Intervention de Robert Hue

Réunion du 5 décembre 2006 à 11h30
Loi de finances pour 2007 — Compte de concours financiers : accords monétaires internationaux

Photo de Robert HueRobert Hue :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un budget important consacré à l'aide publique au développement. La communauté internationale, parmi laquelle la France, en a fait une priorité affichée.

Dans le texte, ce projet de budget pour 2007, année marquant la fin de la législature, s'annonce en hausse avec une augmentation de 72 millions d'euros. Nous nous réjouissons de cette progression.

En réalité, ce texte comporte un certain nombre d'incohérences sur lesquelles je souhaite revenir. Compte tenu du temps qui m'est imparti, mon propos s'attachera plus particulièrement aux relations de coopération entre la France et l'Afrique, au moment où M. le Premier ministre, en visite en Afrique du Sud, n'a pas hésité à parler d'un nouveau partenariat entre notre pays et l'Afrique. Madame la ministre, vous pourrez peut-être nous éclairer sur cette nouvelle conception.

Pourtant, comme le rappelle Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, « la mondialisation a oublié l'Afrique ». Effectivement ! La mondialisation s'est incontestablement accélérée et a laissé sur la touche des populations entières. L'aide publique au développement n'a pas rempli sa mission, et les déséquilibres entre les pays riches et les pays pauvres s'accentuent, invariablement. Tous les rapports vont dans ce sens.

Sur 820 millions de personnes sous-alimentées dans le monde, 200 millions sont concentrés dans la seule Afrique. Plus de 40 % des ménages africains en zone urbaine vivent avec à peine un dollar par jour. Le sida - certains de mes collègues en ont parlé - tue encore et encore. En Afrique subsaharienne, entre 25 millions et 30 millions de personnes sont infectées par le virus de l'immunodéficience humaine. Quelque 13 millions d'enfants sont devenus orphelins. Si les conditions actuelles perdurent, la pandémie - cette question a été au coeur de l'opinion ces derniers jours - pourrait toucher 90 millions d'individus en 2007. Si on meurt aujourd'hui du sida, ce n'est pas parce que les médicaments n'existent pas, mais parce qu'un jeu insupportable d'accords privilégie les laboratoires pharmaceutiques fabriquant des médicaments que les pays du Sud ne peuvent pas acheter.

Les efforts - vos efforts ! - concernant la santé restent bien trop faibles. L'Afrique concentre la moitié des décès des mères pendant l'accouchement. Un enfant sur deux n'est pas scolarisé. Si les exportations des pays en voie de développement augmentent régulièrement, celles des pays africains ont progressé à un rythme beaucoup plus lent.

Comme vous le constatez, l'Afrique n'arrive pas à sortir de la pauvreté et, pour reprendre les termes de M. Diouf, directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, « les promesses ne donnent pas à manger ». D'ailleurs le Fonds monétaire international indique, non sans cynisme, que la plupart des pays d'Afrique subsaharienne ne pourront pas atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement et l'éradication de la pauvreté d'ici à 2015, faute d'investissements suffisants de la part des pays développés.

Après la conférence de Nairobi sur les changements climatiques, la fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud est toujours aussi béante ; elle s'agrandit même ! Un plan pour l'Afrique a été annoncé, mais aucune décision n'a été arrêtée quant à son financement. Pourtant, la température en Afrique a augmenté de 0, 7 degré ces cent dernières années et pourrait augmenter de 6 degrés au cours de ce siècle. Ainsi, l'Afrique serait doublement victime du changement climatique.

Dans ce contexte, qu'en est-il des efforts de la France ? Madame la ministre, le Gouvernement se targue d'atteindre l'objectif de 0, 5 % du PIB consacré à l'aide publique au développement dans les Objectifs du Millénaire. Même si, évidemment, nous ne boudons pas cet effort, l'aide est-elle vraiment efficace, et quels en sont les réels bénéficiaires ? Soulager les pays concernés par un effacement de leur dette est essentiel - encore faut-il activement s'y consacrer -, mais leur procurer une aide concrète et utile est indispensable.

En effet, qu'en sera-t-il lorsque ces effacements de dettes seront achevés si un nouveau type d'outils de coopération et de co-développement ne prennent pas le relais ?

Réorganiser l'aide publique au développement sur d'autres bases, entreprendre les chantiers de l'alphabétisation, de la santé, du logement, développer l'agriculture et l'agro-industrie vers l'autosuffisance alimentaire, promouvoir l'accès des entreprises africaines aux technologies à un prix raisonnable, appuyer les initiatives nationales, régionales et locales pour le développement, la paix et la stabilité, telles sont les priorités pour lesquelles nous devrons, dans un avenir proche, construire des partenariats d'un type nouveau.

Le développement agricole est un exemple frappant de l'inertie en matière économique. L'Afrique est le seul continent où la production agricole par habitant a baissé au cours des vingt dernières années. La population africaine devrait atteindre 1, 8 milliard d'habitants en 2050 ! Comment pourront-ils se nourrir ? Pour relever ce défi, la production devra absolument être accrue. La construction de routes, de ponts, et de chemins de fer ainsi que l'accès à l'énergie électrique devront être développés. La part de l'Afrique dans les échanges mondiaux ne dépassant pas 2 %, il va être difficile, sinon impossible, sans aide concrète de les aider à relever ce défi.

La France est attachée à la souveraineté de chacun dans les négociations commerciales. Je pense particulièrement à celles en cours pour le renouvellement des accords de partenariat économique entre l'Union européenne et les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique. La France doit défendre le droit de chacun à déterminer librement sa politique agricole et ses choix commerciaux en fonction de ses priorités de développement.

Enfin, il me semblerait particulièrement utile de promouvoir la coopération non gouvernementale, qui reste encore très timide. L'absence de transparence des crédits qui sont alloués aux organisations non gouvernementales dans la loi de finances nuit considérablement à leur efficacité sur le terrain.

Voilà du concret, une réalité que je souhaitais rappeler au-delà des chiffres, des tableaux et des agrégats comptables. « La seule voie qui offre quelque espoir d'un avenir meilleur pour toute l'humanité est celle de la coopération et du partenariat ». Cette phrase n'est pas de moi ; elle émane du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies. Une véritable solidarité financière, une politique de coopération ambitieuse, des outils adaptés et développés en direction des États les plus concernés pour ainsi permettre l'accès de tous aux droits fondamentaux, tel est le sens d'une véritable politique humaine d'aide au développement. Les conditions pour une telle politique n'étant malheureusement pas réunies dans le projet de budget que vous nous soumettez, nous ne pourrons le voter.

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