Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que le Sénat examine aujourd'hui en deuxième lecture, constitue une étape législative essentielle.
C'est la première fois qu'un texte de loi est spécifiquement consacré à ces territoires qui correspondent à 80 % du sol national et qui rencontrent des difficultés spécifiques.
Au terme de ce chantier d'envergure, de très nombreux aspects concrets de la vie de nos territoires ruraux auront été abordés et traités. Il convient de saluer le choix qu'ont fait les pouvoirs publics de consacrer, enfin, à la ruralité un texte à la mesure des enjeux.
C'est le Président de la République, rappelons-le, qui, dans le discours qu'il a prononcé le 13 avril 2002 à Ussel, a entendu placer le développement de l'espace rural, et en particulier celui des territoires les plus fragiles, ce qui inclut notamment de nombreux territoires de montagne, parmi ses principales ambitions à l'aube de son deuxième mandat.
Ainsi qu'il l'a lui-même souligné, « construire une ruralité attractive et accueillante suppose d'abord d'apporter une réponse aux questions de la vie quotidienne : la santé, le logement, les services publics, l'éducation, la culture, la sécurité ».
Le texte a parfois été qualifié de « fourre-tout ». Mais son caractère effectivement composite ne fait, en réalité, que refléter la diversité du monde rural et de ses exigences.
Le projet se subdivise, en fait, en huit grands volets.
Un premier volet porte sur le développement économique de l'espace rural. Il prévoit la modernisation des zones de revitalisation rurale, des mesures en faveur de l'activité agricole et du tourisme rural, ainsi que des mesures de soutien à la pluriactivité.
Un deuxième volet vise à assurer un meilleur partage des espaces périurbains avec, notamment, la création d'un périmètre de protection et d'aménagement en zone périurbaine pour préserver les espaces agricoles et naturels.
Un troisième volet, relatif à l'aménagement foncier dans les zones rurales, tire la conséquence des évolutions majeures intervenues ces dernières années en matière d'organisation territoriale de la République et porte une attention nouvelle au fait intercommunal.
Un quatrième volet intéresse les espaces sensibles que sont la forêt, les espaces pastoraux et les zones humides. Les dispositions concernées prévoient, par exemple, l'extension des compétences du Conservatoire du littoral.
Un cinquième volet, rapporté par notre collègue Ladislas Poniatowski, est relatif à la chasse. Il a pour objet d'assurer un meilleur équilibre agro-sylvo-cynégétique, notamment en renforçant la responsabilité des chasseurs, la concertation avec l'ensemble du monde agricole et forestier, à travers le renforcement des schémas départementaux de gestion cynégétique et des plans de chasse.
Un sixième volet en faveur de la montagne vise à actualiser la loi de 1985 tout en assurant une meilleure prise en compte des contraintes environnementales.
En renforçant le rôle des comités de massifs et en proposant la création d'un schéma stratégique pour les massifs, la réforme vise à inciter les collectivités territoriales à s'organiser, dans le cadre d'ententes interdépartementales et interrégionales, afin de conduire des politiques territoriales intégrées.
Un septième volet tend à améliorer les moyens de l'Etat et des établissements publics dans l'espace rural. La réforme crée ainsi une agence française d'information et de communication agricole ainsi que des groupements d'intérêt public dans le domaine de l'aménagement du territoire. Elle renforce aussi le rôle des chambres d'agriculture ainsi que des établissements d'enseignement agricole dans l'animation du milieu rural, tout en confiant à l'Office national des forêts de nouvelles missions de service public ou d'intérêt général.
Enfin, un huitième volet concerne l'attractivité des territoires. Il comporte des mesures en faveur du logement en zone rurale, des dispositions intéressant le maintien ou l'installation des professionnels de santé, ainsi qu'un chapitre relatif à la présence territoriale des services publics.
Quels ont été nos objectifs en première lecture ?
Il s'est agi, pour l'essentiel, d'améliorer, de clarifier et de recentrer le projet de loi sur l'amélioration du quotidien des territoires ruraux les plus fragiles, notamment en zone de montagne. A cet égard, le statut des zones de revitalisation rurale a été, dans une large mesure, aligné sur celui des zones franches urbaines en matière de détaxation.
Il s'est agi, aussi, de pérenniser le débat sur l'avenir du monde rural en prévoyant la tenue d'une conférence annuelle sur la ruralité, qui réunira, sous la houlette du ministre chargé des affaires rurales, tous les partenaires intéressés au développement de l'espace rural.
Le Sénat a aussi souhaité mieux garantir la présence des services publics en zone rurale en mettant en place un mécanisme de concertation qui permettra, sous l'autorité du préfet du département, aux élus locaux de peser sur les décisions relatives aux réorganisations de ces services publics.
Sur ce point, très illustratif de la philosophie d'ensemble du projet de loi, le texte adopté en première lecture par le Sénat sur l'initiative de la commission des affaires économiques tire les conséquences d'une expérience conduite dans quatre départements - la Charente, la Corrèze, la Savoie et la Dordogne - sur l'organisation des services publics, qu'il s'agisse des services de l'Etat, des grandes entreprises publiques, des établissements publics ou des caisses de sécurité sociale.
Il s'est agi, tout d'abord, d'affirmer le rôle éminent de l'Etat dans la définition des objectifs d'aménagement du territoire et de services rendus aux usagers que doit prendre en compte tout établissement, organisme ou entreprise chargé d'un service public.
Le préfet du département sera désormais informé des projets de réorganisation susceptibles d'affecter les conditions d'accès des citoyens au service public, compte tenu des objectifs mentionnés plus haut.
Après avoir informé, à son tour, le président du conseil général et le président de l'association des maires du département, le préfet disposera d'un délai de trois mois pour conduire, notamment au sein de la commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics, avec les élus locaux et les représentants du service public concerné, une concertation locale qui lui permettra d'apprécier la compatibilité du projet de réorganisation avec les objectifs fixés au niveau de l'Etat.
En cas d'incompatibilité, le préfet saisira les ministres de tutelle.
Tant la concertation locale que la procédure de saisine auront un effet suspensif de la mesure de réorganisation envisagée.
Le Sénat a adopté les amendements déposés par notre collègue Jean-François Le Grand. Ceux-ci reprennent les principales mesures de son rapport d'information sur Natura 2000 et visent à renforcer le rôle des collectivités territoriales et à introduire une mesure d'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties situées en site Natura 2000 lorsque le propriétaire souscrit un engagement de gestion.
C'est sur la proposition du Sénat que le projet de loi comporte, enfin, une disposition relative à la communication collective sur les vins de terroir bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique.
Sur ce point, le Sénat pourrait accepter un amendement gouvernemental de compromis qui autoriserait une publicité sur ce que le code de la santé publique n'interdit pas : références aux terroirs de production, aux appellations d'origine, à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit...
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a apporté au texte adopté par le Sénat plusieurs modifications.
Sur le volet relatif aux zones de revitalisation rurale, elle a étendu le bénéfice de l'exonération de la taxe professionnelle aux entreprises commerciales ou artisanales procédant à la reprise d'une entreprise exerçant le même type d'activité.
L'Assemblée nationale a cependant écarté deux innovations proposées par le Sénat.
La première prévoyait que l'Etat pourrait conclure, avec un département, une convention de revitalisation rurale afin de renforcer l'action publique dans les territoires ruraux les plus défavorisés ; il vous sera proposé de rétablir cette disposition.
La seconde autorisait les communes à confier à une association ou à toute autre personne la responsabilité de créer un service nécessaire à la satisfaction des besoins en milieu rural lorsque l'initiative privée est défaillante ou absente ; nous vous proposerons tout à l'heure le rétablissement de cette disposition.
Sur le volet relatif aux services publics de proximité, l'Assemblée nationale a précisé le dispositif retenu par le Sénat concernant la mise en oeuvre d'une concertation locale en cas de projet de fermeture d'un service public.
S'agissant de la présence des professionnels de santé en milieu rural, l'Assemblée nationale a introduit deux innovations.
Tout d'abord, les investissements immobiliers des communes destinés à l'installation des professionnels de santé ou à l'action sanitaire et sociale seront éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA.
Par ailleurs, les honoraires de visites de nuit ou de gardes des médecins ou de leurs remplaçants dont les zones de garde incluent majoritairement des petites communes seront exonérés de l'impôt sur le revenu.
Concernant les dispositions relatives à la santé vétérinaire et à la protection des végétaux, l'Assemblée nationale a rétabli la mesure conférant aux seuls vétérinaires et pharmaciens compétence pour prescrire et vendre au détail des produits antiparasitaires externes destinés aux animaux de compagnie.
Elle a mis sur un pied d'égalité les laboratoires publics et les laboratoires privés pour la réalisation des analyses de santé publique vétérinaire et de protection des végétaux. Sur ce point, votre commission a jugé préférable de maintenir un droit de priorité au profit des laboratoires publics départementaux.
L'Assemblée nationale a encore libéralisé, en cas d'absence d'accord au niveau interprofessionnel, la fixation des tarifs des actes de prophylaxie collective des maladies d'animaux effectués par les personnes habilitées par l'Etat à cet effet.
En ce qui concerne le soutien aux activités économiques et agricoles, ainsi qu'à leurs structures, l'Assemblée nationale a notamment diversifié les types de structures consacrées à l'agriculture biologique et pouvant être créées au sein des interprofessions, tout en laissant à ces dernières le soin d'en déterminer le mode d'action.
Elle a rétabli la création d'une agence nationale chargée de l'information et de la communication en matière agricole et rurale.
S'agissant des dispositions relatives à l'emploi, l'Assemblée nationale a réduit de 50 % à 25 % le seuil d'activité non strictement paysagère au-delà duquel les entreprises du paysage sont affiliées aux caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics.
Les députés ont étendu aux plans d'épargne entreprise le bénéfice des systèmes d'intéressement et de participation pour les salariés de groupements d'employeurs mis à disposition d'une société.
Ils ont encore supprimé le régime de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif proposé pour les entreprises de travaux agricoles ou forestiers.
En matière d'urbanisme, l'Assemblée nationale a notamment clarifié les dispositions relatives aux lacs de moins de 1 000 hectares et a introduit deux nouvelles dispositions.
La première étend le droit de préemption urbain des communes aux donations entre personnes sans lien de parenté.
La seconde met fin à la superposition de la « loi littoral » et de la « loi montagne » aux abords des lacs de plus de 1 000 hectares, en prévoyant qu'un décret en Conseil d'Etat délimitera le champ d'application respectif de ces deux lois.
Concernant plus précisément le littoral, l'Assemblée nationale a prévu une consultation obligatoire du Conseil national du littoral pour les décrets relatifs au domaine public maritime, et facultative pour les autres.
Elle a institué une périodicité de trois ans pour le rapport que doit déposer le Gouvernement devant le Parlement sur l'application de la loi Littoral.
S'agissant du volet relatif à la montagne, l'Assemblée nationale a prévu que le Gouvernement pourra proposer toute action ou initiative concourant à la prise en compte des intérêts de la montagne dans la politique européenne et les négociations internationales.
Elle a ouvert aux stations d'activités nordiques la possibilité de faire payer une redevance pour la pratique des raquettes à neige sur les pistes de ski de fond.
En ce qui concerne la disposition relative à la publicité pour le vin, introduite en première lecture par le Sénat sur la proposition de notre collègue M. Gérard César, l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a retenu une rédaction prévoyant la possibilité de faire référence, dans la publicité pour les produits vitivinicoles bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, à leurs « caractéristiques qualitatives ». Nous avons vu que le Gouvernement propose sur ce point une rédaction de compromis que le Sénat pourrait accepter.
A propos du volet « Natura 2000 » introduit par le Sénat, l'Assemblée nationale a adopté conforme la quasi-totalité des dispositions, les quelques points de divergence portant sur la composition du comité de pilotage et la désignation du président de ce comité.
Le texte issu du vote de l'Assemblée nationale en deuxième lecture donne largement satisfaction à la commission des affaires économiques. Les soixante-quatre amendements que celle-ci propose ont pour objet soit d'améliorer la rédaction ou la cohérence juridique du texte, soit de le recentrer sur les grands enjeux de la ruralité, en supprimant certains articles qui sont apparus redondants ou appelés à trouver leur place plutôt dans le prochain projet de loi d'orientation agricole que vous nous soumettrez, monsieur le ministre.