Intervention de Brice Hortefeux

Réunion du 22 juin 2006 à 9h30
Législation funéraire — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet sur lequel nous sommes appelés à débattre aujourd'hui n'est pas un sujet ordinaire. Il est technique, il est juridique. Parler de la mort, de ce qui est prévu autour de la mort relève de cette rationalité, évoquer les aspects perfectibles de ce qui est une réalité quotidienne, également. Parler de la mort, de sa perception, par soi-même, par ses proches, c'est aussi aborder d'autres rives, personnelles, intimes, éminemment subjectives.

S'attacher à légiférer dans ce domaine exige d'avoir à l'esprit, à chaque mesure envisagée, l'équilibre nécessaire entre l'encadrement des pratiques funéraires, des opérations entourant le décès et le respect de chacun.

À ce titre, le travail engagé par MM. Sueur et Lecerf mérite une attention toute particulière : en tant que tel, j'y reviendrai, et en tant qu'ajout substantiel à la réflexion sur un sujet de société, sur un mystère et un événement familier dont la caractéristique est de ne laisser personne indifférent.

Comme l'écrivait Maurice Merleau-Ponty, « on ne fera pas que l'homme ignore la mort ».

Le droit funéraire connaît un champ vaste.

Traité par le ministère de l'intérieur, il est décliné au niveau communal, consacrant un rôle essentiel au maire. Il concerne la police des funérailles et des lieux de sépulture, les cimetières, les opérations funéraires. Il touche également à la liberté des funérailles, au choix de son propre mode de sépulture.

Le législateur peut naturellement s'atteler à des réformes ponctuelles, liées à une actualité, ou à des réformes structurelles, liées à l'évolution de la société.

La proposition que vous soumettez au débat, monsieur Sueur, participe de ces deux approches. Votre rapport d'information mené avec M. Jean-René Lecerf sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire l'a parfaitement préfigurée avec un travail de synthèse remarquable.

Elle tend à répondre aux préoccupations réelles des familles et des professionnels du funéraire, mais également à s'adapter à une mutation profonde observée dans le choix des funérailles. Comme il l'a été dit, le choix de l'incinération connaît une croissance constante, forte, exponentielle, passant de 1 % des décès au début des années quatre-vingt à près de 25 % aujourd'hui, et les estimations s'orientent vers 40 % dans les prochaines années. La comparaison, notamment avec les pays nordiques et anglo-saxons, démontre que cette tendance est forte.

Cette proposition de loi s'articule autour de cinq chapitres.

Le premier porte sur le renforcement des conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire. Le deuxième est consacré à la simplification et à la sécurisation des démarches des familles. Le troisième est relatif au statut et à la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation. Le quatrième concerne la conception et la gestion des cimetières. Enfin, le cinquième traite de dispositions diverses et transitoires.

Prenant la mesure des préoccupations des familles endeuillées et de la profession, le Gouvernement a engagé une réforme, dont les premiers jalons ont été posés l'année dernière. Il a, en outre, agi dans le domaine de l'incinération, dont il a constaté qu'il était peu couvert par le droit. La destination des cendres des personnes décédées a été le cadre de ses propositions.

J'évoquerai cette action du Gouvernement avant de revenir au texte dont nous discutons aujourd'hui.

Une réforme du droit funéraire a d'ores et déjà été engagée au cours de l'année 2005. Assez vaste, elle dépasse le seul champ de la destination des cendres. Ce sujet est toutefois au coeur du dispositif.

Pour résumer, les objectifs de la réforme sont triples et recoupent les chapitres de la proposition de loi soumise au débat. Il s'agissait, tout d'abord, de simplifier les procédures, à l'évidence très pénibles pour les familles touchées par un deuil, puis d'offrir un cadre juridique sécurisé et, enfin, de garantir le respect d'un certain nombre de principes auxquels nous sommes particulièrement attachés.

S'agissant de la simplification du droit funéraire et la destination des cendres, le Gouvernement a pris une ordonnance, publiée le 28 juillet 2005, relative aux opérations funéraires, sur le fondement de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

La responsabilisation des opérateurs funéraires a été renforcée. Le préfet qui délivre les habilitations a désormais le pouvoir de sanctionner, par la suspension ou le retrait de l'habilitation, tout manquement à l'ensemble des dispositions du code général des collectivités territoriales, et non plus seulement à tout manquement au respect des dispositions spécifiques de ce code que sont les règles applicables en matière d'habilitation.

En somme, le champ de l'intervention du préfet s'est beaucoup accru et il pourra dorénavant suspendre une habilitation du fait, par exemple, d'un manque flagrant de décence du personnel d'un opérateur funéraire.

L'ordonnance a également substitué à la procédure de commodo et incommodo, obsolète, le régime général de la procédure d'enquête publique pour la création et l'agrandissement des crématoriums.

Ce texte a par ailleurs montré la voie d'un encadrement juridique du lieu de destination des cendres, dans le souci de mettre fin à des pratiques ne garantissant pas la pérennité de la conservation des cendres des corps des personnes incinérées, tout en offrant aux familles davantage de lieux d'accueil des urnes et de dispersion des cendres.

Le Gouvernement a également élaboré un projet de décret de simplification des procédures administratives liées aux opérations funéraires, en substituant au régime des autorisations délivrées par le maire aux opérateurs funéraires en vue de la réalisation d'opérations consécutives au décès un régime de déclarations préalables.

L'objectif, triple, vise un assouplissement de la procédure, un allégement de la charge pour les opérateurs et une meilleure efficacité. Cet allégement se double d'une sécurité accrue pour les familles, puisqu'il a pour corollaire le renforcement de la responsabilité des opérateurs habilités, tel que prévu par l'ordonnance que j'ai citée.

C'est également au niveau réglementaire qu'a été abordée la réforme des vacations, dans l'objectif d'une réduction importante de celles-ci, en limitant les opérations de surveillance donnant lieu à ces vacations à celles obéissant à des motifs d'ordre ou d'hygiène publics. La réforme a également pour objet de réduire les disparités du montant des vacations observées d'une commune à une autre. Chacun a des exemples à l'esprit.

Par ailleurs, en ce qui concerne les questions cinéraires, le Gouvernement a élaboré un projet de décret relatif à la destination des cendres. Ce projet est parti d'un constat personnel d'exemples concrets de dérive face à la hausse de la crémation dans notre pays.

Sans être exhaustif, j'en citerai quelques-uns, connus de tous : des urnes retrouvées dans des décharges publiques ou sur la plage, des conflits douloureux et exacerbés sur la garde de l'urne du fait des transmissions de générations et des modifications de structures familiales. Ces situations ne peuvent qu'être déplorées. Elles sont aussi choquantes, car elles soulignent ponctuellement une négligence, voire un désintérêt total pour le souvenir du défunt. Loin d'être passif, ce désintérêt se traduit par un abandon du souvenir d'une manière radicale, d'ailleurs totalement contraire à la décence due aux morts, pourtant très prégnante dans notre pays. Ces situations sont, à ce titre et fort heureusement, encore marginales, mais il appartient aux pouvoirs publics d'anticiper ce mouvement et de contrer ce qui pourrait être un comportement plus systématique.

Le droit funéraire ne prévoit aujourd'hui qu'un encadrement minimal de la crémation et de la destination des cendres, car la hausse de la crémation, comme mode de sépulture au même titre que l'inhumation, est aussi flagrante que récente.

Le principe qui prévaut est la liberté de choisir son mode de sépulture, qui relève soit de l'inhumation, soit de la crémation. Sans cette liberté attestée, la crémation n'est pas possible. Cette liberté première a pour liberté dérivée la libre disposition des cendres du défunt, par la famille ou toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.

Cela signifie concrètement que l'urne contenant les cendres peut être déposée dans une sépulture, dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire, mais elle peut aussi être déposée dans une propriété privée. Les cendres peuvent être dispersées en pleine nature. La seule exception est qu'elles ne peuvent pas être dispersées sur la voie publique.

La disposition illégale des cendres est actuellement constitutive d'une infraction pénale. Mais, comme la liberté quasi totale est la règle, les illégalités sanctionnées ne correspondent pas aux situations anormales que j'ai évoquées à l'instant.

Le rôle des pouvoirs publics face à ce constat préoccupant est, dès lors, essentiel.

La réflexion du Gouvernement s'est inspirée, dans ce domaine, du droit comparé qui connaît de fortes disparités, privilégiant tantôt un régime libéral tantôt un encadrement d'un degré élevé, tantôt encore un aménagement de la disposition des cendres. Cependant, il est de fait - je pense que nous serons tous d'accord sur ce point - que les pays dans lesquels on observe un taux élevé de crémations ont plutôt adopté des régimes plus stricts que le nôtre.

J'ai, personnellement, mené des consultations - à l'instar de la commission des lois du Sénat - sous forme d'entretiens bilatéraux, non seulement avec les représentants des principales religions, allant du bouddhisme au catholicisme, mais aussi, à l'instar de M. Sueur, avec les associations de libres penseurs.

Il ressort de ces travaux le nécessaire pragmatisme, c'est-à-dire l'équilibre subtil, qui doit sous-tendre l'encadrement d'un sujet touchant tant aux libertés qu'à la décence et à l'ordre public. Il s'agit, en d'autres termes, de parvenir à une synthèse indispensable des différentes sensibilités morales et religieuses qui rendent ce débat, à l'évidence, tout à fait passionnant.

Offrir un cadre juridique sécurisé à la destination des cendres est une volonté partagée par l'ensemble des interlocuteurs que j'ai consultés, et même d'ailleurs par ceux des représentants de certaines religions qui se sont montrés réservés au sujet de la crémation elle-même.

S'agissant de la création de nombreux sites cinéraires, la question s'est posée de savoir si une telle structure pouvait être privée ou, en d'autres termes, si la crémation allait connaître un régime diamétralement opposé à celui de l'inhumation. Le juge a récemment estimé qu'un site cinéraire privé n'était pas légal.

Il a ainsi rejoint très concrètement les préoccupations du Gouvernement consistant à ne pas laisser se développer différents types d'initiatives, pouvant aller jusqu'à des entreprises à finalité exclusivement commerciale.

Dans le domaine funéraire, le respect de la volonté du défunt, tout comme l'implication indispensable de la sphère publique, nécessite un équilibre. Dans le projet de décret, le régime général applicable aux cendres en l'absence de volonté du défunt est l'inhumation, le dépôt ou la dispersion dans un lieu placé sous la responsabilité effective de la collectivité publique. En revanche, lorsque cette volonté est attestée, les cendres du défunt peuvent être conservées au sein de la famille ou dispersées.

À cet égard, je voudrais vous rappeler, monsieur Sueur, que cette approche a connu un large consensus lors des consultations qui ont pu être menées, consensus dont j'ai pris connaissance oralement, dans un premier temps, et qui m'a été confirmé par écrit ; je suis d'ailleurs tout à fait en mesure de vous apporter les témoignages des associations à ce sujet, si vous le souhaitez.

Avec les dispositions de l'article 14 de la présente proposition de loi, le Sénat envisage de limiter cette liberté. Or je crains que cela ne remette en cause le consensus auquel nous étions parvenus ; mais je serai très attentif aux différents arguments qui seront avancés.

C'est dans ce contexte général d'action et compte tenu de ces éléments que je me propose, au nom du Gouvernement, de débattre avec vous, mesdames, messieurs, de la présente proposition de loi.

Ce texte, dans son esprit, en ce qu'il rejoint largement les préoccupations du Gouvernement, suscite une approche ouverte et constructive. Nous avons eu l'occasion de nous en entretenir, d'une part, avec Jean-René Lecerf et, d'autre part, de manière plus laconique, avec Jean-Pierre Sueur, voilà quelques jours, à l'occasion de la réunion de l'Assemblée des maires du Loiret. Il permet, par la voie législative, d'aller au-delà de ce qu'aurait permis la voie réglementaire.

Sans préjuger le résultat, l'action engagée par le Gouvernement s'en trouvera confortée, non seulement sur les sujets sensibles que sont la destination des cendres et la réforme des vacations, mais également sur des sujets véritablement innovants, tels que l'aménagement des cimetières.

Cela étant dit, la proposition de loi soulève des interrogations, voire quelques divergences de vues, qui méritent d'être discutées au fond. Je me réjouis à ce titre que le débat parlementaire permette un échange de vues.

Sans détailler la position du Gouvernement - nous y reviendrons lors de l'examen des articles - je souhaiterais d'ores et déjà évoquer les mesures contenues dans les chapitres susmentionnés qui emportent l'adhésion, même sous réserve de quelques modifications.

S'agissant du renforcement des conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire, le Gouvernement est favorable à l'accroissement de la qualification des agents funéraires, dans la mesure où le bénéfice d'exigences nouvelles ira aux familles endeuillées, ce qui répond à notre première préoccupation.

En revanche, le Gouvernement s'interroge sur la pertinence d'installer des commissions des opérations funéraires auprès des préfets. Certes, l'efficacité du contrôle préfectoral peut encore être améliorée tout en se dispensant d'un formalisme et d'une lourdeur d'ordre administratif probables. J'ai le souvenir de certains débats ici même montrant qu'un tel dispositif était difficile à manier ; dès lors, peut-être convient-il de réfléchir aux conséquences d'une telle mesure.

De même, en ce qui concerne la simplification et la sécurisation des démarches des familles, le Gouvernement entend soutenir la réforme essentielle des vacations, ainsi que l'introduction de devis types, sans, toutefois, exclure, sa propre approche de ces sujets.

Ainsi, il ne me paraît pas de bonne gestion, ce sujet a été évoqué récemment en commission, de mobiliser en zone rurale des effectifs de gendarmerie pour effectuer des opérations de surveillance funéraire, alors que celles-ci - à ma connaissance, mais peut-être y a-t-il des contre-exemples - sont très bien exécutées sous l'autorité des maires par les gardes champêtres et les policiers municipaux.

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