Vous avez donc excipé de l'article 3 de la Constitution pour rejeter un amendement du groupe CRC sur le sujet : j'en prends acte, mais je le déplore.
Cela étant, je regrette vivement que cet amendement, dont le Gouvernement et la commission savaient d'ailleurs que la majorité sénatoriale ne l'aurait pas voté, n'ait pas été retenu. Cela aurait permis d'avoir au moins un débat démocratique sur cette question. Je l'avoue, je suis stupéfaite que, au-delà de l'inconstitutionnalité que l'on nous oppose régulièrement, nous ne parvenions pas, ici, à avoir un débat serein, un échange, une confrontation d'idées sur ce sujet.
Nicole Borvo Cohen-Seat a rappelé que le combat des élus communistes et républicains en faveur du droit de vote des étrangers n'était pas un combat d'opportunité : il s'inscrit dans une longue tradition humaniste qui considère que la citoyenneté n'a pas de lien direct avec la nationalité.
Un seul exemple illustrera mon propos : dans mon immeuble, sur le même palier, habitent trois familles. L'une a la nationalité française, l'autre a la nationalité d'un pays membre de l'Union, la dernière a la nationalité d'un pays qui n'en est pas membre. On demande, à juste titre, à ces trois familles de remplir également leurs devoirs à l'égard de la République, ne serait-ce que de payer leurs impôts locaux, ce dont elles s'acquittent évidemment toutes trois.
En termes de droits, toutefois, une de ces familles est différente de ses voisines : elle ne jouit pas du droit de vote ; et je ne parle même pas du droit d'éligibilité. Cherchez l'erreur !
Sincèrement, cela n'est-il pas absurde, aujourd'hui ?
La question des droits s'inscrit pourtant au coeur du débat sur l'égalité des chances, me semble-t-il.
Je sais que certains parlementaires, des députés particulièrement, ont déposé des propositions de loi visant à octroyer la nationalité française aux étrangers dès lors que ces derniers pourraient faire la preuve de leur résidence sur le territoire français depuis dix ans au moins. Nous ne sommes pas dupes : ce faisant, ils entendent clore le débat sur le droit de vote et d'éligibilité des étrangers, en liant une fois encore la citoyenneté à la nationalité.
Que veut dire, au début du troisième millénaire, être citoyen ? N'est-ce pas tout simplement « vivre sa ville » et participer à ce qui constitue une communauté de vie, d'histoire, de culture, de projet ? Les étrangers seraient-ils absents de cette communauté de vie ?
À persévérer dans le refus de leur accorder le droit de vote, on les enferme davantage encore dans des espaces communautaires, pour ne pas dire communautaristes, dont on connaît les possibles dérives.
En octobre et novembre derniers, des jeunes des quartiers populaires ont crié leur souffrance. Ils ont renvoyé à la société tout entière l'image des maux dont elle souffre. Ils se sont faits aussi, parfois, les porte-voix inconscients de la souffrance qu'ont éprouvée leurs parents, lorsqu'ils étaient immigrés, de se trouver rejetés de la République parce qu'on les privait d'un droit fondamental : celui de choisir ceux qu'ils pensent être les plus capables de les représenter, au sein d'un conseil municipal par exemple.
De toute évidence, vous n'avez pas entendu ces cris, comme vous n'entendiez pas le peuple de France quand il rejetait avec intelligence le projet de traité constitutionnel, comme vous n'entendez pas, aujourd'hui, la grande majorité de l'opinion qui rejette le CPE.
La baisse de la popularité de M. le Premier ministre et de M. le ministre de l'intérieur devrait vous « interpeller quelque part », comme l'on dit. Mais j'ai des doutes...
Pour une fois, je vais être d'accord avec M. Gournac. À plusieurs reprises au cours de ce débat, il a lancé cette formule : « une femme ou un homme, une voix ». Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, aujourd'hui, je vous dis : chiche !