Les membres du groupe socialiste déplorent plus encore que le Gouvernement profite de la directive et, au-delà, de l’Europe qu’il érige en bouc émissaire, pour laisser entrer dans le champ de la directive générale des secteurs aussi sensibles que l’accueil collectif de la petite enfance, l’aide à domicile ou encore le soutien scolaire, en d’autres termes pour les abandonner à la libre concurrence.
Ce choix, opéré en connaissance de cause, signifie concrètement que la réglementation en termes de tarif ou de qualité de la prise en charge de populations vulnérables, comme les personnes aux revenus modestes ou encore les personnes handicapées, ne sera plus nécessairement garantie.
Pour ma part, je me refuse à faire porter à l’Europe une responsabilité qui n’est pas la sienne.
Contrairement à la France, de nombreux pays européens, comme l’Allemagne, ont fait d’autres choix, notamment celui d’exclure du champ de la directive tout le secteur de la petite enfance. Du reste, leur choix ne se comprend que trop. Il ne fait aucun doute que l’accueil des enfants âgés de moins de six ans et ceux de moins de trois ans participe à l’éducation et relève donc des missions d’intérêt général.
En France, sous couvert d’une transposition sectorielle, le Gouvernement a fait un choix politique. Il a trié les secteurs d’activités et jugé en fonction des intérêts politiques du moment s’il fallait les soumettre aux lois du marché ou non.
Par exemple, en dérégulant le secteur de la petite enfance, le Gouvernement trouve là un moyen facile de remplir l’objectif des 200 000 places supplémentaires promises par le candidat à la présidence de la République lors de sa campagne électorale. Ce choix s’inscrit, en effet, dans un ensemble de mesures gouvernementales qui, sous le prétexte de développer l’offre d’accueil de la petite enfance, tend en réalité à dégrader la qualité du service.
Si la transposition de la directive permet au Gouvernement d’assouplir la réglementation en vigueur, d’autres mesures ont déjà été prises pour permettre aux assistantes maternelles d’accueillir, en se regroupant, un plus grand nombre d’enfants.
L’un de vos projets de décret, madame la secrétaire d'État, entend également réduire le nombre et la qualification des personnels dans les structures d’accueil collectif.
Je partage donc, pour ma part, les préoccupations du collectif « Pas de bébés à la consigne ». On le voit une fois de plus, la tyrannie du court terme fragilise les visions à moyen et long termes.
De mon point de vue, le petit enfant doit être non seulement gardé, mais aussi éduqué, et les conditions tant matérielles qu’humaines de cette éducation doivent être réunies dans le cadre d’un service public de qualité.
En définitive, le Gouvernement avalise le principe d’un système social à deux vitesses : un segment non rentable accueillant les populations vulnérables et un segment performant à destination des personnes plus aisées. Or telle n’est pas la philosophie de notre modèle social. Nos services sociaux ne sont pas destinés à servir de « voitures balais » pour les plus démunis. Ils ne sauraient pas davantage être assimilés à de l’aide caritative. Notre modèle social est, au contraire, fondé sur l’objectif de mixité sociale, de promotion de la diversité et d’innovation sociale.
Mes chers collègues, tout est question de volonté et de choix. Le Gouvernement n’a pas souhaité modifier la législation pour permettre aux services sociaux d’intérêt général d’être conformes aux exigences communautaires qui garantissent leur protection.
S’il était vraiment besoin de souligner l’importance de cet enjeu, je rappelle que l’Association des maires de France, que le Gouvernement s’est d’ailleurs bien gardé de consulter, s’est unanimement opposée à la politique menée sur ce dossier.
Les maires, amenés concrètement à faire appel à l’action de ces services sociaux sur le territoire de leur commune, sont extrêmement attachés à la qualité de nos services publics, qui, par leur nature même, profitent à toutes les catégories de la population.
La proposition de loi que j’avais déposée avait pour objet de présenter des solutions. Elle entendait utiliser au maximum les possibilités offertes par la directive, exclure les services sociaux en interprétant le plus largement possible ce texte et en définissant précisément sa signification en droit français. L’objectif était, au final, de préserver du libre marché le plus grand nombre de services sociaux qui ont une mission d’intérêt général, en maintenant des règles strictes quant à la qualité du service rendu.
J’aurais souhaité que l’interpellation de notre collègue Jean Bizet soit l’occasion pour le Gouvernement de prendre une position claire – cela viendra peut-être ? – s’agissant du sort qui sera réservé aux services sociaux d’intérêt général. Tous les acteurs concernés, toutes tendances politiques confondues, l’ont réclamé avec constance et fermeté.
Tel n’a pas vraiment été le cas lors de l’examen de ma proposition de loi au mois de mars dernier. Je crains que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets. Je le déplore d’autant plus que l’intégrité de notre modèle social reste à ce jour le seul véritable garant de la cohésion sociale de notre pays.