Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objectif du Gouvernement, en avançant au 23 février la date du début de l'examen de ce projet de loi, était clair : écourter le plus possible la discussion, pour ne pas laisser de prise à l'opposition, et ne pas permettre que le Parlement se fasse l'écho de la mobilisation grandissante, dans le pays - nous voici à la veille du 7 mars -, contre ce texte.
Le Gouvernement pouvait compter, à cette fin, sur la docilité et la compréhension de la majorité sénatoriale, prête à accepter, pour atteindre l'objectif fixé, toutes les compromissions et tous les « arrangements », y compris avec le règlement même du Sénat et le respect du droit d'amendement, inscrit dans la Constitution, de tout parlementaire de cette assemblée.
Tout y est passé : réserve de pans entiers du projet de loi, au risque de rendre incohérente une discussion déjà complexe, déclaration d'irrecevabilité douteuse de certains amendements et sous-amendements, demandes multiples de priorité pour d'autres, « liquidation » à discrétion d'amendements tendant à insérer des articles additionnels, dans le seul dessein d'abréger la discussion, votes à main levée à l'issue incertaine, pression constante sur les orateurs pour qu'ils écourtent le plus possible leurs interventions...
Cependant, malgré le déploiement de cet arsenal hétéroclite de coups de bâton et de grosses ficelles, le but n'a pas été atteint.
Nous avons fait preuve, au cours du débat, d'une détermination légitime à faire valoir nos positions et à les défendre, au travers des très nombreux amendements et sous-amendements que nous avons jugé de notre devoir, en qualité de représentants de notre peuple, de soutenir et d'exposer.
Nous nous sommes ainsi opposés, parce que c'est ce que nous demandent nos concitoyens, ce que nous demandent les jeunes, ce que nous demandent leurs parents, à la volonté du Gouvernement d'institutionnaliser la précarité, notamment par le biais du CPE.
Il s'agit, en effet, d'aller encore plus loin, avec ce texte, dans le développement de la politique menée depuis 2002, dans la déréglementation du travail, dans l'autorisation du travail de nuit, le dimanche et les jours fériés, y compris pour les mineurs, dans la généralisation des dérogations aux 35 heures, dans la multiplication des contrats précaires et des emplois aidés, au détriment de cette forme normale de contrat de travail qu'est le contrat à durée indéterminée.
L'abaissement de l'âge de l'apprentissage à quatorze ans, voire à treize ans et neuf mois, a été voté. C'est là un véritable recul de société, masqué derrière un populisme qui prétend se parer des vertus du bon sens !
Vous offrez sur un plateau au patronat, chers collègues de la majorité, une main-d'oeuvre peu chère, que vous souhaitez taillable et corvéable à merci.
En ce qui concerne le CPE, aucune modification n'a été ici apportée au texte qui a été imposé à l'Assemblée nationale. Ce pseudo-contrat de travail, en parfaite contradiction avec l'intitulé même du projet de loi - de quelle égalité des chances s'agit-il quand on accorde aux jeunes moins de droits qu'à leurs parents ? -, institutionnalise la précarité, segmente le marché du travail et va permettre à quelques entreprises de se payer à bon compte une main-d'oeuvre jeune et qualifiée, dont l'avenir est bouché. Il ne manquerait plus que les salaires des jeunes embauchés au titre d'un CPE soient inférieurs à une fois et demie le SMIC pour que les entreprises aient à la fois le droit et l'argent pour elles !
La seule justification de cette démarche, c'est votre dévotion fervente au libéralisme, notamment à ce dogme paradoxal qui veut que, pour embaucher, il faut d'abord pouvoir débaucher ! Débauche et dévotion peuvent-ils faire bon ménage ?