S'agissant d'une proposition de loi constitutionnelle, si elle avait été adoptée ici dans les mêmes termes, le problème de constitutionnalité ne se poserait pas. Le Congrès ne peut-il pas modifier la Constitution ?
Sur le fond, la raison qu'on nous oppose en fait sur l'amendement en discussion n'est pas celle qui a été invoquée ce soir : c'est celle qui revient toujours en pareille circonstance, à savoir que, en France, la citoyenneté et la nationalité se confondent absolument.
Or cette confusion n'a pas toujours existé ; elle ne constitue pas un principe intangible de la République française. La Ière République considérait un étranger comme citoyen s'il était domicilié en France depuis un an et s'il aidait un vieillard ou servait la nation. Autrement dit, il n'y avait pas obligation d'être un Français pour être citoyen en France.
Par la suite, la Commune de Paris a même fait un Hongrois ministre du travail. La Commune n'a donc pas seulement accordé le droit de vote aux étrangers ! D'ailleurs, vous le savez, la Commune a été défendue par des généraux italiens, polonais, et heureusement qu'ils étaient pour défendre la République française !
Le débat sur le droit de vote des étrangers lors des élections nationales peut se concevoir : ces élections déterminent qui détient le pouvoir. C'est peut-être un débat d'arrière-garde, mais on peut le comprendre. En revanche, pour ce qui est des élections professionnelles ou des élections locales, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un combat d'arrière-garde.
De nombreux pays européens ont accordé le droit de vote aux étrangers, et cela n'a pas provoqué de révolution. Selon les évaluations qui ont été faites, en Allemagne notamment, cette mesure a en revanche permis une intégration sans précédent des populations immigrées au sein de la vie publique.
Nous le pensons sans doute tous ici, l'intégration par la citoyenneté est fondamentale.
Songez au rapport à la citoyenneté et au vote - acte de citoyenneté par excellence - que peuvent avoir de jeunes Français qui écoutent leurs parents discuter à table de ce qu'ils voteront le dimanche suivant, lors des élections locales : ils écoutent et ils se forgent un esprit civique. Durant toute leur enfance, leur adolescence, ils ont vu leurs parents se lever certains dimanches pour se rendre au bureau de vote et déposer un bulletin dans l'urne.
En revanche, quelle image civique et quelle image familiale - au moment où certains prétendent responsabiliser les familles et les punir en suspendant leurs allocations familiales si l'enfant dévie du droit chemin, il n'est pas mauvais d'invoquer la famille ! - donne-t-on à ces jeunes Français, qui ne se rendent pas assez dans les isoloirs, dont les parents sont privés du droit de vote parce qu'ils sont étrangers ?
Que voient ces enfants le matin d'un dimanche d'élection ? Ils voient le reste du quartier se diriger vers le bureau de vote, tandis que leurs parents, qui partagent la vie locale, qui paient leurs impôts locaux, restent à la maison, alors même qu'il s'agit de se déterminer sur des choix de vie locale.
Le Sénat s'honorerait s'il pouvait tenir compte de ces évolutions, s'il pouvait ne pas attendre pour légiférer que l'opinion soit mille lieues devant. Car, désormais, dans l'opinion, l'idée du droit de vote des étrangers est quelque chose d'acquis. Au début des années 1980, vous auriez pu dire : « Ça va créer des remous ! », etc. Aujourd'hui, l'idée en est admise, comme bien d'autres avancées réalisées par la gauche : la parité, le PACS, ...