Intervention de Annie David

Réunion du 18 janvier 2005 à 16h00
Développement des territoires ruraux — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Annie DavidAnnie David :

C'est aussi le moment où les bergers préparent le retour des bêtes dans les alpages. Et pour eux, cette année sera la même que l'an dernier ! Le « plan loup » du ministère de l'environnement leur apportera peut-être une aide, mais rien n'est fait pour une réelle revalorisation de leur métier ni pour une réelle reconnaissance de leur utilité dans nos alpages. Pourtant, nous n'avons pas redéposé d'amendements, sachant par avance le sort qui leur serait réservé.

Après le printemps, l'été verra les vacanciers plus nombreux emprunter les différents équipements mis à leur disposition. Ils vont découvrir de nouveaux sites, traverser les alpages, croiser des troupeaux et des bergers, apercevoir des animaux sauvages, bivouaquer sous une tente ou dormir dans des refuges. Bref, ils passeront d'agréables moments dans nos massifs, grâce au travail accompli par les différents acteurs du secteur économique et touristique de nos territoires.

A cet égard, il est regrettable que les travailleurs saisonniers n'aient pu obtenir plus de reconnaissance, les députés étant revenus sur les quelques avancées votées par la Haute Assemblée.

Pourtant, si nos territoires connaissent leur développement actuel, c'est aussi grâce à ces femmes et à ces hommes qui travaillent de manière saisonnière, que ce soit en montagne, en bord de mer ou encore en plaine, lorsqu'il s'agit de ramasser les fruits et légumes ou de faire les vendanges. Sur ce point non plus, nous n'avons pas redéposé d'amendement, mais je tenais à réaffirmer le travail important qu'ils effectuent.

Cet été passera donc sans grands bouleversements dans nos massifs et laissera la place à l'automne, saison pendant laquelle les montagnards « pourront se compter », comme on dit chez nous, l'ensemble des activités touristiques étant au point mort. Ce sera aussi l'occasion de réellement tester ce texte sur le terrain. Malheureusement, cet automne confirmera, sans aucun doute, la désillusion de l'automne 2004, après le vote en première lecture.

Enfin, le manteau blanc de l'hiver s'abattra sur nos sommets, attirant cette année encore des milliers de touristes, avides d'enfiler leurs équipements de neige. Mais il leur faudra grimper un peu plus haut, la neige se faisant de plus en plus désirer.

Quant aux stations de moyenne montagne, qui, elles, ne pourront grimper davantage, bien peu de solutions leur sont proposées. Déjà, en ce mois de janvier, certaines d'entre elles voient leur niveau d'enneigement insuffisant pour répondre à la demande. Et rien de véritablement novateur en ce qui concerne la pluriactivité touristique n'est inscrit dans ce projet de loi. Seules quelques dispositions fiscales sont proposées pour le développement des villages-vacances - c'est un plus, il est vrai -, mais pour quelles activités touristiques ? Le logement des saisonniers, quant à lui, est à peine effleuré.

Au final, ni les élus ni la population n'auront vraiment été entendus. Ce texte ne leur apporte aucune solution concernant l'aménagement harmonieux de nos massifs. C'est en tout cas ce qui ressort de mes rencontres avec les habitants et les élus de mon département de l'Isère, département qui se caractérise par la richesse et la diversité de ses massifs et de ses territoires, et dans lequel ce texte de loi peut être confronté à toutes les réalités qu'il aborde.

Aussi, sans surprise, les Isérois ont fait briller deux feux rouges majeurs qui persistent dans ce projet de loi.

Le premier concerne l'accès aux technologies de l'information. Personne ne conteste aujourd'hui que ce soit un enjeu vital pour ces territoires, en termes tant d'attractivité, de compétitivité que de désenclavement, comme vient de le rappeler M. Bernard Piras.

Selon la DATAR, la connexion permanente et le haut débit étaient, à la fin de l'année 2002, accessibles à 74 % de la population française, concentrée sur seulement 21 % du territoire.

Cette « fracture numérique » va frapper lourdement ces territoires, la DATAR prévoyant de nombreux départs de PMI et de PME. Il en va de même en matière de téléphonie mobile, car la moitié des zones non couvertes se trouvent au-dessus de 700 mètres d'altitude.

Certes, des mesures gouvernementales et locales sont en cours, mais aucune ne donne aux communes rurales les moyens de s'équiper équitablement : messieurs les ministres, vous parlez d' « outils » mis à leur disposition - cela vient d'ailleurs d'être rappelé -, mais vous ne leur permettez pas d'acquérir ces derniers ! C'est ainsi, par exemple, que l'aménagement numérique des territoires est dorénavant une compétence des collectivités territoriales, puisque le Parlement a voté l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

Les collectivités locales obtiennent de ce fait le droit d'établir et d'exploiter librement des réseaux de télécommunications et d'offrir des services au public, mais, in fine, elles sont mises à contribution pour suppléer les carences de l'initiative privée et de l'Etat, faisant ainsi peser sur le contribuable local les frais d'installation des infrastructures.

Pourtant, il existait un opérateur public historique de télécommunication. La privatisation de France Télécom a créé un vide dès lors que l'ensemble des opérateurs privés ne veulent ni investir ni s'engager dans les zones non rentables.

Si l'accès au haut débit par satellite constitue une solution pour tous les sites isolés, il convient de signaler que son coût reste encore quatre à cinq fois plus élevé que l'ADSL. A ce titre, nous avons déposé un amendement qui, je l'espère, trouvera un écho favorable au sein de cette assemblée.

Ainsi, la perspective d'une « France à deux vitesses », ou d'une France de « fractures territoriales », dont cette « fracture numérique » est une bonne illustration, devient-elle réalité !

Cela m'amène à évoquer le second feu rouge, et non le moindre, puisqu'il s'agit de la lente érosion des services publics dans ces territoires. Toutefois, mon collègue Gérard Le Cam ayant déjà dénoncé ce fait dans son intervention générale, je ne reprendrai pas son argumentation, qui vaut également pour les territoires de montagne, tout particulièrement en ce qui concerne les établissements scolaires !

J'insisterai simplement sur le fait que le Gouvernement, à travers ce texte, accentue encore cette érosion et met à mal les fondements mêmes du service public, élément fort du pacte social. Je rappellerai, en outre, la disposition législative qui permettait, un tant soit peu, de freiner ce processus, en imposant à l'Etat d'engager une étude d'impact et une concertation locale avant toute fermeture de services publics, disposition qui a été supprimée par la promulgation du décret 2004-374.

Il est vrai que, au-delà des moyens nécessaires au maintien des services publics, d'autres solutions existent. Ainsi, en première lecture, j'avais déposé un amendement tendant à créer des régies de territoire destinées à répondre à des besoins identifiés d'intérêt général, en offrant la possibilité d'associer les différents acteurs du territoire au sein d'une structure de services dont la vocation serait double : faire émerger les besoins et organiser une réponse solvable. En ce sens, ces régies permettraient de favoriser la création d'emplois dans les territoires ruraux et de renforcer leur attractivité.

En contrepartie d'une garantie d'affectation intégrale des financements publics au développement de la régie, un cadre spécifique de financement par les collectivités locales est mis en place, et la forme juridique qui lui est associée est celle d'une SCIC, société coopérative d'intérêt collectif.

En septembre 2003, le CIADT en a posé le principe, par le biais d'une expérimentation actuellement en cours, copilotée par la DATAR et la Caisse des dépôts et consignations, expérimentation à laquelle participent vingt territoires, dont le pays du Grésivaudan, dans mon département.

Ce texte offre donc un support adapté pour tirer les leçons de ces expériences et proposer un cadre législatif à ces régies. C'est pourquoi je regrette profondément que cette proposition, qui fait pourtant l'unanimité des acteurs locaux de mon département, n'ait pas suscité l'attention qu'elle mérite. J'espère que la conférence nationale de la ruralité se saisira de cette question en se fondant sur le bilan de ces expériences.

Aussi, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, vous l'aurez compris, après ce tour d'horizon rapide de nos massifs montagneux, tout au long des quatre saisons, le groupe communiste citoyen et républicain ne votera pas ce texte.

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