
Ce qui manque manifestement à l’action européenne, c’est l’effet de levier, c’est la capacité à investir. Ce qui pose problème, c’est le caractère « ciblé et temporaire » de ces mesures, comme n’a pas manqué de le rappeler récemment encore la Commission européenne.
Les crises que nous traversons aujourd’hui sont suffisamment graves et complexes pour qu’il faille prévoir un financement à plus long terme si nous voulons que les mesures envisagées portent réellement leurs fruits.
Le contexte me semble propice pour que nous envisagions sérieusement un grand emprunt européen.
Je salue d’ailleurs la volonté conjointe du ministre des affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, et du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, de demander à la Commission européenne de réfléchir à l’émission d’obligations européennes, qui seraient notamment investies dans de grandes infrastructures européennes.
Cette idée, qui avait été émise dès 1993 par le grand européen qu’est Jacques Delors pour assurer le financement direct du budget européen et que nous défendons depuis si longtemps, serait tout à fait appropriée à la situation, même si la garantie des capitaux engagés devait conduire à augmenter les contributions des États membres.
Nous souhaitons que le Conseil européen évoque l’émission d’obligations pour financer des projets d’envergure qui contribueraient à la relance économique et à une croissance productrice d’emplois.
Un grand emprunt de ce type permettrait de lever rapidement et facilement des fonds et de ne pas attendre la révision du cadre financier de l’Union européenne, qui ne sera vraisemblablement engagée qu’au second semestre de 2009.
S’il faut apporter une réponse cohérente et conséquente à la situation actuelle, il faut également prévoir de mieux financer les objectifs définis et approuvés politiquement.
L’objectif de lutter contre le changement climatique conforte la nécessité de prévoir des projets financiers de long terme.
Il ressort clairement des premiers résultats de la consultation lancée par la Commission européenne sur la réforme du cadre financier européen qu’il conviendrait de privilégier, à l’avenir, le financement de la lutte contre le changement climatique, que ce soit dans le domaine de la recherche, dans celui de l’environnement ou dans celui de la sécurité de l’approvisionnement énergétique.
Or tel n’est pas le cas aujourd’hui. Alors que la Commission européenne savait que la lutte contre le changement climatique serait une priorité à partir de 2009 à la suite de la conclusion du paquet « Énergie et changement climatique », elle n’a prévu ni regroupement de lignes budgétaires ni augmentation des montants existants dans son avant-projet de budget, tandis que, à la fin du mois d’octobre, elle chiffrait elle-même le coût de la mise en œuvre des mesures dudit paquet à 70 milliards d’euros par an pour l’ensemble des États membres.
Le Parlement européen a tenté, en première lecture, de remédier à cette situation, mais une meilleure prise en compte de la dimension climatique dans les programmes existants, qu’il s’agisse du développement rural, des transports, de la recherche ou de l’environnement, ne suffit plus aujourd’hui.
Les négociations actuelles relatives à ce paquet « Énergie et changement climatique » s’orienteraient vers l’instauration d’un système européen incomplet, selon lequel les grands principes et le système d’enchères seraient européens tandis que les mesures et le financement resteraient du ressort des États membres. On voit donc mal comment pourrait être mise en place une politique d’investissement par le biais du développement de grandes infrastructures de réseaux lorsque l’on sait, par exemple, qu’il faudrait consacrer jusqu’à 1 000 milliards d’euros aux réseaux et à la capacité de production d’électricité de l’Union européenne et 150 milliards d’euros aux réseaux de gaz.
Que faut-il faire ? Je pense qu’il est désormais indispensable de prévoir un fonds spécifique pour le financement de la lutte contre le changement climatique et la réalisation des objectifs « 3 fois 20 » d’ici à 2020.
Les premières propositions de compromis de la présidence française ne vont malheureusement pas dans ce sens. Alors que le système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre devrait être naturellement considéré comme une ressource financière majeure, l’affectation des recettes des enchères au financement de mesures de lutte contre le changement climatique serait plafonnée à 50 % ; les sommes en cause seraient réinjectées dans les budgets des États membres, sans obligation d’investissement.
À l’évidence, l’outil budgétaire européen est de plus en plus inadapté, en raison à la fois du manque d’anticipation des institutions européennes et de l’impossibilité de disposer d’un budget européen réactif qui puisse répondre aux évolutions des priorités et aux défis inopinés.
L’évaluation et la négociation du budget communautaire se font aujourd’hui exclusivement en fonction d’une arithmétique connue et déclinée année après année, et non selon un objectif politique à atteindre chaque année.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà de nombreuses interrogations et quelques pistes de réflexion. Je pense qu’elles peuvent être utiles si l’on veut progresser et faire en sorte que l’Union européenne puisse mieux répondre, d’un point de vue financier, à la fois aux exigences de ses politiques et de ses ambitions et aux défis imprévus auxquels elle est confrontée. Un projet européen solide ne peut se penser désormais sans un budget européen permettant un réel effet de levier.