Intervention de Marie-Thérèse Hermange

Réunion du 12 mai 2010 à 14h45
Débat sur l'application de la loi de 2005 sur le handicap

Photo de Marie-Thérèse HermangeMarie-Thérèse Hermange :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsque nous avons voté la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, sous votre impulsion, cher Paul Blanc, Jean Vanier n’avait pas encore formulé ces propos : « La personne handicapée est un homme à l’envers pour remettre les autres à l’endroit. »

Pourtant, intrinsèquement, c’est sans doute cette réflexion qui nous a amenés à réviser la loi de 1975 pour nous remettre à l’endroit par rapport au handicap quand celui-ci nous crie : « J’ai besoin de toi !»

Cette loi a une dimension anthropologique puisqu’il s’agit de mieux replacer la personne handicapée au cœur de la vie quotidienne.

C’est la raison pour laquelle, dans cette loi, nous avons institué une nouvelle norme, celle de l’accessibilité. C’était une nécessité, tant nous savions que dans nombre de lieux publics correspondant à des services publics, métros, quais de gare, hôpitaux, écoles, lycées, collèges, musées, l’accessibilité n’était pas une réalité ; hélas, malgré la loi de 2005, elle n’en est toujours pas une aujourd’hui.

Il s’agit à présent pour nous de tirer le bilan de l’application de la loi, mais aussi de faire bilan vis-à-vis de nous-mêmes, en repensant notre regard sur la façon d’accueillir la personne handicapée.

Je dirai d’abord un mot du bilan d’application.

Sans revenir sur la précarité des AVS, sur la gouvernance des MDPH et sur l’AAH – et j’espère, madame la secrétaire d'État, que le décret annoncé ne lésera pas les personnes handicapées –, je voudrais tout simplement faire part des réponses des institutions que j’ai interrogées et qui m’ont répondu, à savoir le Sénat et un lycée parisien.

En ce qui concerne le Sénat, la question du handicap a fait l’objet d’une réunion de notre bureau le 16 décembre dernier. Il en est ressorti : premièrement, qu’un programme d’amélioration en trois phases d’accessibilité aux locaux avait été décidé à partir de 2009 ; deuxièmement, qu’au titre de l’emploi le Sénat comptait actuellement dix-sept personnes handicapées et que huit autres seraient recrutées d’ici à la fin de 2010 ; troisièmement, que des aménagements de concours et de postes étaient proposés depuis le vote de la loi, mais que certains ne voyaient pas l’intérêt d’une procédure d’aménagement, voire de reclassement, qui peut être vécu comme une « double peine » – c’est ce qu’ont fait prévaloir le médecin de prévention et l’assistante sociale du Sénat.

Il apparaît, d’une part, que ce bilan est modeste, y compris sur le plan financier, mais encourageant et, d’autre part, que l’on ne peut jamais nier le facteur humain par rapport aux normes mises en place.

C’est la même réalité aujourd’hui qui fait écrire au proviseur d’un grand lycée parisien dans un courrier qu’il m’a adressé : « Je suis au regret de vous informer que rien n’a été fait au regard de l’accueil des handicapés, dans nos locaux prestigieux, classés “monuments historiques” […]. Nous ne pouvons donc accueillir aucun élève ni personnel à mobilité réduite. Le conseil administration a dernièrement réitéré la demande de mise en conformité auprès des collectivités territoriales », en l’occurrence le maire de Paris et le président de la région d’Île-de-France.

Je vous ai livré ces propos pour souligner que le chemin à parcourir est encore long en matière d’accessibilité. Cela étant, pour se donner bonne conscience, n’institue-t-on pas un humanisme procédural, excessif, tant il est vrai, d’une part, que l’intégration systématique signifie une société de normalisation, incompatible avec certains handicaps, et, d’autre part, que l’accessibilité physique ne règle en rien l’ensemble des problèmes du handicap ?

J’en veux pour preuve ce troisième témoignage, celui de parents qui, constatant le coût des travaux à réaliser pour intégrer leur fils handicapé dans un établissement, ont préféré une approche plus humaine : à la suite d’une suggestion du proviseur du lycée, les élèves ont accepté d’être solidaires et de se relayer pour accueillir l’enfant dans l’établissement.

Nous devons donc également faire bilan sur nous-mêmes, repenser sans cesse nos habitudes et modifier l’idée que nous avons du handicap. À nous en dispenser, nous nous privons du regard humain que nous adresse la vulnérabilité du handicap.

Il faut accepter ce qui est visage de l’autre tout en sachant que « ce qui est spécifiquement visage est ce qui ne s’y réduit pas », car toute personne dépasse la matérialité de son corps. À ne pas se plier à cet exercice, on masque l’épreuve pour ne retenir que ce qui est d’ordre opératoire, maîtrisable et rationnel.

À cet égard, je ferai deux observations.

Ma première remarque a trait à la définition du handicap. L’article 2 de la loi du 11 février 2005 donne pour la première fois une définition légale du handicap en disposant que « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

Or l’Assemblée nationale, par la voix d’un député de l’opposition, veut revenir sur cette définition en proposant de parler non plus de « personne handicapée », mais de « situation de handicap ».

Or dire que le handicap n’est que de situation peut conduire à nier un état de fait, une souffrance, qui existera au-delà de tous les mots. Et d’être masquée, la souffrance est avivée. Une société qui n’arrive pas à pallier les déficiences de ses membres les plus faibles est elle-même en situation de handicap, car c’est son incapacité qui gêne la participation sociale des intéressés.

Non, mes chers collègues, l’homme n’est pas qu’un être en situation : même dans des situations considérées comme indignes, il reste un individu digne de respect !

Dans Éloge de la faiblesse, Alexandre Jollien dit « ne pas fuir le handicap ». Il écrit : j’accepte que « jamais je ne serai normal ».

Est-il plus facile de dire « cet homme infirme moteur cérébral n’est pas une personne handicapée, mais simplement une personne en situation de handicap », en se focalisant exclusivement sur les normes et les structures, ou de dire « cette personne est une personne handicapée », en changeant son regard pour la voir comme une personne ?

Cela revient à poser la question du sens de la dissemblance, de la distinction trop rapide que nous faisons entre ce qui est normal et ce qui est anormal.

À ne pas mieux appréhender cette question, nous nions ce qui nous gêne le plus, à savoir notre égale humanité partagée avec la personne handicapée dont on parle peu : la personne handicapée mentale.

Le 6 juillet prochain, le Sénat projettera un film sur cette minorité invisible et inaudible de 700 000 hommes et femmes qui a une immense soif d’être entendue. Vous êtes tous invités à cette projection. Cette manifestation est une bonne occasion d’écouter ces personnes afin de sortir de l’injonction administrative et exclusivement légale, de regarder cette humanité inédite pour lui dire à notre tour : désormais, je ne parle plus à ta place ; j’ai besoin de toi parce que ton « savoir-être » est une leçon pour notre savoir-faire.

Cette projection est également une bonne occasion d’écouter les personnes handicapées mentales à la veille de la révision de la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004 : alors que la loi du 11 février 2005 a pour objet de garantir à toute personne handicapée l’accès aux droits fondamentaux reconnus à l’ensemble des citoyens, il convient de nous interroger plus largement sur la façon dont la société opère, selon le Conseil d’État, « une pratique individuelle d’élimination presque systématique » de 96 % des cas de trisomie 21 détectés. Dans le même temps, la recherche pour guérir la trisomie 21 est peu subventionnée par l’État quand le dépistage est, lui, richement pourvu.

Cela pose le problème de l’accessibilité à la vie pour la personne handicapée trisomique.

Pour combien de temps encore restera valide le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » ?

Mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 est un bon début ; mais elle n’est qu’un début. Elle a été rendue possible grâce à l’investissement de nombreuses personnes : je pense aux familles, dont on ne parle pas beaucoup et dont certaines ont décidé de donner leur vie pour faire grandir leur enfant, aux associations, à deux Présidents de la République – Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy –, à des ministres et à des parlementaires.

Beaucoup des objectifs fixés par la loi doivent être atteints à l’échéance de 2015. Osons espérer qu’un nouveau débat de contrôle aura lieu dans notre assemblée d’ici là.

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