Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la transposition qui nous est proposée est à la fois tardive et victime de l'urgence. Cette urgence a perdu tout son sens pour ce qui est de gagner du temps.
L'interruption des débats à l'Assemblée nationale, puis le renoncement trop tardif au CPE ont largement différé la fin des débats. En revanche, cette urgence affaiblit la navette et la fécondité des ajustements qu'elle permet sur un texte aussi complexe, dont on ne cesse de découvrir des dommages collatéraux.
Les élus Verts considèrent d'abord la propriété artistique à la française, et les droits d'auteur qui y sont attachés, comme un acquis à préserver, auquel le numérique ne saurait faire obstacle. En plus de la juste rémunération de la création, l'existence et la définition du droit moral tiennent à distance des conceptions et des pratiques dans lesquelles tout est marchandise. C'est cela qu'il faut garantir, parce que c'est là que se trouvent les conditions indispensables à la diversité culturelle.
Chaque nouvelle technologie - l'imprimerie, la radio, la photocopie, la télévision - a obligé le pouvoir à élaborer des règles adaptées. À chaque fois, ce fut le grand vertige devant l'inconnu, et ce sont les supports qui furent mis au débat : c'est le commerce des livres que l'on voulait arrêter aux frontières qu'évoque Diderot, ce sont les liens entre la législation sur l'imprimerie et les Lumières que commente Condorcet.
À chaque fois, l'intérêt public et la sauvegarde de ce qui fait sens et civilisation durent se frotter aux intérêts économiques de quelques-uns : licence exclusive au profit de l'imprimeur en Allemagne dès 1470 ; privilège d'édition aux corporations de libraires en France sous Louis XII ; rupture du monopole des papetiers à Londres en 1710 et réaction immédiate des libraires, et à Paris, Beaumarchais, en 1777, s'affronte aux intérêts exorbitants de la Comédie-Française. À chaque étape, l'émoi fait colporter des contrevérités.
Nous savons maintenant que les vidéocassettes n'ont pas tué le cinéma, et que les bibliothèques n'ont pas fait baisser les ventes de livres.
Aujourd'hui, ce sont les possibilités offertes par le numérique et les pratiques sociales qui s'en saisissent qui nous convoquent, par le biais de l'Union européenne, dans un souci d'harmonisation.
Le défi, c'est de faire de la politique, c'est-à-dire de transcrire dans la loi nos valeurs, de façon compréhensible par tous, sans sombrer dans des considérations technicistes confuses, et par essence vite dépassées. Au cours des débats, je reviendrai sur le droit moral, en particulier celui des photographes, qui me semble avoir été malmené.