Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui illustre le rôle du Parlement en matière de transposition des directives européennes.
Les assemblées parlementaires sont naturellement amenées à adopter des textes de transposition, mais elles peuvent aussi contrôler la préparation de cette dernière par le Gouvernement et ses services. Une telle intervention n’est certes pas fréquente, mais elle gagnerait sans doute à se développer, en particulier pour les directives les plus importantes.
Tel est le cas de la directive relative aux services dans le marché intérieur, adoptée au mois de décembre 2006 et dont la transposition devait intervenir avant le 28 décembre dernier. La commission des affaires européennes a été très attentive à la préparation de la transposition de ce texte, lui consacrant deux rapports d’information, aux mois de février 2008 puis de juin 2009.
La directive « Services », en effet, n’est pas une directive comme les autres, et cela à plusieurs égards.
Sur le plan politique, elle a fait l’objet de débats très nourris, empreints parfois de propos polémiques. On se souvient de la controverse très médiatisée sur la directive Bolkestein et le fameux « plombier polonais », sans doute attisée par la proposition initiale – quelque peu maladroite, avouons-le – de la Commission européenne, qui souhaitait fonder son texte sur le principe du pays d’origine ; or ce dernier suscitait – à juste titre d'ailleurs, je le répète – de nombreuses interrogations et inquiétudes. Cette polémique a incontestablement contribué à brouiller la compréhension des véritables enjeux du texte, qui sont considérables.
La directive « Services » doit permettre de réaliser un véritable marché intérieur des services, secteur qui représente 70 % de l’économie européenne. Pour ce faire, elle facilite l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour ces derniers.
Ses dispositions ne s’appliquent pas à plusieurs domaines relevant de législations spécifiques, tels que le droit pénal, le droit du travail, la sécurité sociale ou encore la libéralisation des services d’intérêt économique général ou la privatisation d’organismes publics prestataires de services.
Toutefois, son champ d’application est très large, même si différents types de services en sont exclus, par exemple les services financiers, les soins de santé ou les services de sécurité privée.
Les enjeux d’une bonne transposition de la directive « Services » sont considérables, non seulement pour le marché intérieur européen, mais aussi pour la France. Ce texte recèle d’importantes opportunités en matière de simplification administrative, et, dans la conjoncture dégradée que nous connaissons, il peut contribuer à faciliter la sortie de crise. Il représente une chance pour les entreprises françaises, bien placées en matière de services, et devrait notamment offrir des opportunités aux PME.
De ce point de vue, j’appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité de ne pas relâcher les efforts en matière de réforme de l’État. Le contexte actuel n’est certes guère porteur, mais il ne faudrait pas que la crise relègue la transposition de la directive au second rang des priorités. Au contraire, cet exercice fait partie des réformes structurelles propices au retour de la croissance et des créations d’emplois. À cet égard, le succès du statut de l’auto-entrepreneur démontre les attentes en matière de formalités administratives simplifiées.
Comment la transposition de la directive « Services » s’est-elle déroulée ?
Cet exercice a été l’occasion pour les États membres de nouer des relations étroites avec la Commission européenne, qui a coordonné leurs travaux de transposition et leur a apporté son assistance technique. J’ai pu moi-même constaté que notre pays avait participé de façon active.
Pour transposer la directive « Services », la France a fait le choix de ne pas invoquer l’article 38 de la Constitution pour recourir aux ordonnances. Je me félicite de cette décision, qui a le mérite de permettre au Parlement de débattre des mesures de transposition. La France a également écarté la solution, retenue par certains États membres, d’une loi-cadre, qui me semble peu appropriée pour transposer un texte aussi technique, dont le champ est particulièrement large et transversal.
La transposition est donc effectuée par l’instillation de plusieurs dispositions dans différents projets ou propositions de loi. Je n’en donnerai que quelques exemples, de crainte de me livrer à un exercice fastidieux : la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, qui a notamment confié la mise en place des guichets uniques aux centres de formalités des entreprises, ou la loi de développement et de modernisation des services touristiques du 22 juillet 2009.
Cette méthode permet de mieux adapter la transposition aux différents secteurs sur lesquels elle porte, mais présente toutefois deux inconvénients.
D’une part, elle rend la transposition moins lisible.
Les enjeux de la transposition de la directive « Services » ne sont pas toujours bien compris. Je pense que nous avons été nombreux dans cet hémicycle à être saisis par des professionnels inquiets des effets de la directive sur leurs conditions d’exercice. Le plus souvent, un examen de leur dossier a révélé que ces professions n’étaient pas concernées par cette directive ou que les évolutions potentielles ne leur étaient pas imputables. C’est par exemple le cas des notaires. La Commission européenne a certes engagé un recours contre les conditions d’exercice de cette profession dans notre pays, mais ce dernier n’est pas motivé par la directive « Services » qui exclut explicitement les notaires de son champ d’application.
L’évolution de nombre de professions réglementées n’est pas liée à la transposition de la directive « Services », mais relève d’une politique d’ensemble de modernisation de certains secteurs, celle du système judiciaire par exemple. Ainsi le rapport que Me Jean-Michel Darrois a consacré aux professions du droit évoque-t-il à peine les conséquences de la transposition de cette directive. La confusion existe cependant et, faute d’information, risque de faire jouer à la directive « Services » un rôle de bouc émissaire.
Je souhaite donc, madame la secrétaire d'État, que vous nous indiquiez les mesures que le Gouvernement a prises ou prendra pour faire mieux connaître les implications de la directive « Services » auprès des professions réglementées et des milieux professionnels, en général. Pouvez-vous nous informer sur le lancement d’éventuelles campagnes de communication ?
D’autre part, la méthode de transposition retenue par le Gouvernement ne permet pas de pleinement respecter l’échéance, en raison de l’encombrement de l’ordre du jour des assemblées.
La transposition de la directive « Services » devait être achevée le 28 décembre dernier. Force est de constater qu’elle ne l’est pas complètement, ni en France ni d’ailleurs dans la plupart des États membres. Selon la Commission européenne, vingt pays, dont le nôtre, n’ont pas achevé la transposition.
Certes, compte tenu de l’ampleur des travaux que requiert une transposition complète et définitive de ce texte, une approche réaliste a prévalu, consistant à transposer la directive de façon progressive. La transposition ne doit en effet pas être bâclée. Il n’en demeure pas moins que la Commission européenne a indiqué à plusieurs reprises qu’elle ne ferait pas preuve d’une indulgence particulière avant de déclencher les procédures d’infraction en cas de retard de transposition.
Or un nombre non négligeable de mesures de transposition ne sont toujours pas définitivement adoptées. Plusieurs d’entre elles figurent dans des textes en cours d’examen devant les assemblées parlementaires, et il n’est pas certain que ces derniers soient tous votés avant la rentrée. Je pense, par exemple, au projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel, qui prévoit la fusion des professions d’avocat et d’avoué, à la proposition de loi tendant à modifier la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, à la proposition de loi visant à encadrer la profession d’agent sportif ou encore à la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous donner des éléments quant au calendrier de l’examen des différents textes contribuant à cette transposition qui sont actuellement en navette ? Comment évaluez-vous le risque et les conséquences d’un éventuel recours en manquement pour retard de transposition ?
J’en viens maintenant aux guichets uniques prévus par la directive « Services » pour fournir des informations facilement accessibles aux prestataires et aux destinataires de services et pour permettre aux prestataires d’accomplir l’ensemble des procédures et formalités relatives à l’accès et à l’exercice des activités de services à distance et par voie électronique. Les guichets uniques constituent l’une des dispositions les plus novatrices de la directive « Services ». Leur bon fonctionnement permettra de se prononcer sur le succès de ce texte et d’en tirer toutes les opportunités.
En France, les guichets uniques électroniques sont ambitieux. Ils doivent fournir trois types de services : tout d’abord, permettre la création d’entreprises de façon totalement dématérialisée, ensuite, délivrer des informations sur les professions concernées, sous formes de fiches, enfin, effectuer des procédures administratives.
Le portail électronique de la création d’entreprise a été ouvert au mois de janvier dernier. S’il délivre effectivement un certain nombre d’informations sur les professions du secteur des services, ce guichet unique ne permet pas encore d’effectuer des procédures administratives en ligne.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous présenter un premier bilan de l’utilisation de ce site Internet et nous apporter des précisions sur la date à laquelle les procédures administratives pourront être effectuées en ligne et sur la disponibilité d’informations dans d’autres langues, notamment en anglais, afin que le guichet unique français puisse être véritablement utilisé par les prestataires de services des vingt-six autres États membres ?
La période actuelle est particulièrement importante. La transposition de la directive « Services » n’est pas achevée. L’année en cours nous donne l’occasion de mesurer les premiers effets du texte et aussi d’adopter les dernières mesures de transposition. Par ailleurs, les États membres ont dû présenter à la Commission européenne un rapport de synthèse sur les différentes dispositions qu’ils ont introduites pour transposer la directive ; la France l’a fait le 20 janvier dernier. Ces rapports sont transmis à l’ensemble des États membres, appelés à formuler leurs observations dans le cadre d’une procédure d’évaluation mutuelle. Cet exercice est important, car il incite les États membres à coopérer lors de la mise en œuvre de la directive.
En effet, il ne faudrait pas qu’un retard trop important de certains États membres introduise une distorsion de concurrence qui pénaliserait les États les plus avancés, dont les prestataires de services ne pourraient bénéficier d’une bonne transposition de la directive à l’étranger, contrairement aux ressortissants des États retardataires.
La Commission européenne doit ensuite déposer un rapport d’ensemble sur l’application de la directive « Services », accompagné, le cas échéant, de propositions de modifications. Selon moi, il n’est d’ailleurs pas inenvisageable que certains secteurs aujourd’hui exclus du champ de la directive y soient à l’avenir intégrés, à la demande des professionnels eux-mêmes, qui trouveraient finalement un intérêt à être couverts par les dispositions du texte, certaines des exclusions actuelles ayant des justifications plus politiques qu’économiques. Laissons encore à ces professions le temps de la réflexion.