Mesdames, messieurs les sénateurs, ceux qui considèrent que les cellules souches induites offrent aujourd’hui le même potentiel médical que les cellules souches embryonnaires doivent être pleinement satisfaits du texte adopté par la commission. En effet, l’article 23 de ce dernier dispose en substance que, dès l’instant où d’autres types de recherches offriront des capacités similaires à celles des cellules souches embryonnaires, la recherche sur ces dernières sera interdite par l’Agence de la biomédecine qui n’accordera plus d’autorisation dans ce domaine.
Si les cellules souches induites permettent des recherches similaires aux cellules souches embryonnaires, l’article 23, tel qu’il a été rédigé par notre commission, interdit déjà les recherches sur l’embryon et ses cellules. Pourquoi donc vouloir interdire ce que le droit rendrait déjà impossible ?
C’est que la réalité des cellules souches induites n’est pas encore celle que l’on nous présente ! Comme les cellules souches embryonnaires, les cellules souches induites ont certes des avantages mais aussi de nombreux inconvénients liés au fait même d’avoir fait régresser ces cellules au stade de cellules embryonnaires. Les cellules souches induites sont des sortes d’organismes génétiquement modifiés – j’emploie une expression qui n’avait pas plu à la présidente de l’Agence de la biomédecine, et elle avait bien raison ; mais comme certains dans cet hémicycle utilisent des expressions pour choquer, je vais faire de même de mon côté ! –, puisqu’on fait régresser ces cellules au stade de la pluripotence en introduisant un virus qui entraîne des modifications génétiques. Ces dernières causent des problèmes qui ont été recensés dans la revue Nature au début de cette année, comme le rappelle d’ailleurs un article publié dans Le Monde daté d’aujourd’hui.
Non, les cellules souches induites ne sont pas plus sûres ni meilleures que les cellules souches embryonnaires. À l’heure actuelle, ces deux types de cellules sont complémentaires du point de vue de la science.
Je prendrai un exemple à partir des recherches de M. Peschanski – même si cela fâche –, mais pas telles qu’il les présente lui-même, car on a tendance, paradoxalement, à accuser le directeur du principal laboratoire en France en matière de cellules souches induites de vouloir privilégier les cellules embryonnaires. Je me fonderai donc sur l’analyse impartiale publiée sur le site de la revue Nature.
Il est affirmé dans Nature que les recherches menées par l’équipe d’Istem sur un embryon porteur du gène de la dystrophie musculaire n’auraient sans doute pas pu être menées sur des cellules souches induites porteuses des mêmes caractéristiques.
L’équipe française a trouvé comment le génome en vient, dans certains cas, à être porteur de la mutation qui entraîne la dystrophie. Or une cellule induite, si elle porte bien la mutation, puisqu’elle a été créée pour la porter, ne permet pas de comprendre comment cette mutation se produit naturellement. Ici, la compréhension et la possibilité de soigner une maladie héréditaire reposent sur la recherche sur les cellules souches.
Toujours dans la revue Nature, l’analyse précitée note la même impossibilité de comprendre la mutation du chromosome X à partir des cellules induites, impossibilité à laquelle s’est heurtée une équipe de l’université hébraïque de Jérusalem.
Les essais cliniques en cours aux États-Unis sur la régénération de la moelle épinière et sur la maladie de Stargardt, une affection héréditaire de l’œil, et l’essai qui pourrait être lancé en France sur la régénération du muscle cardiaque que nous a présenté en commission le professeur Menasché ne sont conduits que parce que les autres méthodes ont jusqu’ici échoué.
Ces essais échoueront peut-être aussi, et d’autres méthodes, nouvelles, pourront être plus fructueuses. Mais faut-il, en les attendant, renoncer à soigner ?
La recherche sur les cellules souches embryonnaires est aujourd’hui nécessaire. Je vous rappelle que le premier acte du président Obama a été d’autoriser ces recherches sur fonds fédéraux. Il a placé sur ces recherches la même priorité que Bill Clinton avant lui sur le décodage du génome. Ce n’est donc pas une mode, une lubie ou la volonté de détruire des embryons qui détermine la volonté de nos scientifiques de travailler sur ces cellules, c’est l’état international de la science.
Je le répète, à partir du moment où les cellules IPS ou autres auront les mêmes propriétés que les cellules embryonnaires, l’article 23 actuel obligera l’Agence de la biomédecine à interdire les recherches en ce domaine.
Vouloir interdire aujourd’hui ces recherches par la loi, c’est soit considérer que l’ABM n’accomplit pas la mission que la loi lui a confiée, et il faut alors la supprimer, soit soumettre les progrès de la science à l’idéologie, ce que la France s’est toujours refusée à faire jusqu’à ce jour.