Intervention de François Zocchetto

Réunion du 9 février 2010 à 14h30
Droits des personnes placées en garde à vue — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Permettez-moi d’aborder maintenant la situation de la personne gardée à vue, en évoquant la présence et l’assistance de l’avocat, ainsi que les conditions matérielles de la garde à vue.

Depuis la loi du 15 juin 2000, le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat s’exerce depuis la première heure de la garde à vue, mais un entretien de trente minutes au maximum, que certains sont allés jusqu’à qualifier d’« entretien de courtoisie », n’est pas très utile dans la mesure où l’avocat n’est informé que de la nature de l’infraction supposée et de la date à laquelle elle aurait été commise.

Par ailleurs, la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme met la France dans une situation quelque peu difficile. Certes, je sais bien que les arrêts en cause n’ont pas d’application directe en droit français parce qu’ils concernent la Turquie, et non notre pays, mais certaines juridictions, tels le tribunal de grande instance de Bobigny et, plus récemment encore, le tribunal correctionnel de Paris ou la cour d’appel de Nancy, ont néanmoins annulé des actes accomplis pendant des gardes à vue – des interrogatoires, en l’occurrence –, au motif qu’ils n’étaient selon elles pas conformes à cette jurisprudence européenne.

Pour en avoir discuté avec plusieurs premiers présidents de cour d’appel, je crois être en mesure de dire que ces jurisprudences ne resteront pas isolées ! Nous sommes donc confrontés à une insécurité juridique tout à fait préoccupante pour notre procédure pénale.

J’en viens aux conditions matérielles de la garde à vue.

Point n’est besoin d’épiloguer sur le sujet : chacun est maintenant convaincu que les locaux dans lesquels se déroulent bon nombre de gardes à vue ne sont pas dignes de la République française, faute de lumière naturelle, d’aération, d’accès aux toilettes, de boutons d’appel, etc. On ne souhaite à personne d’être gardé à vue dans de telles conditions matérielles ! Cette situation est très regrettable.

Devant ce constat, quelles sont les évolutions possibles ?

Faut-il supprimer la garde à vue ? Personnellement, je répondrai d’emblée par la négative : cette procédure est utile dans un certain nombre de situations ; elle doit donc être maintenue.

Faut-il réserver la garde à vue à des délits d’une certaine gravité ? Cette piste mérite d’être étudiée. Dans la plupart des pays européens qui nous entourent, la garde à vue n’est prévue que dans le cas où les faits reprochés sont susceptibles d’être punis d’une peine d’emprisonnement au moins égale soit à cinq ans, soit à un an selon les États. Toutefois, sur ce sujet, je suis encore réservé, en raison du risque de surqualification juridique dès l’origine des faits reprochés. Cela se produit de temps en temps, lorsqu’une infraction qualifiée au départ de crime par les enquêteurs se révèle être, au final, un délit.

S’agissant de l’intervention de l’avocat, nous ne manquons pas d’initiatives parlementaires. Ainsi, deux propositions de loi sur ce thème ont été déposées au Sénat, et, à l’Assemblée nationale, MM. Michel Hunault et François Goulard en ont également élaboré chacun une. L’objectif est de faciliter l’accès du mis en cause à un avocat pendant la garde à vue.

Personnellement, je suis tout à fait favorable à une telle avancée, mais la profession d’avocat doit bien mesurer quelle responsabilité sera la sienne en cas d’évolution législative sur ce point. L’avocat devra en effet être disponible, sachant que toutes les gardes à vue ne se déroulent pas à quelques centaines de mètres de son cabinet ou du palais de justice. Il devra parfois effectuer des dizaines de kilomètres, à l’aller et au retour, le cas échéant en pleine nuit, et cela pour une rémunération très faible !

De plus, il sera nécessaire de mettre en place un système d’encadrement et de tutorat pour former les avocats qui interviendront à l’occasion des gardes à vue. En effet, les plus jeunes ne sont pas les moins efficaces, mais ils ont tout de même quelquefois besoin de confronter leur opinion à celle d’avocats plus expérimentés et ils devront donc pouvoir échanger sur leurs dossiers avec des confrères plus âgés.

Par ailleurs, le temps policier n’est pas le temps judiciaire, et l’accès à un dossier d’enquête pendant la garde à vue risque d’engendrer certaines frustrations pour l’avocat. En effet, bien souvent, n’y figurent pas toutes les informations que l’on pourrait attendre, ne serait-ce que parce que les officiers de police judiciaire n’ont pas eu le temps de les retranscrire.

Une autre piste consisterait à effectuer un enregistrement audiovisuel de toutes les gardes à vue. Aujourd’hui, cela est possible pour les crimes, mais non pour les délits, sauf s’ils ont été commis par des mineurs.

Une autre possibilité encore serait de renoncer à la culture absolue de l’aveu. Des propositions pourront être faites dans ce sens. Certains ont émis l’idée qu’aucune condamnation ne puisse être prononcée par un tribunal sur la seule foi de déclarations faites hors la présence de l’avocat pendant la garde à vue. D’autres proposent même un retour à la garde à vue originelle : elle ne concernerait que les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations, cela dans l’attente de leur présentation au juge, l’enquête se poursuivant alors devant ce dernier, qui pourra très rapidement prendre une décision s’il estime que le dossier est prêt.

Telle est, madame la garde des sceaux, ma modeste analyse. Je sais que cette situation vous préoccupe et que la garde à vue constituera un chapitre très important de la réforme de la procédure pénale que vous avez engagée. Je vous remercie de l’attention que vous portez à ce sujet si important pour tous les Français.

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