L'enjeu est de taille. Le Président de la République a affirmé à deux reprises, dans un discours à Ussel, au mois d'avril 2002, puis de nouveau à Tulle, en Corrèze, samedi dernier, que « notre espace rural mérite une véritable ambition ». Il est vrai que la ruralité doit être mieux connue, réellement aidée et soutenue de manière efficace. Dans une France devenue largement urbaine, elle doit rester un point d'équilibre. Nous devons, les uns et les autres, nous attacher à la conservation de ses espaces, de sa culture et de ses traditions.
Sans retracer la genèse du projet de loi, je souhaite rappeler les trois ambitions affirmées par Hervé Gaymard et par Nicolas Forissier, ce dernier poursuivant désormais à mes côtés son engagement pour une ruralité vivante.
La première ambition est d'assumer le patrimoine rural qui fait l'identité de notre pays. Nous souhaitons le valoriser, en gardant toujours à l'esprit notre responsabilité à l'égard des générations à venir.
La deuxième ambition est de réguler les évolutions divergentes de nos territoires ruraux, en veillant à en préserver la cohésion. Ce n'est pas à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, que j'apprendrai que la ruralité n'est plus uniforme. Selon les spécificités locales, les enjeux diffèrent profondément.
De manière quelque peu simpliste, nous pouvons distinguer, d'une part, les terres agricoles intégrées aux zones périurbaines, dans lesquelles la pression foncière fait varier la structure des exploitations en raison de la spéculation et du changement d'affectation des terres et, d'autre part, les campagnes plus isolées, qui souffrent souvent d'une désaffection de la part de nos concitoyens en raison de réseaux de communication insuffisants ou mal reliés entre eux. En revanche, sur tout le territoire, de nouvelles zones intermédiaires ont gagné près d'un demi-million d'habitants entre les deux derniers recensements et requièrent un regard et des outils neufs pour rendre leur développement plus harmonieux.
La troisième et dernière ambition de ce texte est de renouveler le contrat social dans les campagnes, en veillant à répondre aux besoins des ruraux qui ne veulent pas changer de vie, mais qui, pour beaucoup, ont déjà profondément changé de mode de vie.
Voilà trois ambitions de grande portée que je reprends aisément à mon compte, en m'appuyant sur ma longue expérience d'élu local.
Ce texte arrive en deuxième lecture au Sénat considérablement enrichi. C'est pourquoi je souhaite vous présenter brièvement les apports résultant du travail de l'Assemblée nationale et la place de ce projet de loi dans le cadre de réflexion et d'action législatif pour la ruralité dans les mois à venir. En effet, une fois que ce texte aura été adopté, il conviendra ensuite de le faire vivre sur le terrain.
Composé à l'origine de soixante-seize articles dans le projet du Gouvernement, il a pris de l'ampleur au fur et à mesure des travaux parlementaires : cent quatre-vingts articles après la première lecture à l'Assemblée nationale, deux cents après la première lecture au Sénat ; il en compte aujourd'hui deux cent trente-trois, après la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Au cours de la deuxième lecture, au mois d'octobre dernier, près de huit cent cinquante amendements ont été déposés sur le texte issu des débats du Sénat. L'examen par l'Assemblée nationale s'est conclu par le vote conforme de cinquante-cinq articles, auxquels s'ajoutent les soixante et un articles que vous aviez votés conformes en première lecture, la suppression conforme de vingt-cinq articles, la suppression de dix articles, la modification de quatre-vingts et la création de trente-sept. Le travail accompli est donc, comme vous pouvez le constater, tout à fait considérable.
Par conséquent, sur les deux cent trente-trois articles du projet de loi issu de la deuxième lecture de l'Assemblée nationale, cent seize, soit la moitié, ne seront plus discutés, ayant été votés conformes. L'autre moitié, soit cent dix-sept articles, est à examiner ; il faut y ajouter dix articles supprimés à l'Assemblée nationale. L'examen du Sénat en deuxième lecture porte donc, mesdames, messieurs les sénateurs, sur cent vingt-sept articles de ce texte.
Ces précisions, qui ne sont pas seulement arithmétiques, font ressortir l'intérêt politique porté au texte soumis à votre adoption. Elles témoignent non seulement du travail fourni par les parlementaires mais aussi de l'écoute du Gouvernement à l'égard des suggestions du Parlement. En définitive, j'en prends d'ores et déjà le pari, le projet de loi comportera beaucoup plus d'articles issus des débats parlementaires que du premier travail gouvernemental. Pour autant, l'économie générale de ce texte n'a pas varié, la structure - chapitres et titres - n'ayant pas été globalement modifiée.
Naturellement, je ne reviendrai pas sur l'ensemble des dispositions du texte adopté à l'issue de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Je concentrerai mon propos sur les mesures phares et sur les thèmes qui seront abordés lors de cette deuxième lecture en suivant la structure du texte déposé. Je laisserai le soin à Nicolas Forissier de développer les questions relatives à l'immobilier, aux aides aux entreprises et à la présence des vétérinaires.
En premier lieu, ce texte vise à accompagner le développement économique et à agir pour l'emploi.
L'objectif de ce texte est d'améliorer le quotidien des territoires ruraux, en particulier des plus fragiles d'entre eux. Les aspects économiques de soutien au développement sont donc essentiels. A cet égard, le statut des zones de revitalisation rurale, auxquelles nous sommes attachés et dont le périmètre a été précisé, est, dans une large mesure, aligné sur celui des zones franches urbaines.
Les modifications concernant les activités économiques en milieu rural sont de portée limitée ; c'est le cas notamment de la rédaction de l'article relatif aux sociétés d'investissement pour le développement rural, les SIDER, modifiée à la marge.
Le chapitre III consacré au soutien des activités agricoles a retenu l'attention en raison du débat relatif à la publicité sur le vin. Vous entendrez sur ce point le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy.
L'emploi est une priorité pour les politiques publiques de notre pays. Ce texte l'illustre clairement en mettant au coeur de ses préoccupations la pluriactivité, c'est-à-dire le cumul d'un emploi public avec un emploi privé dans les petites communes, ou les groupements d'employeurs de remplacement, dispositions votées conformes à l'Assemblée nationale.
A travers l'emploi, bien sûr, l'objectif de cohésion sociale est en jeu. L'Assemblée nationale a manifesté ce souci en votant conforme un article qui permet à un saisonnier de cumuler les périodes de contrats successifs dans une même entreprise pour le calcul de son ancienneté.
En deuxième lieu, ce texte vise à garantir une meilleure offre de services aux populations. L'accès aux services est essentiel à l'attractivité économique, à la qualité du cadre de vie et, plus largement, à l'égalité des chances de nos concitoyens.
Ce texte traite des services publics de proximité. Le Premier ministre en a rappelé l'importance structurante dans nos territoires ruraux. Leur situation et leur évolution seront suivies par la conférence des services publics.
Le projet de loi adapte et simplifie le régime juridique des maisons de service public pour permettre l'accueil de services privés en leur sein, dans le respect des règles de la concurrence. Les modalités de l'association des élus locaux aux décisions de réorganisation de services publics ou de proximité ont fait à nouveau l'objet de débats.
Quant aux services de santé, il s'agit d'en garantir l'égalité d'accès sur le territoire. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie, abordera devant vous la question de l'offre médicale en milieu rural, qu'il s'agisse de l'installation, des pôles de soins, des cabinets de groupe et d'autres sujets encore.
En troisième lieu, les mesures adoptées pour la préservation des espaces spécifiques ou sensibles et la protection de l'environnement doivent s'accompagner de dispositions réglementaires et, surtout, d'une concertation avec les élus au-delà de l'examen de ce texte.
Les aspects relatifs aux forêts privées et aux espaces pastoraux étaient déjà bien stabilisés en première lecture. La deuxième lecture à l'Assemblée nationale a conforté les dispositions relatives aux zones humides et à Natura 2000.
S'agissant du littoral, question qui intéresse nombre d'entre vous, des modifications ont été introduites par l'Assemblée nationale. Elle a distingué la consultation obligatoire du Conseil national pour le littoral pour les décrets relatifs au domaine public maritime des consultations facultatives pour les autres. Le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement sera renforcé par le dépôt du rapport gouvernemental sur l'application de la « loi littoral » tous les trois ans.
Une attention particulière a été portée à la montagne. Sous l'égide de Frédéric de Saint-Sernin, le volet « montagnes » illustre la volonté du Gouvernement de parvenir à l'intégration de tous les territoires de manière à assurer un développement équilibré de notre pays.
Le thème des microcentrales hydrauliques, le rôle des organisations interprofessionnelles pour la dénomination de la qualité des produits de la montagne, les questions environnementales, notamment autour des lacs de montagne, devront être abordés.
En définitive, beaucoup a été fait pour recentrer le texte sur les grands enjeux de la ruralité. L'application de la loi et des dispositifs qui en résulteront fournira la matière de la conférence annuelle de la ruralité qui rendra compte de l'évolution de la ruralité. Une attention particulière sera accordée à la question des services publics en milieu rural.
Certaines propositions qui ont été écartées du projet de loi n'en font pas moins l'objet d'un travail d'approfondissement. Je pense notamment à l'amendement présenté par Ambroise Dupont sur l'adaptation, la réfection ou l'extension des constructions présentant un réel intérêt architectural et patrimonial. Nous essayerons, avec le ministère de l'équipement, d'aboutir à une proposition équilibrée.
En quatrième et dernier lieu, il convient de renforcer les capacités d'intervention de certains établissements publics.
Le Sénat sera appelé à se prononcer sur des dispositions relatives à trois types d'établissements publics : les chambres consulaires, qui pourraient se voir confier la gestion de programmes d'aides de l'Etat ou de l'Union européenne ; l'établissement public de Chambord, notamment dans la répartition de ses compétences avec l'Office national des forêts, et le futur Conseil national du littoral.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comment ce texte s'articule-t-il avec la loi d'orientation agricole ?
La cohérence juridique du texte qui vous est aujourd'hui présenté, mesdames, messieurs les sénateurs, a été renforcée grâce à une rédaction améliorée lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
La matière, très abondante et très diverse, reflète la variété des territoires ruraux en France. Ce texte apporte des outils qui permettront de répondre de manière adaptée à des situations spécifiques.
Il faudra, naturellement, veiller à la mise en oeuvre de ces dispositions. Les décrets d'application devront être publiés dans un délai restreint. J'aurais préféré, pour ma part, qu'ils soient déjà prêts.
J'ajoute que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux doit se comprendre dans son articulation avec la future loi d'orientation agricole.
Les agriculteurs, même s'ils ne sont plus majoritaires au sein de la population rurale, représentent le coeur de nos espaces ruraux. L'activité économique et le développement équilibré des territoires sont étroitement liés. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement va mettre en chantier une future loi d'orientation agricole ; le Président de la République en a de nouveau évoqué le contenu dans son discours à Tulle, samedi dernier.
Cette loi d'orientation agricole se situe dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune et des négociations à l'OMC qui entrent dans une phase très active, avec la perspective de conclure le cycle de Doha en 2006 et la tenue d'une conférence intergouvernementale à Hongkong à la fin de l'année.
Une commission nationale d'orientation avait été installée, sur l'initiative de Hervé Gaymard et de Nicolas Forissier ; elle a réalisé un travail très important, et ce dans toutes les régions. Cette loi d'orientation agricole devra donc dessiner les contours d'une nouvelle agriculture, qui soit « économiquement efficace et écologiquement responsable ».
Dans cette loi, le foncier rural, l'installation des agriculteurs, les métiers de l'agriculture, le dessin d'une nouvelle organisation économique, les nouveaux débouchés -biomasse, bois, énergie issue de l'agriculture - seront abordés.
Je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs - c'est le souhait du Gouvernement et du Premier ministre -, que cette loi soit une loi politique, claire et simple, qui définisse les formes de l'agriculture pour les vingt années à venir. Il faudrait que nous laissions de côté la partie technique et réglementaire et que nous la reportions aux textes d'application, afin d'élaborer un véritable projet de loi qui donne un avenir à notre agriculture ...