Intervention de Frédéric de Saint-Sernin

Réunion du 18 janvier 2005 à 16h00
Développement des territoires ruraux — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il est symbolique, et j'en suis particulièrement heureux, que ce début d'année soit consacré à l'adoption définitive du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

Nombreux parmi vous sont les représentants du monde rural ; j'ai donc bien conscience de l'importance que revêt à vos yeux le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Il s'agit d'un texte essentiel pour l'avenir des « zones rurales » : leurs difficultés, les contraintes qui leur sont propres appellent une réponse ambitieuse de la part des pouvoirs publics. Notre défi est bien de leur donner les moyens de garder leurs spécificités tout en leur permettant de s'intégrer pleinement dans l'économie du XXIe siècle.

Comme nous l'avions évoqué lors de la première lecture devant votre assemblée au mois de mai dernier, ce projet de loi se rapporte largement à la mission qui est la mienne, au côté de Gilles de Robien. L'aménagement du territoire s'incarne dans cette volonté des pouvoirs publics d'apporter à nos concitoyens, quels que soient leur région, leur métier et les obstacles naturels qu'ils rencontrent, les moyens de se sentir pleinement intégrés à notre société et de profiter de façon équitable des retombées du progrès technique, économique et social.

Corriger les déséquilibres est au coeur de ma mission ; donner aux territoires et à leurs habitants les moyens de valoriser leur potentiel est notre volonté à tous.

Le CIADT du 13 décembre 2002 avait donné une nouvelle impulsion à la politique d'aménagement du territoire, en soulignant les défis auxquels est confronté l'espace rural et la nécessité d'une politique volontariste à son égard.

Cette ambition a été confirmée au moins à deux reprises depuis lors, avec le CIADT rural du 3 septembre 2003 et celui du 18 décembre 2003 consacré aux cinquante grands projets, dont nombre d'entre eux touchent de près les territoires ruraux, à travers notamment les réseaux d'infrastructures.

Nous constatons aujourd'hui que les territoires ruraux sont affectés par plusieurs grandes ruptures. Nous les avions évoquées : une inversion démographique, non généralisée mais importante - Nicolas Forissier l'a souligné - ; une image de l'espace rural qui a changé ; un tissu économique qui évolue ; un espace rural de plus en plus diversifié dans ses usages ; un essor des « territoires de projets », à savoir les intercommunalités et les pays.

Tous ces changements appellent une nouvelle forme d'action publique, fondée sur la solidarité en faveur des territoires les plus fragilisés mais aussi sur un appui résolu au dynamisme et à la compétitivité de ces espaces, au profit des hommes et des femmes qui y résident et des activités qui s'y développent.

Au titre de la solidarité, il me paraît important de rappeler, parce que je vous sais attentifs à ce sujet, que le Gouvernement a engagé une réforme des dotations consistant à changer les règles internes de leur répartition afin de renforcer le mécanisme de péréquation. Jean-François Copé, alors ministre délégué à l'intérieur, s'était engagé sur ce point lors de la première lecture.

L'engagement a été tenu puisque, depuis lors, le Gouvernement a pris la décision, conformément au souhait du Comité des finances locales, de créer, au sein de la dotation forfaitaire, le socle des financements de l'Etat aux budgets locaux, une dotation proportionnelle à la superficie, par conséquent favorable aux territoires ruraux qui sont les moins densément peuplés.

La loi de finances pour 2005 a prévu de réformer sur le fond la dotation de solidarité rurale. Elle prévoit, en particulier, un effort financier important pour la fraction de DSR « bourgs centres », notamment en faveur de ceux qui sont classés en ZRR. Cela représente environ 80 millions d'euros supplémentaires par an.

Concernant l'attractivité et de la compétitivité, je suis conscient de l'importance que vous attachez, à juste titre, au développement d'activités économiques, source de vitalité pour vos territoires, ainsi qu'au maintien d'une offre de services publics adaptée aux besoins de nos concitoyens.

En matière de ZRR, je voudrais d'abord rappeler l'importance du volet fiscal, dont cette loi n'est que l'un des vecteurs. En effet, conformément aux décisions du CIADT rural de septembre 2003, certaines dispositions fiscales parmi les plus importantes sont d'ores et déjà entrées en vigueur à travers la loi de finances pour 2004. Tel est le cas de l'exonération d'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui s'installent en milieu rural, dont la durée a été portée de deux à quatre ans. Cette disposition a été renforcée lors de la première lecture devant votre assemblée.

Venons-en à la définition du zonage lui-même. Si je suis toujours très prudent - et même réservé - sur le principe des zonages, dans la mesure où ils peuvent créer des frustrations et ignorer les évolutions d'une zone défavorisée, je crois pourtant qu'il faut maintenir un principe et développer une exigence.

Le principe, c'est celui de la sélectivité : pour qu'il conserve tout son effet bénéfique, le zonage, qui est une forme de rééquilibrage, ne doit toucher que des territoires réellement défavorisés.

Selon la simulation réalisée par la DATAR, le nombre de communes classées et le chiffre de la population concernée seraient légèrement supérieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui. Ainsi, un peu plus de 11 700 communes seraient classées, regroupant 4 662 000 habitants.

Ces chiffres, issus des simulations communiquées à votre commission des affaires économiques, montrent par ailleurs que 10 400 communes environ qui sont actuellement classées le resteraient.

L'exigence, c'est d'articuler le zonage avec les dynamiques de projets, c'est-à-dire de l'inscrire dans le cadre des intercommunalités. La rédaction proposée par le Gouvernement va dans ce sens. Le principe en a été validé devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat.

Par ailleurs, les débats conduits dans les deux assemblées ont permis d'enrichir de façon notable le dispositif permettant d'adapter les mesures législatives et les outils de développement à la hauteur des enjeux auxquels ces territoires sont confrontés.

Ainsi, les ZRR sont à la fois redéfinies et confortées. Elles bénéficient aujourd'hui d'un ensemble de mesures attractives et ciblées sur les activités qui s'implantent dans ces territoires ruraux.

Il s'agit notamment : de l'exonération, jusqu'à cinq ans, de taxe professionnelle pour la création, l'extension ou la reprise d'entreprises industrielles et tertiaires en difficulté, disposition qui a été étendue aux professions libérales par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture ; de l'exonération d'impôt sur les sociétés ou d'impôt sur le revenu, à taux plein durant cinq ans au lieu de deux ans, puis à taux dégressif durant neuf ans au lieu d'un an, pour la création d'entreprises artisanales ou l'installation de professions libérales ; de la prorogation de l'amortissement exceptionnel sur l'immobilier d'entreprise et de l'extension de cette mesure aux travaux de rénovation ; enfin, de l'exonération de cotisations sociales à la charge de l'employeur pour les organismes intervenant en matière sanitaire et sociale.

Vous connaissez les contraintes de notre exercice, qui nous amènent à ne retenir que des dispositions efficaces et offensives compte tenu des enjeux auxquels sont confrontées ces zones.

A cet égard, je n'éluderai pas deux des points majeurs qui sont encore en débat sur les ZRR.

Concernant la reprise d'entreprise, le Gouvernement a entendu les attentes exprimées à l'Assemblée nationale et vous propose une disposition qui, je crois, y répond. Celle-ci vise à accompagner la reprise d'entreprises artisanales et commerciales de moins de cinq salariés en ZRR. Elle complète une autre disposition prévue à ce jour permettant la reprise d'une entreprise en difficulté.

S'agissant de la question de la récupération de la TVA sur les loyers consentis aux entreprises dans les zones où le marché de l'immobilier est peu actif voire quasi inexistant, le Gouvernement vous propose de ne plus retenir une durée d'amortissement fiscal forfaitaire mais de revoir ses instructions pour que, dorénavant, cet amortissement soit apprécié selon la durée de vie réelle du bien immobilier. Cette solution nous semble répondre à la problématique posée tout en restant compatible avec le droit communautaire.

Notre défi consiste aussi à maintenir des services de qualité pour tous. Sur ce sujet particulièrement sensible, notamment dans les territoires ruraux, le Premier ministre a demandé, lors du congrès des maires de France qui s'est tenu en novembre dernier, qu'une conférence nationale soit organisée. Celle-ci sera lancée dans les semaines qui viennent.

Notre ambition est d'offrir des services publics proches des usagers et polyvalents, des services publics, en somme, adaptés aux réalités de ce siècle. Il n'est donc aucunement question d'en priver les territoires ruraux.

Il s'agit également de garantir un accès à des services aussi modernes en milieu rural qu'en milieu urbain. Ces dispositions ne sont pas reprises dans la loi, car elles sont d'ores et déjà mises en oeuvre. Ainsi, la couverture du territoire en haut débit a très fortement progressé cette année pour toucher environ 90 % de la population. La couverture en téléphonie mobile des zones blanches devrait connaître une forte accélération en 2005 après une phase, certes bien trop longue mais néanmoins indispensable, d'identification précise des sites d'implantation des pylônes en 2004. A ce jour, une quarantaine de sites ont été ouverts. Ce n'est peut-être pas suffisant mais rappelons qu'il n'y en avait qu'un seul au printemps dernier.

Une approche moderne des services publics doit s'appuyer non seulement sur les nouvelles technologies rendues disponibles dans les territoires, mais encore sur les attentes des citoyens dans leur diversité.

Pour répondre à ces dernières, les services publics doivent tenir compte des contraintes et des besoins propres à chaque territoire. C'est dans cet esprit que le Gouvernement avait lancé en 2003 des expérimentations pilotes dans quatre départements. Nous avons récemment élargi ce dispositif à onze nouveaux départements. En donnant davantage la parole aux acteurs de terrain, nous voulons encourager les initiatives locales dans ce domaine.

Sur la base de ces expérimentations, un travail important avait été réalisé en première lecture avec votre commission des affaires économiques. Il avait conduit à modifier l'article 29 de la loi Pasqua afin d'adopter un dispositif dont les principes s'articulent autour de trois points : la fixation d'objectifs nationaux d'aménagement du territoire ; la concertation locale avec les élus ; un recours suspensif auprès des ministres de tutelle ou auprès du ministre en charge de l'aménagement du territoire.

Ces principes ne sont pas défensifs. Au contraire, ils visent à ce que le préfet, en liaison avec les élus et en amont des modifications de réseau, engage toute action destinée à garantir l'offre d'accès aux services publics.

Enfin, ils allègent les procédures pour faciliter leur mise en oeuvre tout en garantissant la concertation avec les élus et les autres partenaires dans le cadre de la commission départementale d'organisation et de modification des services publics, la CDOMSP.

Cette réécriture constitue un excellent point d'équilibre. Elle n'a fait l'objet que d'ajustements et de clarifications en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, sans que soient modifiées les orientations voulues par votre assemblée.

Les politiques de montagne font partie de vos préoccupations. Elles ne sont pas absentes de celles du Gouvernement.

Sur ce point, je signalerai simplement que les institutions qui interviennent dans ce qu'on appelle la « gouvernance montagnarde » sont confortées. Ainsi, les comités de massif, installés à l'automne dans leur nouvelle configuration, établiront désormais des schémas de massif, base de la contractualisation entre l'Etat et les collectivités locales.

J'ai eu l'honneur et le plaisir de participer, le 15 octobre dernier, à l'invitation de son président sortant, votre collègue Pierre Jarlier, à l'assemblée générale de l'association nationale des élus de la montagne, l'ANEM. Elle nous a donné l'occasion de tirer un bilan objectif et valorisant des apports de ce projet de loi, dans l'attente naturellement de cette dernière lecture.

En matière d'urbanisme de montagne, les échanges réalisés avec les parlementaires, avant la lecture devant le Sénat et au cours de la navette parlementaire, devraient nous permettre de disposer d'un texte équilibré sur plusieurs sujets : les nouvelles règles de constructibilité le long des rives des plans d'eau de montagne, qui tiennent compte de la topographie des lieux ; la gestion de la « superposition » des lois littoral et montagne autour des lacs de montagne de plus de mille hectares ; les règles d'inconstructibilité le long des grands axes de circulation en montagne.

Un sujet reste cependant en suspens : celui qui est relatif à la procédure d'unités touristiques nouvelles, les UTN. Nous souhaitions collectivement faire évoluer cette procédure pour ne pas augmenter le nombre de projets qui y seraient soumis, en renforçant la sécurité et la transparence des décisions et, enfin, en recherchant une plus grande proximité pour les décisions qui relèvent des projets locaux, sans incidence majeure pour l'ensemble du massif.

Après d'intenses débats en phase finale et après la validation par la commission permanente du conseil national de la montagne des principes du projet de décret en Conseil d'Etat, nous arrivons à un accord global qui répond à ces objectifs. J'en rappellerai l'économie générale lors de l'examen de l'article 64.

Au fil du travail parlementaire, le projet de loi s'est aussi renforcé d'un volet tout à fait important relatif aux zones littorales. Régions rurales dans leur grande majorité, elles connaissent de manière plus accentuée que tous les autres espaces ruraux les mutations que j'évoquais au début de cette intervention : usages multiples du territoire ; forte diversification de l'activité économique ; relations entre les villes et les campagnes fortes mais parfois conflictuelles ; importance des enjeux de la préservation des ressources naturelles, fragilisées en raison de la pression globale des activités, mais gage, simultanément, des activités touristiques.

Le CIADT du 14 septembre dernier est, du reste, revenu sur les grands enjeux de cet espace.

Le texte qui vient en débat prévoit, à l'instar de ce qui a été mené depuis deux décennies sur la montagne, et avec l'appui des élus du littoral, un dispositif nouveau de gouvernance et de suivi : le Conseil national du littoral, le CNL. Ce projet de loi permet également un nouvel équilibre entre les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, et les schémas de mise en valeur de la mer, les SMVM, pour donner aux espaces littoraux les outils de planification adaptés à leurs besoins.

Le Gouvernement s'est engagé à ce que les dispositions réglementaires soient prises rapidement afin que les textes de loi puissent être réellement applicables dans les meilleurs délais.

Ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ne fera pas exception, au contraire. Vous le savez et vous êtes attentifs à plusieurs décrets d'application qui sont déjà bien avancés et qui devraient pouvoir être publiés ou transmis au Conseil d'Etat très rapidement après le vote de ce texte.

Il s'agit notamment des textes réglementaires relatifs à la définition des zones de revitalisation rurale, aux seuils et à la nature des opérations soumises à la procédure d'autorisation d'« unités touristiques nouvelles » - texte que nous venons d'évoquer et qui, je le confirme, a bien fait l'objet d'une validation -, ou encore à la composition et au fonctionnement du Conseil national du littoral créé par le présent projet.

En conclusion, je tiens à saluer la disponibilité du président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, ainsi que de l'ensemble de ses membres. J'ai pu apprécier leur implication lors des échanges préalables aux deux lectures de ce projet de loi devant la Haute Assemblée et les améliorations apportées au texte leur doivent beaucoup.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la ruralité est un sujet que l'on évoque avec passion et avec coeur. Le combat pour la ruralité est un combat d'avenir : la ruralité est une richesse économique, patrimoniale, culturelle et environnementale plus nécessaire que jamais dans ce XXIe siècle. C'est la conviction dont je tenais à témoigner à nouveau devant vous, au nom de l'ensemble du Gouvernement.

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