Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 constitue une avancée législative majeure : elle fait honneur au gouvernement qui en a pris l’initiative et au Parlement, qui l’a votée.
Dans notre pays, il aura fallu attendre 1975 pour qu’un premier texte ambitieux prenne véritablement en compte les attentes de nos concitoyens en situation de handicap. Trente ans plus tard, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées allait bien au-delà : ces personnes y sont considérées non plus seulement comme des allocataires bénéficiant, peu ou prou, de la solidarité nationale, mais comme des citoyens responsables, dignes, soucieux de prendre en charge leur propre destin.
Le débat d’aujourd’hui nous invite à faire un bilan d’étape des multiples aspects de la loi cinq ans après son adoption. Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’évoquerai que trois d’entre eux, afin de pointer leurs dysfonctionnements : l’accueil, la compensation, l’accessibilité.
S’agissant d’abord de l’accueil, les maisons départementales des personnes handicapées, ou MDPH, véritables guichets uniques destinés à accueillir, orienter et accompagner les personnes handicapées ou leur famille, ont été créées et organisées en groupements d’intérêt public. Le statut retenu par le législateur a pour intérêt de rassembler dans une même structure les quatre principaux acteurs de la politique du handicap à l’échelon local – conseil général, État, caisse primaire d’assurance maladie, caisse d’allocations familiales –, ainsi que les associations représentatives et les mutuelles.
L’expérience a cependant montré qu’il était difficile de faire travailler ensemble des agents provenant d’administrations différentes, avec des grilles de traitement, des avantages, des primes, voire des congés différents. Ainsi, les agents relevant de l’inspection académique – gestionnaires, psychologues et médecins scolaires – bénéficient-ils des congés scolaires. On ne saurait le leur reprocher, mais force est de constater que cela, entre autres, entraîne des dysfonctionnements dans la vie des MDPH.
Et l’incertitude quant au financement de l’État n’arrange pas la situation !
La loi a confié au département la tutelle administrative et financière des MDPH sans pour autant lui donner toute latitude dans la gestion de celles-ci. Il est indispensable de faire évoluer ce statut et de confirmer le département dans son rôle de chef de file de la MDPH. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir au mois de juin, lors de l’examen de la proposition de loi qui leur est consacrée. Dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre le 20 avril dernier, Pierre Jamet préconise de laisser à l’échelon local le soin de tester des formules juridiques différentes – établissement public, intégration dans les services – par voie de convention. Une évaluation contradictoire au bout de trois ans permettrait d’identifier les améliorations significatives.
J’en viens maintenant à la compensation, qui constitue l’une des principales innovations de la loi de 2005. La loi de 2002 prévoyait que la compensation relevait de la solidarité nationale. La loi de 2005 était censée concrétiser ce principe. Il faut bien admettre que les modalités de financement ne permettent pas d’assurer une compensation totalement satisfaisante, et ce, à mon sens, pour deux raisons.
La première raison, c’est que le plan personnalisé de compensation du handicap, qui comprend le projet de vie, est évalué par des équipes pluridisciplinaires parfois insuffisamment formées. Ce n’est pas anecdotique : si les besoins réels des personnes handicapées ne sont pas bien évalués, la compensation peut se transformer en miroir aux alouettes.
La seconde raison, c’est que les fonds de compensation dysfonctionnent. La loi avait prévu qu’ils compenseraient le reste à charge pesant sur les bénéficiaires. Toutefois, si la prestation de compensation du handicap, la PCH, est bien une prestation légale, l’aide versée par les fonds ne l’est pas : elle est une sorte de variable d’ajustement.
En pratique, on constate que ces fonds ne jouent pas pleinement leur rôle, précisément parce qu’ils sont facultatifs. Le département est de plus en plus souvent seul à contribuer, les autres acteurs – la CAF, la CPAM, les mutuelles, voire la région – ne participant pas ou ne le faisant qu’insuffisamment parce qu’ils n’y sont pas contraints par la loi. Le département ne pouvant pas couvrir l’intégralité de la charge, il a souvent la tentation de se désengager.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les tarifs des services d’aide à la personne fixés par voie réglementaire impliquent mécaniquement de forts restes à charge pour les personnes handicapées. Ces tarifs sont notoirement sous-évalués : 18 euros le tarif horaire prestataire, c’est peu ; 16 euros le tarif horaire mandataire, c’est également peu ; mais 12 euros le tarif horaire en cas d’emploi direct d’une aide professionnelle de qualité, charges comprises, c’est vraiment très peu !
Certes, ce dernier cas n’est pas majoritaire. Il n’en demeure pas moins que l’on pénalise ceux qui font le choix de l’autonomie et qui permettent à la société de réaliser des économies. Les personnes qui choisissent le gré à gré ont en effet pour la plupart une activité professionnelle. Elles renoncent ainsi à l’AAH et optent pour un mode d’aide dont le tarif est le plus bas. Ce sont elles qui, compte tenu du tarif en vigueur, se retrouvent avec le plus fort reste à charge, lequel ne pourra pas être compensé par le fonds, pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure.
En outre, du fait des tensions budgétaires qu’ils connaissent, les fonds jouent sur les avances de trésorerie consenties par les bénéficiaires, lesquels sont remboursés très longtemps après avoir présenté le justificatif de leurs dépenses.
En résumé, l’amélioration de la formation des équipes pluridisciplinaires doit être une priorité dans la mesure où elles sont la matrice du projet de vie. Dans les fonds de compensation, le département doit pouvoir compter sur un soutien plus affirmé, voire obligatoire, de ses partenaires. Quant aux mécanismes de financement, leur amélioration passe inéluctablement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. Il ne faudrait pas que les excédents soient détournés de leur objet principal.
Pour terminer, j’évoquerai l’accessibilité, fondamentale dans la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Une chose est de verser des prestations, une autre est de permettre à tous de participer à la vie civique, sociale, culturelle et sportive. Une telle participation suppose obligatoirement l’adaptation des bâtiments publics, ainsi que des aménagements de voirie.
Si, dans l’absolu, tous les décideurs acquiescent à de tels projets, dans la pratique, c’est moins évident. Et ce problème, mes chers collègues, concerne tant la majorité que l’opposition. Ainsi, je me souviens que l’un de nos éminents collègues, parti depuis sous d’autres cieux, avait été applaudi sur toutes les travées lorsqu’il nous avait proposé, voilà trois mois, au détour d’un amendement, le gel de ces normes pour deux ans.
Peut-être les élus locaux – et j’en suis un – ont-ils des excuses. J’ai été très longtemps président de l’association des maires du Rhône et je n’ai pas oublié ce que m’ont toujours dit mes collègues, qu’ils soient élus ruraux ou urbains. S’il ne faut pas leur jeter la pierre, il faut néanmoins leur rappeler que la différence entre un handicapé et un élu, c’est que le handicapé n’a pas choisi de l’être alors que l’élu a, lui, fait en sorte de le devenir.