Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 22 juin 2006 à 9h30
Législation funéraire — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la cinquième fois que j'ai l'honneur de présenter devant le Parlement des dispositions sur ce sujet qui, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, est difficile.

Je tiens à dire d'emblée combien il me paraît important que nous puissions discuter de ce sujet dans un climat constructif.

Le président de notre commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest - je tiens à lui rendre hommage - a pris l'initiative judicieuse de confier à Jean-René Lecerf et à moi-même une mission d'information, de sorte que nous puissions discuter de cette question entre parlementaires appartenant à des formations politiques différentes.

Il nous semble utile de procéder ainsi sur de tels sujets de société, et je crois que cette loi représentera une importante contribution du Sénat à l'évolution de notre droit.

Je tiens à saluer le travail accompli par Jean-René Lecerf dans le cadre de la mission d'information qui lui a été confiée et du rapport qu'il a rédigé. Nous le voyons, sur un tel sujet, il est possible d'avancer en prenant en compte l'intérêt général.

Monsieur le ministre, même si je salue l'attention que vous portez à ces questions, nous avons quelques divergences d'appréciation sur lesquelles je vais m'expliquer.

Je me souviens des débats qu'a suscités au Sénat et à l'Assemblée nationale la loi de 1993, qui a profondément transformé le droit en vigueur.

De cette loi, on n'a souvent retenu que la suppression du monopole des pompes funèbres et l'ouverture de ce secteur à la concurrence, alors qu'on a oublié qu'elle tendait également à redéfinir le service extérieur des pompes funèbres, afin de mieux l'adapter à la réalité.

La loi de 1993 a posé également que, même si les opérateurs funéraires étaient multiples, ils devaient exercer une mission de service public. L'un de ses objectifs essentiels, à travers plusieurs dispositions, était de garantir la protection des familles endeuillées.

Si j'ai été amené, avec plusieurs de mes collègues, à déposer des propositions de loi sur ce sujet en 2003 et en 2005 - deux articles issus de la première proposition et relatifs aux contrats obsèques ont d'ailleurs été adoptés par le Sénat en décembre 2004 -, c'était pour rééquilibrer le dispositif et faire en sorte que les différents aspects de la loi de 1993 s'appliquent à l'existence quotidienne des Français.

J'aborderai en premier lieu la question de la protection due aux familles endeuillées, qui me paraît centrale et qui justifie en particulier les devis types.

Je le rappelle, les devis types figuraient dans le projet de loi que nous avions examiné en 1993, mais la commission mixte paritaire qui s'est réunie ensuite a décidé, dans sa sagesse, qu'il était inutile de les mentionner dans la loi, dès lors qu'ils pouvaient être inscrits dans le règlement national et les règlements municipaux des opérations funéraires.

Or quelle ne fut pas ma stupéfaction, tandis que je siégeais au CNOF, le conseil national des opérations funéraires, en tant que représentant des maires, de voir paraître une circulaire du ministère de l'économie et des finances disposant que les devis types étaient désormais proscrits, interdits, impossibles !

Je suis en désaccord total avec cette circulaire. En effet, une famille frappée par un deuil, qui est donc troublée, émue, plongée dans la douleur, doit prendre des décisions dans un délai de douze à 24 heures. Or, chacun sait que personne dans une telle situation ne peut aller chercher des devis dans les trois, quatre, cinq ou dix entreprises qui travaillent à proximité et comparer des textes écrits en petits caractères, voire totalement illisibles !

C'est pourquoi la seule façon de rendre vraiment transparents les prix, c'est de permettre à l'autorité publique, et je pense en particulier aux autorités municipales, de rédiger des devis types.

Certes, comme l'a souligné Mme Marie-France Beaufils, un problème se pose dans certaines communes où les opérateurs funéraires ne sont pas nombreux.

Toutefois, l'autorité publique pourrait préparer des devis types en concertation avec les opérateurs. Pour chaque type d'obsèques - ils sont entre un et cinq -, certaines prestations seraient prévues ; les opérateurs habilités s'engageraient à respecter les prix fixés, qui seraient publics et comparables.

Ainsi, nous obtiendrions une parfaite transparence sans nullement empêcher que les opérateurs ne proposent d'autres prestations. Les prix doivent absolument être transparents, au bénéfice des familles qui doivent prendre des décisions dans les 24 heures à un moment où elles sont vulnérables parce qu'elles sont très éprouvées.

Le deuxième point porte sur l'harmonisation du taux des vacations funéraires.

Nous avons proposé des simplifications, le Gouvernement en suggère d'autres. Quoi qu'il en soit, tout en respectant les obligations d'un contrôle public en la matière, nous sommes favorables à une simplification administrative, qui permettrait de diminuer le coût des formalités et, partant, celui des obsèques.

Le troisième point concerne le taux de TVA.

Monsieur le ministre, vous venez de nous dire que, selon les calculs du ministère des finances, l'abaissement à 5, 5 % du taux de TVA pour les prestations et fournitures funéraires représenterait un coût de 145 millions d'euros pour les finances publiques. Or nombre de pays d'Europe appliquent déjà le taux réduit de TVA, et le Gouvernement s'est dit prêt à acquitter une somme sans commune mesure pour compenser, dans un autre domaine, une réduction de TVA, à laquelle nous ne sommes d'ailleurs pas hostiles. Le sujet qui nous intéresse ce matin concerne toutes les familles. Les obsèques sont souvent onéreuses, et il n'est pas rare que le montant figurant au bas de la facture ne soit pas tout à fait conforme à celui qui a été estimé. À l'évidence, une avancée positive du Gouvernement sur ce point serait bien perçue par les familles.

Le quatrième et dernier point est relatif aux contrats obsèques.

Comme je l'ai montré dans un certain nombre d'études antérieures, ces contrats étaient très imprécis et mis en oeuvre selon des procédures contestables. De ce fait, les opérations funéraires avaient tendance à être « remonopolisées » : seules quelques entreprises, liées par contrat aux organismes financiers, se retrouvaient ainsi dépositaires d'une part importante des contrats obsèques. C'est la raison pour laquelle nous avons soutenu l'adoption des deux articles proposés dans la loi de décembre 2004.

Pour autant, monsieur le ministre, en l'absence de nouvelle circulaire d'application, celle qui est en vigueur est antérieure à 2004 et donc contraire à cette loi. Le Gouvernement doit absolument publier une nouvelle circulaire dans les prochains mois, pour apporter les précisions qui s'avèrent absolument nécessaires, faute de quoi les nouvelles dispositions ne pourront pas être appliquées dans de bonnes conditions.

Sur un tel sujet, comme sur bien d'autres d'ailleurs, il est toujours question des lobbies. Pour ma part, je l'ai déjà répété à de nombreuses reprises, je n'ai qu'un lobby dans cette affaire : les familles, que nous devons protéger.

En ce qui concerne le service public, il est tout d'abord nécessaire de revoir les conditions de l'habilitation.

À cet égard, il nous a semblé important de recueillir l'avis des professionnels, des élus et des représentants des associations familiales. Nous proposons de créer à cette fin une structure légère, la commission départementale des opérations funéraires.

Aujourd'hui, dans bien des cas, l'habilitation s'obtient automatiquement, après le dépôt en préfecture des cinq documents requis. Les professionnels, qui sont attachés à leurs métiers, se déclarent eux-mêmes partisans d'un renforcement des conditions de l'habilitation. Cela irait dans leur l'intérêt, mais aussi dans celui des familles, car il y va de la dignité des obsèques.

De plus, l'instauration de diplômes nationaux permettra d'améliorer la formation professionnelle aux métiers du funéraire et devrait donc recueillir également un large accord.

Monsieur le ministre, j'en viens maintenant à la crémation qui, vous l'avez dit vous-même, est une question difficile. Nos propositions sont le fruit d'années de réflexion et de dialogue sur ce sujet.

En préalable, il convient d'affirmer que les cendres, en tant que restes d'un être humain, méritent respect, dignité et décence. Nous ne pourrons jamais nous entendre avec ceux qui pensent que les cendres sont de simples choses, pour reprendre l'expression utilisée par M. le rapporteur. À nos yeux, il s'agit d'une question de civilisation, de respect, de mémoire. Je le répète, les restes des êtres humains, qu'ils donnent lieu à crémation ou à inhumation, méritent respect, dignité et décence.

Une telle précision n'étant pas inscrite dans la loi, toutes sortes de dérives contraires à la dignité sont imaginables. Jean-René Lecerf les a longuement évoquées ; certaines donnent même lieu à des articles dans la presse, comme nous pouvons encore le constater ce matin.

Par conséquent, pour le devenir des cendres, il nous paraît logique de proposer une destination qui soit conforme à la philosophie du cimetière public laïque et républicain tel qu'il a été mis en place par les lois adoptées au début du XXe siècle.

Monsieur le ministre, vous nous avez parlé de liberté. Si nous sommes bien sûr tous favorables à la liberté, la question mérite réflexion, car elle doit s'exercer dans le cadre des lois de la République. En matière d'inhumation, personne ne considère comme une atteinte à la liberté l'obligation d'inhumer dans un cimetière public. Je ne vois pas pourquoi le même raisonnement de principe ne s'appliquerait pas aux urnes. Il faut en avoir conscience, la privatisation des urnes présente de réels inconvénients et risque de créer des conflits familiaux, car, à partir du moment où les urnes contenant des cendres ne sont pas des choses ordinaires, elles ne peuvent pas donner lieu à héritage. En tout état de cause, le devenir de ces urnes dans un espace public pose problème.

Monsieur le ministre, dans notre tradition républicaine, les cimetières sont publics : chacun et chacune d'entre nous peut se recueillir devant les restes de ceux qui, connus ou inconnus, nous ont précédés, et ce au Père-Lachaise ou dans n'importe quel autre cimetière de ville ou de village de notre pays. Or, dès lors qu'il y a privatisation des cendres, nombre de personnes se trouvent dans l'impossibilité d'aller faire leur deuil devant les restes d'un défunt, ce qui est toujours possible dans un lieu public.

C'est ce qui nous a conduits à nous inspirer fortement de la philosophie du cimetière public laïque et républicain pour proposer les quatre destinations envisageables : pour la conservation, le columbarium ou les « cavurnes », qui répondent mieux au souci de l'esthétique des lieux de mémoire ; pour la dispersion, soit un espace naturel, soit un jardin du souvenir.

La déclaration obligatoire de l'identité du défunt, de la date et du lieu de dispersion des cendres constitue un autre point important de la proposition de loi. Malgré ce que certains pensent, il est très important de pouvoir se référer à une personne précise par rapport à un lieu précis, pour en conserver au mieux la mémoire. Ainsi, en cas de dispersion des cendres dans un jardin du souvenir, nous proposons un dispositif d'inscription obligatoire. De même, lorsque la dispersion se fait dans un espace naturel, il nous paraît nécessaire que les héritiers responsables des funérailles soient tenus de la déclarer à la mairie du lieu de décès.

En vertu, toujours, du même principe républicain, nous sommes évidemment opposés à la création des sites funéraires privés, prévue par l'ordonnance du 28 juillet 2005, qui conduirait de facto à l'instauration de cimetières privés. À cet égard, nous sommes en total accord avec la position de l'Association des maires de France, qui a été présentée par Mme Jacqueline Gourault.

Monsieur le ministre, toutes ces propositions ont été formulées avec le souci de respecter la dignité des personnes, souci commun à toutes les civilisations.

Pour préparer ce texte, nous avons consulté les représentants des différents cultes. Il nous est alors apparu qu'il n'était pas opportun de légiférer en matière de carré confessionnel et que le maintien du système actuel, privilégiant le dialogue avec les maires, était sans doute préférable.

En revanche, les représentants des religions musulmane et juive ont émis un souhait important, que nous avons pris en considération : les familles doivent pouvoir demander que les restes ne donnent jamais lieu à crémation. Tel est donc l'objet de l'article 19.

Nous le savons tous, cette proposition de loi traite d'un sujet de société, qui renvoie à l'intime. Il nous est apparu tout à fait nécessaire de faire encore un pas en avant, pour respecter l'esprit et la lettre de la réforme de 1993, pour prendre en compte le développement de la crémation et pour faire écho à cette phrase d'André Malraux, qui figure au début de notre rapport d'information : « Toute civilisation est hantée, visiblement ou invisiblement, par ce qu'elle pense de la mort. » Le respect dû à la mémoire de ceux qui nous ont précédés définit une civilisation. Il nous appartient, aujourd'hui, avec modestie, mais avec clarté, de faire oeuvre de civilisation.

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