Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 4 mai 2006 à 9h30
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Discussion générale

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Certes, ils prennent des risques économiques, certes on reconnaît aux producteurs des droits voisins, certes les réseaux de la toile que tendent les grands groupes sont utiles, mais en aucun cas leur poids et la force de leurs lobbies ne sauraient tenir la plume du législateur.

Ce qui nous motive, c'est une société cultivée, une création foisonnante et libre, des auteurs respectés et rémunérés : ce n'est pas aux tuyaux intermédiaires de dire l'alpha et l'oméga de la culture et de ses modes de protection. D'autant que leurs mécanismes préférentiels ont jusqu'à présent favorisé la standardisation et les tentatives de formatage des attentes du public. D'autant que leurs capitaux mélangés et la diversification de leurs activités les rendent à la fois bâtisseurs de réseaux payants, diffuseurs de matériel permettant toutes les copies et stockages, fournisseurs d'accès soigneusement dédouanés de toute responsabilité, et vendeurs de dispositifs de cryptage et de suivi, aux démocraties comme aux dictatures ; ils ne sont pas regardants. D'autant que leur lenteur coupable à donner une offre légale de téléchargement a dynamisé les pratiques d'échanges.

La promotion de la licence globale - épisode datant d'avant Noël - a été rapidement stoppée : elle avait rassemblé ceux qui refusaient de compter plus de la moitié des internautes au rang des délinquants ; elle avait été élaborée et soutenue par des associations diverses - des consommateurs, des militants de l'éducation populaire, des artistes interprètes, des plasticiens ; elle avait été repoussée par une majorité de compositeurs et d'auteurs, et par leurs sociétés de perception de droits.

Nous aurions pu avoir un débat plus construit et plus serein si ces sociétés avaient les mêmes règles comptables, si leurs chiffres étaient plus transparents et plus actualisés.

Au fond, l'approche par le dialogue entre usagers et artistes, par le pragmatisme - puisqu'il y a téléchargement et manque à gagner, créons une ressource - était intéressante. Certes, on se rapprochait une fois de plus du forfait plutôt que de la proportionnalité. Mais le forfait, ce n'est pas l'apanage du seul et détestable copyright, c'est aussi le principe de la rémunération pour copie privée, ou de la redevance télévisuelle qui, au passage, est contournée par les écrans numériques alimentés par des signaux d'ordinateur, ce qui, à terme, fragilisera les chaînes publiques.

J'ai entendu les arguments hostiles des petits labels, aux budgets tendus, qui voyaient poindre le jour où ils déposeraient le bilan. Effectivement, les quelques euros envisagés pour la licence globale sur chaque abonnement ne faisaient pas le compte, et le côté facultatif de cette taxe n'éloignait pas le spectre des atteintes aux libertés individuelles. Il n'est cependant pas exclu que, d'ici à quelque temps, au vu des options probablement inopérantes de ce texte, soit à nouveau posée la question sous d'autres formes, dont la mise à contribution des disques durs ou des fournisseurs d'accès, qui sont tout de même au centre du dispositif.

Les droits versés s'élevaient à environ 850 millions d'euros en 2002, sur 1, 1 milliard d'euros collectés, ce qui représente vraiment beaucoup de frais de gestion. C'est un défi de rassembler plus de 1 milliard d'euros, mais il ne faut quand même pas se laisser enfermer dans des variables peu faciles à changer.

Ce 1 milliard d'euros de droits est à mettre en perspective avec d'autres chiffres autrement évocateurs : 700 milliards de dollars de chute de capitalisation boursière entre mars et novembre 2002 dans le secteur du numérique ; 600 milliards de chiffre d'affaires de vente rien que par le télémarketing en 2002 ; 11 400 milliards de fusions-acquisitions dans les télécommunications en 2000.

Les moyens et les pouvoirs des fabricants d'informatique, des fournisseurs d'accès du secteur des télécommunications, libéralisé par des directives européennes, des sociétés de logiciels fermés comme Microsoft, la position dominante des fabricants et gestionnaires de réseau qui mettent des consommateurs à disposition des annonceurs au lieu de faire leur métier et de proposer des oeuvres de l'esprit aux usagers : voilà l'environnement réel dans lequel sont malmenés les droits d'auteur et la diversité culturelle.

Alors, vouloir faire peser la responsabilité de la précarisation, de la juste rémunération et du droit moral sur le seul internaute amateur est abusif.

C'est d'abord taire l'arsenal que la loi offre déjà contre les pratiques commerciales de contrefaçon et de ventes illicites.

C'est aussi négliger ce qu'il y a de réjouissant à voir se pratiquer des ouvertures, des découvertes, des enseignements, des échanges, des coopérations : cet aspect positif, épanouissant et émancipateur, mérite tout de même d'être rappelé.

C'est enfin oublier l'environnement dans lequel grandit le jeune internaute. La gratuité, dont il ne sait pas quand il est petit qu'elle se paye un jour, le poursuit depuis les classes primaires : distribution d'échantillons, de friandises, de gadgets, de journaux à la porte de l'école.

Le juste prix des choses ne lui est jamais valorisé : au contraire, ses vêtements sont confectionnés ailleurs à si bas prix que seule une exploitation impitoyable du créateur les rend importables ; le prix des aliments qu'il mange ne permet pas d'assurer le revenu de l'agriculteur.

Enfin, il est gavé de publicités agressives sur le MP3, les possibilités du haut débit, que l'on présente avec malhonnêteté comme un droit de tirage illimité sur la musique ou sur les films.

Alors, quand sont payés l'ordinateur à 1 000 euros, la clef MP3 à 100 euros, l'accès mensuel à 30 euros - si son quartier a un accès dégroupé - soit presque 3 000 euros pour cinq ans de passion, toutes les conditions sont créées pour que le jeune internaute se croie quitte. Cette société-là, c'est celle de la compétitivité et du libéralisme.

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