Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 12 mai 2010 à 14h45
Débat sur l'application de la loi de 2005 sur le handicap

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn, pour le groupe socialiste :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sans attendre l’examen de la proposition de loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, qui devrait avoir lieu dans quelques semaines, il est apparu urgent à notre groupe d’engager, dès aujourd’hui, un débat exhaustif sur la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, cinq ans après son adoption par le Parlement.

Rappelons que, dans l’exposé des motifs de cette loi, il était précisé l’esprit dans lequel elle s’inscrivait : « Il implique que la nouvelle législation organise de manière systématique l’accès des personnes handicapées au droit commun, qu’elle adapte celui-ci ou le complète par des dispositions spécifiques afin de garantir, en toutes circonstances, une réelle égalité d’accès aux soins, au logement, à l’école, à la formation, à l’emploi, à la cité et de reconnaître ainsi la pleine citoyenneté des personnes handicapées ».

Bien que très imparfaite, cette loi apportait des perspectives d’améliorations. Aujourd’hui, après un quinquennat pour le moins décevant, elle apparaît de plus en plus vidée de son esprit originel.

Alors même que la question du handicap demeure un enjeu politique et social de grande ampleur dans nombre de pays européens, en France, elle reste traitée de manière sectorielle et « compassionnelle ».

Le Président de la République avait pourtant promis, en juin 2007, qu’il n’y aurait aucun délai dans l’application de cette loi. Hélas ! il nous faut constater les retards accumulés dans sa mise en œuvre sur le terrain ainsi que les tentatives de recul inadmissibles, de la part tant du Gouvernement que de la majorité parlementaire qui le soutient.

Certaines grandes associations représentatives de nos concitoyens handicapés ont déclaré 2009 l’« année noire du handicap ». Dans le contexte économique et social particulièrement dégradé que nous connaissons – c’est un euphémisme –, les personnes handicapées sont en effet encore plus pénalisées que la majorité de nos concitoyens, qui sont pourtant, pour des millions d’entre eux, dans des situations dramatiques.

Plusieurs collègues de mon groupe interviendront dans le débat pour illustrer de manière très précise ces retards et ces reculs, que nous condamnons. Je me limiterai donc à en souligner succinctement quelques-uns. Ils sont tout à fait révélateurs d’un « nouvel état d’esprit » qui, en définitive, décrédibilise les déclarations du Gouvernement et du Président de la République concernant l’exigence d’égalité des chances et des droits tout au long de la vie pour nos concitoyens en situation de handicap.

Ce recul est manifeste en matière de ressources.

La précarité touche toujours une grande partie des personnes en situation de handicap. Nombre d’entre elles se trouvent en effet sous le seuil de pauvreté.

Le Gouvernement a accru leurs difficultés en imposant aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, les déremboursements de médicaments, la hausse du forfait hospitalier, les franchises médicales. En outre, les bénéficiaires de l’AAH, toujours en dessous du SMIC, voire du seuil de pauvreté, n’ont pas droit à la CMU complémentaire.

Il en va de même dans le domaine de l’emploi.

Selon le baromètre « emploi et handicap », 55 % des entreprises – un peu plus d’une entreprise sur deux – ne comptent aucun handicapé dans leurs effectifs. Voilà la situation vingt-deux ans après le vote d’une loi visant à obliger l’emploi de travailleurs handicapés dans les entreprises du milieu ordinaire !

Nonobstant cette violation manifeste de la loi, que constatons-nous ?

Le Gouvernement, à la veille de Noël 2009, a concédé un délai supplémentaire de six mois aux entreprises de vingt à quarante-neuf salariés qui n’étaient pas en conformité avec la loi, au lieu d’appliquer les sur-contributions financières prévues par celle-ci. Ce délai supplémentaire est d’autant plus déplorable qu’il s’adresse à des entreprises n’ayant engagé aucune action en faveur de l’emploi des personnes handicapées, telle que, par exemple, l’achat de fournitures auprès d’entreprises du milieu protégé.

Ce n’étaient donc pas les conditions qui manquaient de s’exonérer de tout ou partie de la contribution à verser à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’AGEFIPH, ou au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP ! De plus, rappelons que les entreprises disposaient de cinq ans pour se préparer à cette échéance.

Ce report de six mois de l’application de la sur-contribution est un signal fort et un gage donné à ceux qui ne respectent pas la loi. Cela est déplorable ! De même qu’est déplorable la situation dans la fonction publique, où le quota de 6 % d’emplois de travailleurs handicapés dans les effectifs est loin d’être atteint, sans parler de l’éducation nationale, qui continue de jouir d’une dérogation tout à fait contestable.

Ces retards et reculs sont flagrants dans l’accessibilité.

Durant l’année 2009, le Gouvernement a tenté à plusieurs reprises d’étendre les possibilités de dérogation aux règles d’accessibilité prévues par la loi, y compris pour le cadre bâti. Le 21 juillet 2009, le Conseil d’État a dû annuler un décret de mai 2006 visant à accorder toute une série de dérogations remettant en cause le principe d’accessibilité.

Quelques mois plus tard, le Gouvernement a, cette fois, tenté de modifier directement la loi du 11 février 2005 par le biais de la loi de finances rectificative pour 2009 en instaurant des dérogations pour les constructions de bâtiments neufs. Heureusement, le Conseil constitutionnel, alerté, a censuré l’article en cause !

Encore actuellement, des députés de la majorité, à l’occasion de l’examen du projet de loi Grenelle II, viennent de déposer deux amendements visant à nouveau à introduire des dérogations au principe d’accessibilité en matière de cadre bâti.

Ces pratiques gouvernementales et parlementaires sont condamnables. Elles visent à privilégier les intérêts des investisseurs immobiliers au détriment de ceux des personnes en situation de handicap. Ce mode opératoire n’est pas correct et nous interroge sur la volonté réelle du Gouvernement de voir les obligations de cette loi totalement respectées.

Se pose aussi pour les collectivités territoriales le problème aigu du financement de l’accessibilité, notamment en matière de transport, auquel ne répond pas le Gouvernement.

On constate les mêmes reculs pour le droit à la compensation.

La remise en cause du plan personnalisé de compensation, le PPC, pourtant l’une des pièces centrales du dispositif de compensation prévu par la loi du 11 février 2005, ne laisse de nous inquiéter. En effet, en décembre dernier, un amendement voté dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, est revenu sur le caractère inéluctable de cette aide en rendant « optionnel » le plan personnalisé de compensation. Cette disposition laisse aux équipes pluridisciplinaires des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, la décision d’élaborer ou non un plan personnalisé de compensation. Compte tenu de la charge de travail des MDPH, qui est par ailleurs dénoncée, ce plan risque d’être progressivement abandonné, ce qui serait extrêmement regrettable.

Enfin, le Gouvernement se désengage progressivement de l’enjeu, pourtant primordial, de la scolarisation.

Pour les associations de personnes handicapées, il s’agit d’une déresponsabilisation. On assiste à une remise en cause, insidieuse là aussi, des dispositions de la loi du 11 février 2005, qui visent à « confier » à l’éducation nationale la gestion des auxiliaires de vie scolaire, ou AVS, personnel si précieux pour les enfants en situation de handicap. Aux termes de l’article 44 de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, les dispositions en vigueur concernant l’accompagnement des élèves handicapés en milieu scolaire ordinaire ont en effet été modifiées. Ainsi, « l’aide individuelle […] peut […] être assurée par une association ou un groupement d’associations ayant conclu une convention avec le ministère de l’éducation nationale ».

Cette disposition remet directement en cause l’esprit de la loi du 11 février 2005 en matière de scolarisation. Comment peut-on parler d’école inclusive si, demain, les familles des personnes handicapées doivent rechercher elles-mêmes des associations gérant des auxiliaires de vie scolaire ?

Les enfants en situation de handicap ont droit à l’éducation publique comme tout le monde. Nous demandons donc que l’éducation nationale continue de gérer et de former directement les auxiliaires de vie scolaire et que la pérennité de leur statut soit assurée afin que les enfants concernés puissent bénéficier de la même éducation que les enfants valides. Nous souhaitons également que la formation des enseignants intègre le fait que ceux-ci, au cours de leur carrière, auront à enseigner à des enfants en situation de handicap et devront tenir compte de leurs besoins.

S’agissant des maisons départementales des personnes handicapées, nous aurons l’occasion de faire valoir nos observations et nos propositions lors de l’examen de la proposition de loi les concernant, qui sera soumise à notre assemblée dans quelques semaines.

Je me limiterai donc à signaler que les MDPH sont asphyxiées par le refus de l’État de compenser les postes vacants, contraignant les départements à intervenir toujours plus sur le plan financier, alors que le Gouvernement n’a de cesse de diminuer leurs ressources. Pourtant, l’État s’était engagé à compenser financièrement les emplois non mis à la disposition des MDPH ; il ne l’a pas fait en 2008 et seulement en partie en 2009. À la fin de l’année 2009, le montant cumulé de sa dette s’élèverait à 34 millions d’euros, ce qui devient une charge insupportable, comme le dénoncent les présidents de conseils généraux.

Nous profiterons aussi de ce débat pour évoquer le dossier sensible des retraites pour les personnes handicapées et leurs proches. Écarté de la loi du 11 février 2005, ce dossier revêt aujourd’hui un fort caractère d’urgence alors que se profilent pour les mois à venir des modifications législatives d’envergure concernant les pensions de retraite de nombre de nos concitoyens. Certains de mes collègues interviendront donc sur ce sujet.

Je ne saurais terminer mon intervention sans faire part de l’inquiétude de nombreuses associations dont nous avons auditionné les représentants de voir le Gouvernement exclure le handicap du débat sur le cinquième risque, qui s’engagera cette année. Nous partageons cette inquiétude.

Ce débat ne peut, à l’évidence, se limiter aux seuls enjeux du vieillissement de la population. Nous souhaitons donc que la question du cinquième risque soit appréhendée d’un point de vue global, dans la perspective de voir ces discussions déboucher sur une réforme ambitieuse et cohérente fondée sur un droit universel à compensation, reposant sur un système de financement par la solidarité nationale. Cette réforme s’inscrit dans une volonté politique affirmée d’amélioration et de simplification des droits pour toute personne se retrouvant dans une situation de diminution ou de perte d’autonomie temporaire ou durable.

Le débat sur le bilan de la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 qui nous réunit aujourd’hui n’est pas mineur. Il doit nous permettre de renforcer notre vigilance concernant les politiques en faveur des personnes en situation de handicap et mobiliser notre capacité d’indignation lorsqu’on tente de les détourner. Il doit réaffirmer une ambition sociale, partagée par tous les membres de notre assemblée – j’en suis persuadé –, celle de garantir à tous nos concitoyens ce droit fondamental qu’est le droit à la dignité.

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