Le jugement formulé par notre collègue centriste a été sévère, que dis-je, implacable ! La chute fut d'autant plus inattendue. Pour ma part, je voudrais m'exprimer sous une forme plus mesurée, toutefois sans faire régner un suspens exagéré : les sénateurs Verts ne voteront pas le projet de loi qui nous est présenté.
Notre pays a vécu, à l'automne, une crise grave qui a mis à nu les fragilités, les détresses de notre société. Il semble que beaucoup soient déjà passés à autre chose : après l'état d'urgence, l'urgence de tout laisser en l'état...
C'est dans ce contexte que s'inscrit ce projet de loi hétéroclite, un projet qui nous a épargné l'examen de la réalité : la baisse de l'impôt sur le revenu bénéficiant d'abord aux classes moyennes et aux personnes plus aisées, l'assouplissement, sous les yeux de l'abbé Pierre, de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains en matière de construction de logement social, et tant d'autres mesures qui nous ont conduits à examiner avec une certaine perplexité et beaucoup d'exigence vos propositions.
Un projet de loi hétéroclite, constitué d'affirmations de principe et de mesures concrètement très pénalisantes pour les personnes les plus fragiles dans les quartiers, sans oublier des mesures totalement hors sujet - implantations commerciales, multiplexes cinématographiques qu'en d'autres temps on aurait jugé irrecevables dans un texte consacré à l'égalité des chances.
J'ai entendu Mme Hermange nous inviter à l'objectivité. Il en faut beaucoup, en effet, pour qualifier l'apprentissage précoce, le contrat première embauche, le contrat de responsabilité parentale comme des outils destinés à assurer l'égalité des chances. Il faut vraiment se payer de mots, madame Hermange, pour considérer qu'il s'agit là d'outils qui permettront de « resserrer les mailles du pacte républicain » !
Pour ma part, les choses sont claires : ces dispositifs sont de nature à entretenir la reproduction des inégalités. Je ne fais pas d'angélisme : les hommes naissent libres et égaux en droits, mais seulement en droits. Dans les faits, les fossés se creusent, les discriminations rongent et humilient les plus fragiles, la précarité mine la confiance en soi et en l'avenir de millions de personnes dans notre pays.
Ce qui est en cause, c'est bien sûr votre politique, mais c'est aussi le modèle d'une société où la compétition s'intensifie, où il y a des gagnants et des perdants, où se diffuse l'idée que, si l'on est en difficulté, c'est qu'on l'a bien cherché, que l'on n'est pas assez méritant, pas assez performant, que l'on n'a pas fait assez d'efforts.
Au Sénat, on a de la chance, on est plutôt du côté des gagnants. Cela ne nous donne pas le droit de dire « malheur aux vaincus » ! Cela nous oblige à mettre en place des moyens permettant de faire reculer la pauvreté, les injustices, les inégalités ; cela nous oblige à nous interroger sur les fondements mêmes d'une société dont le seul moteur reste la recherche frénétique du profit pour quelques-uns, la résignation pour tous les autres.
Votre projet est décalé, injuste, inefficace. Non, décidément, monsieur le ministre, nous ne le voterons pas !