Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet d'organiser le partage des prestations familiales entre les deux parents, en cas de résidence alternée de leurs enfants.
La résidence alternée a été reconnue officiellement par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Elle est choisie au terme de 10 % environ des 70 000 divorces impliquant des mineurs qui sont prononcés en France, et concerne donc 12 000 enfants de plus chaque année.
Dans ce cadre, les enfants résident alors alternativement chez chacun de leurs parents, le plus souvent selon un rythme hebdomadaire.
Ce mode de résidence implique que les parents s'entendent ou, à tout le moins, respectent une répartition équitable des charges liées à l'entretien de l'enfant, en tenant compte des avantages fiscaux et sociaux qui atténuent ces charges.
La loi de finances rectificative pour 2002 a prévu que les avantages fiscaux pouvaient être répartis entre les parents grâce au partage du quotient familial se rapportant aux enfants. En revanche, les prestations familiales restent attribuées en intégralité à l'un des deux parents. Le choix de l'allocataire est normalement effectué d'un commun accord entre eux, mais, si cet accord se révèle impossible, les caisses d'allocations familiales versent les prestations à celui des deux ex-conjoints qui avait la qualité d'allocataire avant le divorce.
Le fait est que le droit de la sécurité sociale ne s'est pas adapté à l'évolution du droit de la famille et n'a pas tiré les conséquences de la reconnaissance de la résidence alternée.
C'est la raison pour laquelle les auteurs de la proposition de loi proposent un partage des prestations familiales en deux parts égales en cas de résidence alternée, sauf si la convention homologuée par le juge, par laquelle les parents règlent les questions relatives à l'autorité parentale, ou la décision du juge lui-même en décident autrement.
À l'appui de leur proposition, ils invoquent un avis de la Cour de cassation du 26 juin dernier dans lequel la Cour estime qu'en cas de résidence alternée on peut considérer que les enfants sont à la charge des deux parents et que, de ce fait, ils ouvrent droit aux prestations familiales au titre de l'un comme de l'autre.
Cependant, j'observe que la solution ici proposée va beaucoup plus loin que ne l'exigerait en réalité la Cour.
D'une part, le texte prévoit un partage des prestations familiales, quel que soit le type de résidence alternée, c'est-à-dire que celle-ci soit ou non « égalitaire ». Or la Cour précise que la résidence alternée doit être effective et équivalente pour que l'enfant puisse être considéré comme étant à la charge de ses deux parents, au sens du code de la sécurité sociale, et écarte a contrario tout partage quand la charge de l'enfant n'est pas répartie de façon équitable entre les parents.
D'autre part, le texte impose un partage systématique de toutes les prestations familiales, selon un modèle unique - la division en deux parts égales de leur montant -, alors que la Cour encadre ce partage en le subordonnant à des adaptations en fonction de la situation des parents et des règles propres à chaque prestation.
Quelques exemples concrets permettent de mesurer le caractère excessivement simpliste de la solution proposée.
Prenons l'allocation de parent isolé : ne serait-il pas singulier de diviser ce minimum social entre les deux parents, sans considération du fait que l'un d'entre eux pourrait en réalité ne pas remplir la condition d'isolement qui conditionne l'attribution de cette allocation ?
Les prestations sous condition de ressources soulèvent également un grand nombre de difficultés : dans la majorité des cas, les ressources des deux parents ne seront pas équivalentes et n'ouvriront pas forcément droit aux mêmes prestations ou alors à des prestations qui ne seront pas nécessairement d'un montant identique. S'il faut déterminer le droit à telle ou telle prestation, quelles ressources les caisses d'allocations familiales devront-elles retenir ? L'addition des ressources des deux parents, même si ceux-ci sont séparés ? Les ressources de l'un ou de l'autre ? Mais alors, comment choisir celui des deux parents qui servira de référence ?
Un problème supplémentaire se pose pour l'allocation de logement familial, puisque son attribution non seulement est soumise à une condition de ressources, mais encore dépend de critères liés au logement lui-même. Or, par définition, des parents séparés n'occupent pas le même logement.
On le voit, même si une solution doit être apportée au vide juridique créé par le développement de la résidence alternée dans l'attribution des prestations familiales, le dispositif doit impérativement être adapté à chaque prestation.
C'est d'ailleurs le sens de la démarche qu'a adoptée le Gouvernement. Ainsi, au printemps dernier, il a mis en place un groupe de travail chargé, d'une part, d'étudier les prestations familiales pouvant faire l'objet d'un partage entre des parents séparés, d'autre part, d'identifier les difficultés juridiques et pratiques d'un tel partage.
Grâce à ces travaux, une première étape sera proposée dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour le partage des seules allocations familiales. La rédaction retenue, même si elle ne répond pas à toutes nos interrogations, est bien plus satisfaisante que celle de la présente proposition de loi, car elle fait référence à une mise en oeuvre effective et équivalente de la résidence alternée et permet de préciser les modalités de répartition des parts ouvrant droit au bénéfice de ces allocations, notamment dans le cas des familles recomposées.
Pour les autres prestations, le groupe de travail poursuit ses réflexions. Dans ces conditions, il serait prématuré de poser le principe d'un partage de toutes les prestations.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, de rejeter l'ensemble de cette proposition de loi.
Avant de conclure, et bien que ce ne soit pas directement l'objet de la proposition de loi sur laquelle la commission se prononce aujourd'hui, je voudrais rappeler les critiques dont fait l'objet la résidence alternée.
En effet, plusieurs spécialistes de l'enfance dénoncent l'effet néfaste qu'elle peut avoir au plan psychologique sur l'enfant, notamment lorsqu'il est très jeune, dans la mesure où elle contrarie ses besoins de stabilité et de repères.
Il s'agit en outre d'un mode d'organisation contraignant et coûteux, puisque chaque parent doit être en mesure de loger ses enfants dans des conditions permettant une scolarisation continue.
Si l'on obligeait les parents à subir les mêmes changements, cela leur poserait sans doute beaucoup de problèmes ! §