Intervention de Michel Charasse

Réunion du 5 décembre 2006 à 11h30
Loi de finances pour 2007 — Compte de concours financiers : accords monétaires internationaux

Photo de Michel CharasseMichel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec un montant prévisionnel de 9, 2 milliards d'euros, soit une hausse de 10 % par rapport à 2006, la France respectera pour 2007 l'objectif fixé en 2002 par le Président de la République d'un seuil de 0, 5 % du revenu national brut, le RNB, pour notre aide publique au développement.

Ce résultat s'inscrit dans une tendance générale de hausse de l'aide au développement des pays de l'OCDE, qui a atteint près de 107 milliards de dollars en 2005. La France figure de nouveau en très bonne place parmi les pays donateurs - selon les cas, elle se situe au premier ou au deuxième rang - et fait preuve d'initiative et d'imagination dans la recherche de nouveaux moyens de financement pérennes. Les deux nouvelles facilités internationales de financement pour la vaccination - je pense notamment à la taxe sur les billets d'avion - et l'achat de médicaments contribuent ainsi à l'atteinte de certains objectifs du Millénaire pour le développement. Nous ne faisons donc pas que suivre le mouvement. Nous jouons également un rôle moteur, en particulier sur les enjeux déterminants que sont la santé et la lutte contre les pandémies dans les pays pauvres.

Mes chers collègues, comme vous le savez, la mission interministérielle que nous examinons actuellement ne constitue qu'une fraction minoritaire, 43 % en 2007, de l'effort global d'aide publique au développement, ou APD. Une quinzaine d'autres programmes budgétaires représente environ un quart de cette aide publique et le solde se répartit entre les prêts qui ne sont pas budgétairement comptabilisés, l'aide des collectivités territoriales, la quote-part du prélèvement sur recettes au profit du budget européen, qui s'élève tout de même à 900 millions d'euros, et surtout les annulations de dette, qui devraient encore s'élever à plus de 2 milliards d'euros, après avoir atteint 3 milliards d'euros en 2006.

Le nouveau format de la LOLF a permis d'améliorer la présentation et la mesure de l'efficacité de notre aide. Les objectifs des deux programmes de la mission « Aide publique au développement » sont pertinents et paraissent désormais stabilisés. Le nombre d'indicateurs a été opportunément réduit. L'information sur les annulations de dettes, en particulier celles portées par la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, la COFACE, a été améliorée. Cela n'empêchera pas une mission de contrôle conjointe du rapporteur spécial des crédits de cette compagnie et de moi-même dans le courant de l'année, comme nous l'avons annoncé avec Paul Girod. Cependant, il y a de réelles marges de progression, que je vais illustrer par quelques points.

Le périmètre de la mission « Aide publique au développement » pourrait encore évoluer. Certaines actions devraient en sortir. C'est le cas de la promotion de la culture française, qui n'est pas spécifiquement de l'aide au développement, et des dotations pour la dépollution et la sécurité nucléaire. Inversement, d'autres pourraient y figurer, notamment la quote-part de subventions aux organismes de recherche. Nous avions d'ailleurs déjà fait cette demande l'année dernière.

Les critères de notification à l'OCDE sont à certains égards opaques et révèlent des logiques différentes selon les bailleurs. Prenons l'exemple de l'écolage et de l'aide aux réfugiés, qui représentent 15 % de notre aide en 2007. C'est donc très important, mais nous n'avons aucune assurance sur le respect réel des conditions de comptabilisation fixées par l'OCDE. En outre, l'information du Parlement est assez sommaire et nous avons l'impression qu'il n'y a pas vraiment de stratégie coordonnée sur ces actions.

Malgré les efforts que vous avez accomplis par rapport à l'an dernier, madame la ministre, le document de politique transversale manque encore de clarté et certaines informations ne figurent plus sur la ventilation de l'aide par instrument.

Les cibles de plusieurs indicateurs de performance paraissent quelque peu artificielles et atteintes trop tôt.

Si l'esprit de la LOLF souffle avec vigueur à Paris, on constate qu'il souffle un peu moins fort dans les postes. Mon collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la mission « Action extérieur de l'État », et moi-même l'avons observé sur place. Cela prendra sans doute un peu de temps, mais il est indispensable d'impliquer fortement le réseau dans la démarche de performance.

L'évolution et l'effort de l'APD française comportent également des ambiguïtés. L'aide multilatérale, que l'on ne voit pas, car elle est noyée dans un « magma » international, devrait fortement progresser en 2007, à hauteur de 35 %. Dans le même temps, l'aide bilatérale, qui est visible, car elle permet de pointer les actions et les réalisations de la France, serait stable. Les annulations de dette, l'écolage et l'aide aux réfugiés, qui représentent la moitié de l'aide en 2006 et sont comptabilisées ex post, sont aujourd'hui des variables commodes pour afficher une hausse de notre aide.

Pourtant, si elles coûtent aux contribuables, de telles actions ne concourent pas directement au développement. En outre, la comptabilisation complexe de beaucoup de catégories d'aides en France et à l'étranger nourrit des doutes sur la fiabilité des chiffres retenus par le Comité d'aide au développement, le CAD. Les chiffres de l'APD font donc encore un peu figure de « boîte noire ».

Mes chers collègues, nous pouvons rencontrer de réelles difficultés pour respecter l'objectif de 0, 7 % du revenu national brut en 2012, objectif fixé par le Président de la République en même temps que les 0, 5 % de 2007, car les volets bilatéraux et multilatéraux des annulations de dette diminueront à partir de 2008. Ces annulations sont aujourd'hui très concentrées sur certains pays, tels que l'Irak, le Cameroun, la République démocratique du Congo et le Nigeria en 2006.

C'est en particulier pour cette raison que la commission des finances vous proposera en fin de débat un amendement ayant pour objet de mieux garantir la pérennité sur le long terme de l'aide-projet bilatérale, qui est l'aide visible.

S'agissant de la sincérité du budget, les justifications au premier euro sont plus précises que l'année dernière, en particulier sur le programme « Solidarité à l'égard des pays en développement ».

Mais les hypothèses relatives à l'aide-projet de l'Agence française de développement, l'AFD, souffrent encore d'incohérences. En outre, les modalités de financement de la facilité internationale de financement pour la vaccination, ou IFFIm, après 2007 sont peu claires ; je pense notamment à la taxe sur les billets d'avions. L'incertitude prévaut sur les modalités de financement des rémunérations des assistants techniques transférés à l'AFD et, surtout, la bonne rentabilité de cette agence permet de compenser l'insuffisance des dotations budgétaires. C'est particulièrement vrai pour les contrats de désendettement-développement, les C2D, dont le financement en 2006 a été problématique, notamment pendant l'été. Mme la ministre le sait d'ailleurs fort bien. En 2007, ces contrats ne seront financés qu'à hauteur de 8 % par des crédits budgétaires, ce qui semble traduire la persistance de l'erreur déjà commise en 2006.

À ce sujet, ma mission au Mozambique au mois de juillet dernier me conduit à m'interroger quelque peu sur l'efficacité et la fiabilité des C2D. L'outil est original et assure une certaine visibilité. Mais la procédure est complexe, l'appropriation par les acteurs locaux insuffisante et l'effet sur le développement inégal. On peut craindre dans certains cas un effet d'éviction sur les canaux plus traditionnels et visibles de l'aide. Dès lors, est-il prévu de réformer et de simplifier ce dispositif, sur lequel nous n'avons aucune véritable garantie du bon emploi des fonds, conformément au contrat, comme je l'ai relevé à Madagascar sans malheureusement pouvoir en dire plus ?

Au-delà des aspects quantitatifs, il faut mettre au crédit de votre ministère, madame la ministre, un réel effort en matière de stratégie, de formalisation des objectifs et de réforme des opérateurs. C'est indispensable compte tenu de la multiplicité de nos intervenants, multiplicité que l'OCDE a d'ailleurs critiquée. De même que la commission des finances craignait une excessive « agencisation » de l'État, il nous faut veiller à ce que le ministère chef de file de l'APD garde la pleine maîtrise de sa politique et de ses moyens.

Néanmoins la direction générale de la coopération internationale et du développement du ministère des affaires étrangères, la DGCID, s'est réorganisée. Les recommandations de la Cour des comptes et de la commission des finances sur l'octroi et le suivi des subventions aux ONG ont été largement entendues. Des conventions d'objectifs et de moyens ont été signées ou sont en cours avec les principaux opérateurs, notamment l'AFD, CulturesFrance, l'Association française des volontaires de progrès, ou AFVP, Égide, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, ou CIRAD, et l'Institut de recherche pour le développement, ou IRD. Mais il faut aller plus loin, ce qui m'amène à formuler trois observations.

D'abord, la fusion de certains opérateurs doit absolument susciter des gains de productivité, aussitôt traduits dans les montants des subventions. L'amendement de la commission des finances sur la subvention à CulturesFrance illustre cette préoccupation.

Ensuite, malgré le renforcement de France coopération internationale, ou FCI, les opérateurs de l'assistance technique sont encore beaucoup trop dispersés et les effectifs ne doivent plus diminuer. Pour l'heure, FCI joue un rôle insuffisamment transversal et il faut franchir un nouveau palier dans la lisibilité, la simplification et la compétitivité de notre dispositif, faute de quoi nous serons de moins en moins crédibles sur les marchés internationaux de coopération administrative et notre influence locale en pâtira. Vous trouverez d'ailleurs dans mon rapport la proportion des Français encore affectés dans les grandes organisations internationales. Malheureusement, depuis plusieurs années, notre place a fortement tendance à diminuer, non pas parce que nous ne serions pas bons ou compétents, mais parce que l'administration est souvent incapable de présenter dans les délais requis des candidats hautement qualifiés, en dehors des assistants de coopération, qui soulèvent un autre problème.

Enfin, l'AFD entend respecter l'objectif de consacrer les trois quarts de ses dons à l'Afrique subsaharienne. Mais son activité globale, rentabilisée par les prêts, se diversifie dans les pays émergents - on la trouve à présent en Chine, en Inde, au Brésil, en Indonésie ou en Turquie - et dans les biens publics mondiaux. Ce concept est séduisant, mais flou. La vocation de l'Agence n'est pas d'entrer quasiment en concurrence avec les bailleurs privés dans des pays où l'épargne abonde. L'Agence française de développement acquiert une visibilité de plus en plus forte parmi les bailleurs internationaux, mais l'engagement dans les pays émergents doit être plus prudent et plus sélectif.

Pour conclure, je souhaite vous faire partager une conviction. Respecter nos engagements chiffrés, en particulier ceux pris par le Président de la République en 2002 pour redresser une situation très dégradée, ne nous dispense pas de rechercher constamment l'efficacité de notre aide, comme celle de notre dispositif. Cela exige notamment de hiérarchiser plutôt que de collectionner les priorités, de simplifier nos structures, de nous montrer fermes sur l'appropriation et l'utilisation de l'aide par les acteurs locaux et d'afficher clairement et sans honte les apports français.

Nous devons également veiller à ce que l'action culturelle soit véritablement utile à la France et se déroule principalement à l'étranger plutôt que sur notre territoire, et que les crédits ne soient pas partiellement utilisés pour traduire des livres français en langue anglaise.

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