Intervention de Esther Sittler

Réunion du 17 octobre 2006 à 22h00
Droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants — Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Photo de Esther SittlerEsther Sittler :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir a été inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée par la conférence des présidents mercredi dernier. Elle a fait l'objet d'un rapport de la commission des affaires sociales dès le jeudi.

Je tiens à féliciter notre rapporteur ainsi que ses collaborateurs pour leur efficacité, qui nous permet de débattre dans les meilleures conditions ce soir.

Il est proposé, dans ce texte, une solution à la délicate question de la répartition des prestations familiales en cas de résidence alternée après un divorce. Ce système, qui donne la possibilité aux enfants de vivre tantôt chez le père, tantôt chez la mère, après la séparation des parents, a été instauré par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.

Sur les 130 000 nouveaux divorces prononcés chaque année, la garde alternée en concernerait environ 10 000, selon le ministère de la justice. Dans 80 % des cas, soit la grande majorité, les demandes de garde alternée sont formulées conjointement par les deux parents. Lorsqu'un seul la demande, elle est retenue dans 25 % des cas.

J'en viens au problème des allocations familiales.

Alors que les deux parents assument parfois tous deux la charge effective de l'enfant, seul l'un des deux peut être allocataire, a priori celui qui percevait précédemment l'allocation. La seule possibilité offerte par la CNAF est d'alterner le bénéficiaire, par exemple par période d'un an, ce qui n'est pas très satisfaisant.

Le code de la sécurité sociale n'a donc pas tiré les conséquences du nouveau dispositif de la garde alternée.

La situation paraît d'autant moins équitable qu'une solution a été trouvée sur le plan fiscal. La loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 prévoit en effet qu'« en cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf dispositions contraires dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord des parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et l'autre parent. Ils ouvrent droit à une majoration de 0, 25 part pour chacun des deux premiers et de 0, 5 part à compter du troisième ».

La justice a ainsi été saisie de plusieurs cas, en matière sociale, où l'un des deux parents, le plus souvent le père, se sentait lésé par la situation.

Attaché à trouver une solution, monsieur le ministre délégué, vous avez engagé une réflexion sur le sujet au mois de mai dernier. Un groupe de travail a été formé pendant l'été, réunissant en son sein des représentants de la CNAF et des associations familiales ainsi que des magistrats. Les experts ainsi rassemblés n'ont pu que constater à quel point la question était en effet extrêmement complexe et délicate.

Toutes les prestations familiales ne peuvent être traitées de la même façon, les conditions posées variant d'une prestation à l'autre. Ainsi, les prestations sous condition de ressources peuvent-elles être partagées sans qu'il soit tenu compte des revenus respectifs des parents séparés ? Et selon quelles modalités ?

Les prestations soumises à des conditions spécifiques - l'isolement pour l'allocation de parent isolé - ou liées à l'exercice d'une activité professionnelle - comme la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE - peuvent-elles être partagées, et selon quels critères ? Comme l'a très bien expliqué M. le rapporteur, il faut éviter d'aboutir à des situations juridiques inextricables.

La question se pose également pour les allocations familiales qui sont universelles. Lorsque la garde alternée est égale entre le père et la mère et que les relations sont demeurées sereines, le partage ne devrait pas poser de problème.

C'est évidemment beaucoup plus complexe lorsque la durée de la garde et/ou les ressources du père et de la mère sont différentes. D'autres paramètres peuvent aussi venir s'ajouter, comme le fait que l'un des parents ou les deux aient fondé une autre famille.

Il y a eu des cas où les CAF ont dû suspendre le versement des allocations familiales parce que les parents se déchiraient et ne pouvaient se mettre d'accord lors du jugement sur le destinataire des prestations.

Des juristes se sont également inquiétés du risque, réel, de demande de révision du niveau de la pension alimentaire afin de compenser la perte financière d'un partage des allocations familiales si l'un des parents ne joue pas le jeu. Que faire également dans l'hypothèse où la pension alimentaire n'est pas versée ?

Il convient donc d'être très prudent afin de ne pas commettre de nouvelles injustices.

Or les auteurs de la présente proposition de loi proposent une solution unique : celle du partage des prestations familiales en deux parts égales en cas de résidence alternée, sauf si les parents se sont entendus pour en convenir autrement dans le cadre de la convention homologuée par le juge. Ils évoquent, dans leur exposé des motifs, un avis de la Cour de cassation saisie par un tribunal des affaires de sécurité sociale qui a permis, l'été dernier, le partage en faveur d'un père qui demandait que son droit soit reconnu.

Or, comme nous venons de l'exposer, la situation est complexe et impose des réponses diverses et circonstanciées.

Le texte ainsi soumis à notre examen n'apparaît, par conséquent, pas applicable en l'état. Une réflexion technique est indispensable pour examiner au cas par cas chaque prestation, l'opportunité de son partage et ses modalités.

C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle a abouti le groupe de travail mis en place par le Gouvernement, qui poursuit sa réflexion. Une solution semble toutefois avoir été trouvée s'agissant du cas spécifique des allocations familiales.

En effet, l'article 65 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 devrait permettre de reconnaître la qualité d'allocataire à chacun des deux parents séparés, sous certaines conditions précisées par décret en Conseil d'État, lorsqu'il y a partage de la charge effective de l'enfant.

Pour toutes ces raisons, l'initiative de nos collègues apparaît prématurée. C'est pourquoi le groupe UMP votera les conclusions présentées par notre excellent rapporteur proposant très sagement de rejeter cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion