Lorsqu'on avait un problème au XXe siècle, on créait des commissions ; au XXIe siècle, on crée de nouvelles autorités indépendantes !
Il aurait été plus sage, me semble-t-il, de s'en remettre à une autorité existante parfaitement compétente : le Conseil de la concurrence. Le problème est en effet le suivant : ou bien la nouvelle autorité administrative indépendante n'aura pas de moyens et elle ne servira à rien face au lobby énorme et très puissant de Microsoft en Europe qui, je vous le rappelle, représente 500 millions de dollars - donc, combien de divisions pour cette autorité de régulation ? - ou bien elle sera très richement dotée en services, ce qui signifie qu'elle aura un coût, et nous serions alors en droit d'invoquer l'article 40 !
Ces deux visions étant difficilement conciliables, je vous inciterai à aller au bout de ce que vous avez déclaré dans le Herald Tribune, car c'est, à mon avis, une bonne conception de l'interopérabilité.
J'en viens très rapidement aux trois limites de la protection des oeuvres.
La première limite aux mesures techniques de protection est l'article 7 bis, que des collègues députés ont inséré dans la loi et qui concerne les logiciels espions. La multiplication des piratages a forcé des développeurs à intégrer ces « bestioles informatiques » pour tenter de contrôler à distance des fonctionnalités des ordinateurs, y compris des accès à des données, ce qui pose un problème en termes de liberté fondamentale individuelle, ainsi qu'un problème de sécurité des systèmes d'information.
Les députés ont été sages en prévoyant un dispositif comportant trois mécanismes : la déclaration préalable, le rappel de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et la possibilité pour l'État de déterminer les règles d'utilisation de ces logiciels par ses propres administrations, par les collectivités territoriales et même par les opérateurs publics ou privés gérant des installations d'importance vitale au sens des articles du code de la défense.
La solution de sagesse consiste à maintenir absolument cet article, même s'il y a un léger doute, car il existe en France une vulnérabilité de nos systèmes. D'autant que nous avons un service parfaitement compétent : la Direction centrale de la sécurité des systèmes d'information.
La deuxième limite concerne le peer to peer, sujet abordé à l'article 12 bis. Supprimer les trois dérogations prévues par l'Assemblée nationale s'agissant de la recherche et du travail collaboratif, qu'il faut sans doute mieux définir pour ce qui concerne l'échange de fichiers qui ne donne pas lieu à la rémunération du droit d'auteur, revient à interdire une technique au motif que celle-ci peut conduire à des usages illicites. Mais, mes chers collègues, interdit-on la voiture en France sous prétexte que sa mauvaise utilisation peut tuer des personnes ? Il faut donc maintenir ce dispositif.
Enfin, la troisième limite est relative à la copie privée. Je me contenterai d'évoquer cette application plus culturelle, car la loi de 1985, et bien d'autres, reconnaissent cette exception. Je suis d'avis de la consolider. L'un de mes collègues a fait tout à l'heure allusion à l'arrêt rendu le 28 février dernier par la Cour de cassation dans l'affaire Mulholland drive.
À terme, si nous ne sanctuarisons pas ce droit à l'exception pour la copie privée, nous risquons de rencontrer des problèmes, car il y aura des dérives. Permettre aux Français de passer une oeuvre d'un support à un autre dans un cercle intime constitue également un droit à portée tant culturelle qu'économique.
En conclusion, je salue encore une fois, monsieur le ministre, le fait que vous soyez parvenu à instaurer un bon équilibre entre, d'un côté, la protection nécessaire et, de l'autre, la liberté. Toutefois, cet équilibre est fragile. Pour paraphraser Montesquieu, je dirai qu'il ne nous faut toucher au texte de l'Assemblée nationale que d'une main tremblante.