Agir pour l'égalité des chances, c'est aussi permettre à l'action sociale en faveur des élèves de l'enseignement public d'occuper une place plus importante. Cette action est rendue nécessaire par la situation dans laquelle se trouve un nombre de plus en plus important d'enfants et de jeunes : scolarisés, ils n'en sont pas moins en manque de repères du fait de familles socialement et économiquement précaires.
Tout d'abord, il importe de rappeler que le nombre d'enfants pauvres en France ne cesse d'augmenter.
Une étude officielle, publiée en janvier 2004, par le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, présidé par Jacques Delors, avait estimé à un million le nombre d'enfants pauvres, en fixant, comme l'INSEE, le seuil de pauvreté à la moitié du niveau de vie médian. Mais si l'on se fonde, avec l'Union des familles en Europe, sur le critère européen, à savoir 60 % du revenu médian, la France compterait deux millions d'enfants pauvres. Cette pauvreté massive est la conséquence de la crise économique dont on ne parvient pas à sortir, et du chômage de masse qui en découle. On connaît les effets déstructurants pour une famille lorsque les parents sont durablement privés d'emploi. Or la relative baisse du chômage que l'on connaît actuellement laisse complètement à l'écart les chômeurs de longue durée, dont l'employabilité, pour reprendre un terme d'économiste, ne cesse de décroître.
Ainsi, toute une frange de la population se trouve en marge de la société, de façon durable.
Or, notre système éducatif contribue à renforcer cette situation de discrimination.
L'inadaptation du système a été renforcée par la loi de 2005 d'orientation et de programme sur l'avenir de l'école, qui, reprenant la nécessité de trouver de nouvelles réponses, en apporte de mauvaises : les idées préconçues divisant la société entre la classe manuelle et la classe intellectuelle, chacune bien à sa place, ont guidé cette réforme, renforçant le caractère discriminatoire de l'école. L'école sert à aiguiller les enfants en fonction de leur origine socioculturelle.
Le sociologue François Dubet note qu'en se massifiant l'école est non plus une chance à saisir, mais un cadre imposé à toute une classe d'âge. Elle devient alors une machine à discriminer.
Suivant l'analyse de Pierre Bourdieu, pour qui l'école est un outil au service de ceux qui savent s'en servir, donc au service des mieux dotés en capital culturel, François Dubet considère que les classes dominées subissent des choix qui ne sont pas les leurs, des préconceptions intellectuelles et normatives qui leur sont appliquées.
Enfin, le diplôme ne permet plus de se prémunir contre l'absence de perspectives.
En réalité, notre système éducatif a connu, depuis vingt ans, des évolutions pour le moins sensibles, dont les moindres ne sont pas l'augmentation des effectifs de l'enseignement du second degré et l'allongement relatif de la durée de la scolarité qui en résulte. Mais vous avez des avis divergents sur ce point.
Un nombre croissant de jeunes, issus notamment des catégories sociales les plus modestes, parviennent à un niveau scolaire plus élevé qu'auparavant, notamment par rapport à leurs propres parents.
Toutefois, cette élévation générale du niveau scolaire ne s'accompagne plus de ce qui fut longtemps considéré comme son corollaire automatique : une amélioration globale des conditions de vie.
En effet, les jeunes Français sont loin d'être assurés d'avoir une vie meilleure que celle de leurs parents, alors même qu'ils ont rempli leur part du contrat : l'obtention d'un diplôme national. Certes, on a obtenu 70 % d'une classe d'âge au baccalauréat, mais plus de 20 % des dix-huit-vingt-cinq ans sont au chômage. Le contrat social est rompu. Cette situation engendre une désespérance, un désenchantement chez ces jeunes, mais aussi dans leur entourage, notamment chez les plus jeunes, ceux qui sont encore scolarisés, qui n'ont pas encore de diplôme, mais savent déjà que ce dernier ne constituera pas un passeport pour l'avenir, contrairement à ce que l'on essaye encore de leur dire.
Ces trois facteurs - accroissement de la pauvreté, discrimination par l'école et absence de perspectives malgré le diplôme - justifient plus qu'amplement l'objet de cet amendement. Il s'agit de faire de l'assistance sociale l'une des missions éducatives de l'État et d'assurer sa mise en oeuvre dans chaque académie sous l'autorité du recteur. Il importe, en effet, que la pure logique académique, qui joue en la défaveur des populations pauvres et fragiles, soit fortement accompagnée d'une logique d'assistance sociale.
Or, depuis quelques années, il n'y a plus eu de créations de postes dans ce domaine. Il faut y remédier, afin de sortir de cet effet pervers qui transforme l'école en machine à discriminer, alors qu'elle devrait être le lieu de l'émancipation intellectuelle et sociale.