S'agissant à présent des dossiers qui ne concernent pas le Médiateur car ils relèvent de la sphère privée, et non publique, nous poursuivons notre travail de réflexion ; ces réclamations alimentent nos propositions de réforme.
Or, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois reconnaître avec beaucoup de tristesse que nous constatons une explosion des conflits de famille et des tensions avec les organismes financiers et les banques. À l'évidence, nous ne disposons pas aujourd'hui d'un système susceptible de nous alerter avant que les gens tombent dans la précarité, comme il en existe dans les entreprises.
Nous avons une culture non pas de prévention, mais seulement de gestion des crises. Nous devrions pourtant réfléchir aux moyens de prévenir certaines des difficultés auxquelles nos concitoyens se trouvent confrontés.
Cette année, j'ai articulé mon rapport en fonction de trois grands objectifs : placer le citoyen au coeur des politiques publiques, assurer la protection des plus faibles, faciliter l'accès au droit et sauvegarder les libertés individuelles.
En premier lieu, j'aborderai donc la nécessité de placer le citoyen au coeur des politiques publiques.
Connaissant la qualité de votre réflexion, j'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la nécessité de relever le défi de l'adaptation de nos textes législatifs aux évolutions de la société.
L'année dernière, nous avions demandé à la Cour des comptes de bien vouloir analyser les problèmes posés par la solidarité fiscale et la solidarité d'endettement découlant de cette communauté juridique qu'est le mariage.
Or, je suis obligé de l'avouer, je constate que de plus en plus de personnes préparent d'une façon extrêmement indélicate la rupture de leur couple, en contractant de nombreuses dettes, en ne respectant pas leurs obligations fiscales et en s'arrangeant pour « s'évanouir dans la nature », que ce soit en partant à l'étranger ou en se plaçant volontairement en situation d'insolvabilité. D'où une véritable « double peine » pour les victimes, qui voient partir leur conjoint brutalement et qui doivent supporter la charge de toutes les factures.
Cette situation est d'autant plus préoccupante que, a contrario, des personnes de plus en plus nombreuses, voulant échapper aux contraintes juridiques du partage des dettes, ne contractent aucun lien juridique alors qu'elles ont développé une relation affective très forte et qu'elles vivent ensemble.
Nous avons demandé au Conseil supérieur des notaires de réfléchir à la catastrophe sociale annoncée que cette situation provoquera dans vingt-cinq ans, car les pensions de réversion seront beaucoup moins nombreuses alors que les partages immobiliers poseront de graves problèmes. Paradoxalement, les conjoints ne subiront aucune contrainte juridique, mais connaîtront des problèmes sociaux très préoccupants.
Par ailleurs, le calcul des ressources nécessaires pour l'attribution des prestations sociales non contributives varie beaucoup selon les cas. Pour certaines de ces allocations, l'administration tient compte de l'existence d'un ménage, pour d'autres, d'un PACS, un pacte civil de solidarité, ou d'une situation de concubinage, mais il n'existe aucune cohérence d'ensemble, et nous devons réfléchir à ce problème.
De même, nous sommes confrontés au cas de couples homosexuels britanniques, mariés dans leur pays, dont le certificat de mariage n'a aucune valeur sur le territoire français et ne leur permet pas d'acquérir un bien en indivision, comme ils le souhaiteraient. J'invite le législateur à examiner ces questions très importantes.
Je remercie M. le ministre des affaires sociales d'avoir mis en chantier la réforme de la répartition des prestations familiales en cas de garde alternée, que nous avions préconisée. Il restera toutefois à réfléchir aux problèmes que posent les médecins référents à la sécurité sociale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'attire votre attention sur une réforme qui n'a pas abouti, celle des enfants mort-nés ou qui sont nés vivants, mais non viables. En effet, ceux-ci sont dépourvus d'existence juridique. Leurs parents ne peuvent leur donner de nom ; ils peuvent seulement leur choisir un prénom. S'ils vivent en concubinage et qu'il s'agit de leur premier enfant, ils ne reçoivent pas de livret de famille, et s'ils ne réclament pas la dépouille, celle-ci est considérée comme faisant partie des déchets hospitaliers.
Il ne s'agit en aucun cas pour moi de remettre en cause le statut du foetus, car ce problème survient bien au-delà des vingt-deux semaines d'aménorrhée, mais seulement d'aider la famille à faire son deuil, car la France est l'un des rares pays en Europe à utiliser la notion de viabilité.
Je voudrais également remercier le Sénat, et notamment Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, d'avoir interrogé M. le garde des sceaux, à la suite de notre précédent rapport, sur l'articulation entre les droits de la femme et ceux du père en cas de violences conjugales.
En effet, la jurisprudence affirme que l'on peut être en même temps un mauvais mari et un bon père. Parfois, il est donc nécessaire à la fois de protéger une femme battue et ses enfants et de permettre au père de savoir en permanence où se trouvent exactement ces derniers. À la suite de cette interpellation au Sénat, M. le garde des sceaux a très clairement indiqué la primauté des droits de la victime.
En second lieu, je souhaite attirer votre attention sur la question de la mobilité et des parcours de vie.
Paradoxalement, alors que, grâce à l'espace économique européen, toutes les barrières à la circulation des marchandises ont été supprimées dans l'Union européenne, nous voyons apparaître de plus en plus d'obstacles juridiques qui interdisent la circulation des hommes !
Ainsi, les travailleurs frontaliers sont fragilisés, les conjoints des travailleurs migrants connaissent des difficultés, l'articulation des protections sociales selon les divers régimes et les différents formulaires est insuffisante et la loi française défavorise les migrants, en matière d'indemnisation des victimes de l'amiante, par exemple.
De même, la reconnaissance des diplômes pose de réels problèmes, et il est nécessaire de mener une veille plus efficace à l'échelle européenne. C'est ainsi que la Commission européenne vient d'adresser une mise en garde à la Belgique et à l'Autriche pour avoir instauré des quotas d'étudiants. Nous constatons qu'il est difficile de mettre en place des échanges universitaires au sein de l'espace européen.
La mobilité professionnelle entre le secteur public et le secteur privé est également insuffisante. Dans la fonction publique, on ne tient pas toujours compte de l'ancienneté acquise par les salariés dans un autre État membre.
L'articulation entre les droits nationaux est difficile. Ainsi, même si elle ne s'exécute pas toujours dans les faits, l'administration française est obligée de reconnaître la validité d'un permis de conduire délivré à l'étranger, alors même que son détenteur s'est vu retirer celui qu'il avait obtenu sur le territoire national. Là encore, une réflexion sur la mobilité et les parcours de vie est nécessaire.
En troisième lieu, j'évoquerai les personnes vulnérables.
Je voudrais remercier le Gouvernement et le Parlement d'avoir mis en chantier une réforme des tutelles et des curatelles. J'ai pu apprécier le rôle joué par le Sénat afin qu'une seconde catastrophe judiciaire, annoncée celle là, soit évitée.