C'est bien de donner un titre à un projet de loi. C'est encore mieux lorsque ce titre est le reflet de ce qu'il désigne, de ce qu'il donne à voir. Mais c'est moins bien lorsqu'il ne sert qu'à travestir les intentions. C'est malheureusement ce que vous faites en osant baptiser « pour l'égalité des chances » une loi qui ne fait que consacrer les injustices.
Pourquoi donner un nom si symbolique à une loi composé d'éléments disparates et de mesures éparses et qui peine à cacher derrière le discours lénifiant de ceux qui le défendent la énième attaque contre le modèle social français ?
Mais s'il est vrai que vous n'avez guère de goût pour la justice sociale, peu d'ambition pour le pays et, finalement, bien peu de courage pour lutter contre les inégalités, vous maîtrisez en revanche parfaitement la théorie de la communication.
Quand vos lois sur l'emploi nous ramènent au xixe siècle, vous parlez de modernisation sociale. Quand vous portez l'une de vos premières estocades au droit du travail, c'est en introduisant des amendements facilitant le licenciement dans la loi de programmation pour la cohésion sociale. Et quand vous voulez remettre en cause les minima sociaux, vous appelez cela le retour à l'emploi.
Comment pouvez-vous nous présenter une loi sur l'égalité des chances qui ne s'attaque pas aux inégalités de naissance ? Jamais la reproduction des inégalités sociales n'a été si forte. Or vous en ajoutez encore en laissant croire que chacun a sa chance s'il veut bien s'en donner les moyens.
Pour nous, l'égalité des chances, ce n'est pas mettre des enfants de quatorze ans en apprentissage. Pour nous, l'égalité des chances, ce n'est pas permettre le travail de nuit dès quinze ans. Pour nous, l'égalité des chances, ce n'est pas mettre plus d'énergie à faciliter le licenciement des jeunes qu'à les aider à entrer dans le monde du travail. Pour nous, l'égalité des chances, ce n'est pas confondre allocations familiales et prime au mérite. Pour nous, l'égalité des chances, ce n'est pas transformer les maires en procureurs.
Une fois de plus, c'est non pas le pragmatisme qui guide vos choix, mais l'idéologie !
L'école de la République n'offre plus aux enfants des classes populaires des chances de faire jeu équivalent avec ceux qui sont issus de familles plus privilégiées.
De 1955 à 1993, la part des élèves d'origine populaire au sein des grandes écoles n'a cessé de diminuer, passant de 21 % à 8 % à l'école polytechnique, de 38 % à 11 % à HEC et de 18 % à 6 % à l'ENA. Aujourd'hui, on estime qu'un enfant d'ouvrier agricole a 0, 43 % de chance d'intégrer une grande école, alors qu'un enfant de parents exerçant une profession libérale en a 21, 5 %. Une loi sur l'égalité des chances devrait donc avant tout se porter sur les questions d'éducation et de formation. Celle-là n'aborde même pas ces sujets.
À ces inégalités sociales, qui se traduisent en inégalité d'opportunités, s'ajoutent également les inégalités de participation : les classes populaires ont rarement accès aux lieux de pouvoir et de décision. Les premières différences se ressentent dès l'exercice du droit de vote : plus on est précaire, plus on s'abstient. Il y a cent fois moins de parlementaires issus du milieu ouvrier que de catégories intermédiaires ; les grands groupes industriels et financiers sont dirigés par des hommes en général issus des grandes écoles, donc de milieux favorisés, etc. Il y a donc reproduction, cumul et aggravation des inégalités.
Mais agir sur les causes ne vous intéresse pas. L'égalité des chances n'est ici qu'une patère où accrocher votre bonne conscience, l'argument publicitaire trompeur qui masque l'escroquerie commerciale grossière.
On s'accorde à dire, hélas, que l'ascenseur social est en panne ! On pouvait espérer que ce projet de loi pour l'égalité des chances tenterait au moins de le faire redémarrer, mais il n'en est rien. En réalité, avec ce texte, vous supprimez et l'ascenseur et les escaliers. Ainsi, ceux qui sont en haut y demeureront sans risquer d'être importunés par ceux qui resteront en bas.