En présentant ce projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, vous avez accepté de relever un défi de taille, monsieur le ministre. Il s'agit en effet d'un texte technique, qui aborde des sujets aussi complexes que la DRM, la copie privée, le peer to peer, l'interopérabilité, l'exception de décompilation.
Cette complexité peut paraître rebutante, mais elle doit être dépassée, car, dans le même temps, ce texte porte sur des notions fondamentales, telles la liberté de création et les protections qu'elle impose, mais aussi la liberté de consommer cette culture à travers les supports liés à l'internet, comme des centaines de milliers de jeunes le font aujourd'hui.
Autant dire qu'il était difficile pour vous de déposer un texte équilibré, conforme aux directives européennes mais aussi marqué par cette exception culturelle française à laquelle nous sommes attachés. C'est pourtant ce résultat auquel vous êtes parvenu, monsieur le ministre, et notre groupe vous en félicite.
Le débat de décembre à l'Assemblée nationale fut rude, mais il ne fut pas inintéressant. Il a en effet permis de transformer un sujet réservé aux techniciens en un sujet de société, qui concerne bel et bien le quotidien de nos concitoyens, comme l'a si bien rappelé notre excellent rapporteur, Michel Thiollière.
Par conséquent, devant un texte complexe, revenons à des principes simples et à des objectifs autour desquels notre majorité a toujours gardé une parfaite cohérence.
Premier principe, qu'il est bon de rappeler : tout travail mérite salaire !
Monsieur le ministre, ce principe, vous l'avez défendu contre vents et marées. Oui, vous trouvez parmi nous un écho et vous avez notre soutien lorsque vous vous portez garant du respect du travail du créateur et de sa juste rémunération.
En la matière, un peu de cohérence serait bienvenue dans le discours de certains.
Il n'est pas possible, d'un côté, d'afficher un soutien incantatoire aux artistes et aux techniciens et, de l'autre, d'accepter, au nom du principe d'une liberté absolue, de brader leur travail et leur rémunération dès lors que leurs oeuvres seraient disponibles sur Internet.
Cest en effet le deuxième principe sur lequel s'appuie votre projet de loi : il faut cesser de confondre la démocratie culturelle avec la gratuité culturelle.
Là aussi, la circulation des oeuvres sur Internet, en raison même de sa facilité et de sa vitesse, nous pose avec une acuité nouvelle la question de l'accès aux oeuvres pour le plus grand nombre. Si nous souhaitons bien sûr tous atteindre cet objectif, il faut respecter un équilibre entre, d'une part, la liberté et la soif d'accès des internautes et, d'autre part, le respect des droits et de la rémunération des auteurs. Vous êtes parvenu, monsieur le ministre, à cet équilibre.
Ainsi, nous créerons les conditions pour faire d'Internet une chance pour une plus grande démocratisation de l'accès à la culture au sein même de la société de l'information.
Encore faut-il respecter deux conditions : faire oeuvre de pédagogie, notamment à l'égard des plus jeunes de nos concitoyens, et demander aux professionnels de développer une véritable stratégie de l'offre adaptée à l'évolution des modes de consommations qui émergent.
Monsieur le ministre, la pédagogie sur cette question est essentielle. Certes, nous donnons une sécurité juridique en permettant une adaptation du respect du droit d'auteur. Mais donner du corps, du sens et de la légitimité à cette évolution passe obligatoirement par un travail d'explication. Or force est de constater que lorsque nous, élus locaux, évoquons ce sujet avec les jeunes de nos communes, ce travail d'explication est loin d'être satisfaisant. En effet, depuis des années, les jeunes, par milliers, par centaines de milliers, se sont habitués à ce nouveau mode de transmission. Ils ont ainsi trouvé une parade facile au prix trop lourd, voire prohibitif, des produits culturels.
Quand nous tentons de leur expliquer le mécanisme de cette loi, les jeunes ne perçoivent pas le lien entre la copie d'une oeuvre, geste devenu familier, et les conséquences sur le travail et la rémunération des artistes.
Il faut expliquer aux jeunes pourquoi il est indispensable de respecter le travail et la rémunération des créateurs. Il faut leur expliquer en quoi notre pays est l'un des rares à présenter une telle capacité de création. Il faut enfin en éclairer le lien avec la diversité culturelle, fierté française consacrée sur le plan international et qui doit tous nous rassembler.
Plutôt que de laisser les majors de l'édition culturelle monopoliser la parole pour défendre leurs seuls intérêts, pourquoi ne pas inviter nos artistes, nos créateurs, nos chanteurs à aller au-devant des jeunes pour les sensibiliser à ce problème. Faute de ce travail, de cette pédagogie, nombre de jeunes considéreront que cette loi est uniquement répressive et limitative de liberté.
De même, comme la pédagogie est un art de la répétition, il est important de mettre en avant les avancées de ce texte.
Non, il ne s'agit pas d'interdire le téléchargement sur Internet, comme beaucoup le pensent et comme je l'entends encore. Il s'agit, au contraire, d'assurer la protection des oeuvres sur les supports numériques et d'empêcher le pillage, en luttant contre ceux qui utilisent sans scrupules la création artistique à des fins de pur business, hélas ! particulièrement prospère.
Pour ce qui est des sanctions, il faut là aussi expliquer que ce projet de loi met fin aux menaces de prison pour les internautes qui téléchargent. Cette sanction est certes théorique, mais il est bon de rappeler qu'ils y sont encore potentiellement exposés dans le droit actuel. En revanche, il nous semble important de maintenir, comme le proposera la commission, une responsabilité civile des éditeurs de logiciels destinés à un usage de téléchargement illégal.
Enfin, la pédagogie doit venir des professionnels eux-mêmes. Comme le font les PME ou les chambres de commerce, il serait bon de voir les professionnels de la musique et du cinéma expliquer, de façon concrète, dans nos lycées, dans nos collèges, dans nos centres de formation d'apprentis, les différents métiers liés à la santé économique de cette filière.
En mettant l'accent sur les perspectives de développement des métiers de demain où les jeunes Français peuvent exceller, nous sortirions d'une vision strictement défensive de la part des industries de la musique et du cinéma, pour faire de cette filière une filière française d'excellence, offrant à des milliers de jeunes des perspectives d'emploi et d'intégration.
Toujours concernant la pédagogie, je vous suggère, monsieur le ministre, de vous appuyer aussi sur les collectivités territoriales qui le souhaitent. En effet, ce sont nous, les élus locaux, qui, au travers de nos structures d'accueil et d'animation, restons encore au contact des jeunes.
Pour ma part, je me vois bien, dans ma commune, organiser une réunion d'information avec quelques artistes pour faire comprendre aux jeunes les finalités de cette loi. Les événements récents ne nous ont-ils pas démontré, monsieur le ministre, qu'il était temps de ne plus être avare d'explications ?
Mais la pédagogie ne suffit pas. En effet, un argument souvent entendu consiste à dire que, si l'on veut respecter la loi et éviter les téléchargements sauvages, la seule alternative possible, en dehors de nos modestes médiathèques, est d'aller dans les grands magasins acheter des CD et des DVD à des prix qui oscillent entre 15 et 30 euros, et parfois plus, ce qui dépasse bien souvent les possibilités financières de nos jeunes.
Alors, bien sûr, certains pourraient imaginer que, face à cette situation, l'État - toujours l'État - prenne des mesures attractives pour diminuer le prix de ces produits, par une baisse de la TVA, par exemple.
Je ne crois pas que cette solution soit la bonne. Elle aurait pour conséquence immédiate d'alourdir les charges de l'État, ce contre quoi nous nous battons régulièrement à l'UMP.
Par ailleurs, n'en doutons pas, cette baisse de la fiscalité serait très vraisemblablement compensée par la hausse des prix de vente des distributeurs. C'est donc vers ces distributeurs eux-mêmes que nous nous tournons aujourd'hui. En effet, plutôt que de multiplier les actions de lobbying pour préserver leurs avantages, les professionnels seraient bien inspirés de profiter de cette loi pour développer une véritable stratégie de l'offre culturelle adaptée à l'évolution des modes de consommation qui émergent.
Rien n'empêche effectivement à ces professionnels de proposer de nouvelles formes de consommation culturelle ; l'attractivité d'un coût modéré répondrait à l'attente des internautes.
L'expérience développée par l'industrie cinématographique est à cet égard très intéressante. Quand les professionnels du cinéma ont constaté que la fréquentation des salles chutait de manière structurelle et constante, les grandes chaînes de distribution ont innové et proposé de nouveaux services. Ainsi a-t-il été mis en place un dispositif de cartes téléchargeables et d'abonnements proposés à des prix très attractifs, qui assurent dorénavant une fréquentation plus importante et un public renouvelé.
Je vois là une évolution aisément transposable, que les majors de l'édition musicale, par exemple, pourraient très facilement et très efficacement organiser. Pourquoi les distributeurs ne pourraient-ils pas proposer par genre, rap, disco, jazz, classique ou autre, une partie de leur catalogue téléchargeable moyennant une contribution mensuelle raisonnable des internautes ? Cela fonctionne très bien pour le cinéma.
Ainsi, plutôt que de protéger leurs avantages financiers en se cachant derrière les droits d'auteur, les distributeurs feraient preuve d'imagination commerciale.
À la licence globale, inefficace, je préfère l'offre commerciale bénéfique au consommateur, comme l'a montré l'évolution dans le secteur du téléphone portable ou les offres multiples pour Internet, qui sont de plus en plus avantageuses pour le consommateur. Rien n'empêcherait même, comme le suggère l'amendement de l'un de nos collègues du groupe UMP, d'offrir le téléchargement gratuit d'oeuvres de jeunes auteurs, créateurs ou interprètes, qui trouveraient là le moyen de se faire connaître.
À ces professionnels qui innoveraient, on peut du reste garantir un franc succès. Il suffit pour cela de lire les statistiques récentes sur la vente par Internet, qui placent la France parmi les tout premiers pays européens en la matière.
Enfin, monsieur le ministre, je ne voudrais pas conclure sans attirer votre attention sur une incohérence qui n'a pas échappé aux internautes et pour laquelle une réponse argumentée n'est pas si évidente.
J'ai rencontré en effet de nombreux internautes qui m'ont interpellé sur l'incohérence qu'il y a à pénaliser les internautes lorsqu'ils téléchargent, alors que, dans le même temps, on leur offre dans n'importe quel magasin bien fourni la possibilité d'acquérir, librement et le plus légalement du monde, des lecteurs et des enregistreurs au format DivX, dont la vocation est, tout le monde le sait, d'utiliser les téléchargements illégaux, et ce pour à peine 30 euros !
N'est-ce pas là une formidable invitation, pour ne pas dire incitation, à ne pas respecter la loi ? Aidez-moi, monsieur le ministre, par votre réponse, à trouver les arguments qui me font défaut.
Comme j'ai tenté de l'exposer, ce projet de loi vient, certes, un peu tard, mais il apportera les garanties nécessaires au travail des créateurs de culture. L'explosion et la sophistication des technologies, le fait qu'un Français sur deux possède un ordinateur, le raccordement au haut débit aujourd'hui et au très haut débit demain, sont autant de facteurs prometteurs de diffusion culturelle qu'il convient d'organiser, comme les directives européennes le prescrivent et comme l'ont déjà fait de nombreux pays.
Mais une fois encore, si le Gouvernement et le Parlement n'ont pas la passion d'expliquer et d'expliquer encore le sens des réformes proposées, nous risquons une fois de plus d'être incompris, voire combattus par une jeunesse qui a tôt fait de considérer que toute atteinte, fût-elle partielle, à une quelconque de ce qu'elle considère comme ses libertés est une agression personnelle insupportable. Aussi notre groupe souhaite-t-il vraiment qu'une communication efficace et intelligente puisse être organisée autour de ce projet de loi.
Ainsi pourriez-vous démentir cette idée trop longtemps admise selon laquelle il est impossible de réformer notre pays et que toute réforme est inévitablement vouée à l'échec.
C'est pourquoi, en nous appuyant sur le remarquable travail de la commission des affaires culturelles, de son président Jacques Valade et de son rapporteur Michel Thiollière, que je souhaite saluer, nous voulons vous accompagner dans le succès de cette réforme que, bien évidemment, nous voterons.