Intervention de René Vestri

Réunion du 9 février 2010 à 14h30
Droits des personnes placées en garde à vue — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de René VestriRené Vestri :

Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, ce débat sur l’évolution des droits de la défense au cours de l’instruction intervient alors que le système de garde à vue fait l’objet de critiques, qu’il s’agisse de son fonctionnement ou du nombre de personnes concernées : environ 800 000 gardes à vue ont été prononcées en France en 2009, chiffre reconnu par le ministère public.

Le Premier ministre s’est dit « choqué du nombre des gardes à vue dans notre pays et de la manière dont ces mesures sont utilisées comme des moyens de pression pour obtenir des aveux alors même que ce n’est pas le but de la garde à vue. […] Parce qu’il ne faut pas confondre l’usage de la garde à vue encadrée et justifiée avec les abus qui peuvent l’entourer, il est en effet apparu nécessaire, évident, de repenser ses conditions d’utilisation et son utilité. »

Comme en réponse à cette indignation, une formation du tribunal correctionnel de Paris vient de déclarer irrégulières plusieurs gardes à vue pour non-conformité de notre droit aux normes européennes découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en référence aux arrêts Salduz du 27 novembre 2008 et Dayanan du 13 octobre 2009 rendus par la Cour européenne des droits de l’homme. Le tribunal correctionnel de Paris relève ainsi que « l’avocat ne peut pas remplir les tâches essentielles qui sont le propre de sa profession puisqu’il n’est pas autorisé à assister aux interrogatoires dès la première heure et ignore les éléments récoltés par les enquêteurs ».

Parmi tous les thèmes, fort nombreux, d’une nécessaire réforme de la procédure pénale, celui de la garde à vue doit être mis en exergue. Cette mesure, qui s’analyse comme une immobilisation physique temporaire de la personne concernée, est prise par un officier de police judiciaire. Au stade de ce que l’on appelle une enquête de flagrance, la garde à vue se justifie par l’existence de soupçons centrés sur une personne qui, pour l’avancement de l’enquête, doit rester à la disposition des services.

Cependant, étant donné sa nature et compte tenu de l’abus dont il fait incontestablement l’objet, de l’aveu même du Premier ministre, j’affirme d’emblée et solennellement que le recours à la garde à vue doit être limité à des cas de figure dans lesquels une peine d’emprisonnement serait encourue. Il n’en est pas ainsi à l’heure actuelle.

Au cours des derniers mois, des gardés à vue inhabituels, en ce sens qu’il s’agit non pas de délinquants ordinaires mais d’enseignants, d’avocats ou de mères de famille, ont, les uns après les autres, raconté à quel point la garde à vue les a placés en situation d’infériorité, car ils se sont trouvés isolés, matériellement et psychologiquement, devant des enquêteurs totalement maîtres de l’instant et à la déontologie variable.

« Les gardes à vue en France sont un scandale. J’ai été fouillée à nu, photographiée comme un bandit, on a pris mes empreintes qui vont servir à nourrir je ne sais quel fichier. J’ai dû me déshabiller totalement pour la fouille. Puis j’ai été poussée dans une cellule souillée d’excréments. »

Ce témoignage est de maître Caroline Wasserman, une jeune avocate qui a connu une garde à vue dans un commissariat de notre pays, il y a quelques mois. Permettez-moi de le compléter par d’autres :

« On est venu me chercher à 6 heures du matin, j’étais réveillée avec mes deux enfants dont ma fille handicapée âgée de huit ans et mon petit garçon âgé de dix-huit mois. On a prévenu le père du petit garçon pour qu’il vienne récupérer son fils, mais ma petite fille, choquée, a été abandonnée seule, sans assistance, errant dans la rue car il lui était interdit de parler à qui que ce soit, de peur de dévoiler le secret de l’interpellation. » Pour la petite histoire, les journalistes locaux étaient, eux, informés du déroulement de toute l’opération… « Amenée en cellule, on m’a donné un cachet. J’ai demandé un verre d’eau. On m’a dit : “ vous n’avez qu’à avaler comme ça ! ” […] Les questions étaient incessantes […], mes réponses étaient toujours les mêmes, invariables. Mais cela ne convenait pas aux attentes des policiers, alors, on m’a balancé : “ elle est folle, il faut la mettre sous tutelle ! ” »

La personne concernée est suivie par des médecins. Mère célibataire, fragile psychologiquement – elle a failli perdre son enfant, qui reste malheureusement handicapé à vie –, elle n’avait jamais eu affaire à la justice avant cette garde à vue. Cela, les policiers le savaient ! Mais la déshumanisation des lieux gagne chacun et fait perdre conscience d’être sur le territoire de la patrie des droits de l’homme. Je ne voudrais pas opposer ici les impératifs de la sécurité publique à la nécessité d’un respect scrupuleux des droits de l’homme. Les temps sont compliqués, et nos policiers, qui luttent contre la violence, le crime, la délinquance astucieuse ou encore le terrorisme, ont besoin de moyens et de certitudes, parmi lesquelles celle de notre soutien.

Néanmoins, je vais prendre le risque d’une certaine imprudence dans mes propos, car lorsque la prudence est partout, le courage n’est nulle part.

Oui, moi, René Vestri, maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, j’ai connu une garde à vue, pendant laquelle j’ai signé n’importe quoi pour que l’on me libère au plus vite après un passage par la souricière, où l’on m’avait expédié sur un geste dédaigneux d’un parquetier méprisant. J’ai dû ensuite me rendre à l’hôpital pour des prises de sang. À cette époque, je devais suivre scrupuleusement un traitement contre un cancer. Je devais uriner souvent, accompagné alors d’un policier qui ne me quittait pas d’une semelle, au cas où il me serait venu à l’idée de m’évader, peut-être par la fenêtre des toilettes… On m’a dit : « Avouez, signez et vous ressortirez libre ! » Alors, éreinté, j’ai accepté de signer.

Force est de constater que les personnes placées en garde à vue subissent souvent, seules et sans l’assistance d’un avocat, des interrogatoires oppressants dont les seuls comptes rendus sont les procès-verbaux rédigés unilatéralement par les policiers eux-mêmes. Est-il besoin de faire subir aux prévenus des traitements dégradants, de les humilier afin d’obtenir des aveux ou leur coopération ?

Le 7 janvier 2009, le Président de la République avait défini l’esprit d’une réforme de la procédure pénale selon plusieurs axes : la substitution d’une culture de la preuve à une culture de l’aveu ; la présence de l’avocat le plus tôt possible pendant l’enquête ; l’instauration de l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, sous le contrôle d’un juge d’instruction.

Toutefois, le rapport Léger, remis le 1er septembre 2009, ne répond pas à l’ambition affirmée par le chef de l’État et ne tient pas compte, loin de là, de la jurisprudence européenne. D’ailleurs, les avocats du barreau de Paris, bâtonnier en tête, ont lancé un appel en faveur de la suppression de la garde à vue telle qu’elle est autorisée et pratiquée en France. Ils s’appuient sur la législation européenne : un jugement de condamnation qui serait fondé sur des déclarations recueillies au cours d’une garde à vue hors la présence d’un avocat doit être considéré comme nul. Autrement dit, on ne peut condamner sur la base de déclarations auto-incriminantes recueillies sous la contrainte.

En outre, Me Henri Leclerc, qui fait partie d’un groupe de travail à la chancellerie sur la garde à vue, a rappelé que cette question avait déjà été posée par la commission Delmas-Marty et que les policiers avaient affirmé, à l’époque, qu’une telle disposition détruirait leur métier, à la stupéfaction de commissaires venus de plusieurs pays européens, qui avaient expliqué que, pour leur part, ils tentaient de mener à bien leurs enquêtes avant toute arrestation, au lieu de bâtir une affaire à partir d’aveux recueillis dans leurs locaux.

De ce fait, je soutiens la proposition de loi déposée par le député Manuel Aeschlimann et plusieurs de ses collègues, le 21 décembre dernier, tendant, pour toutes les infractions punies d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, à instituer la présence de l’avocat durant tous les actes de la procédure établis au cours de la garde à vue, à permettre à l’avocat d’assister le gardé à vue durant tous les interrogatoires et auditions dès le début de la garde à vue et tant qu’elle n’a pas été levée, enfin à ce que soit notifié à la personne retenue le droit de garder le silence, droit institué en 2000 avant d’être supprimé deux ans plus tard.

En libérant tous les acteurs de l’enquête pénale du carcan procédural que constitue le système actuel de la garde à vue pour des délits mineurs, en désengorgeant nos commissariats, hôpitaux, salles d’écrou de centaines de milliers de gardes à vue inutiles, nous permettrons à nos forces de l’ordre de se concentrer sur l’essentiel, avec une compétence accrue, des moyens supplémentaires dégagés et la conscience nouvelle de servir la patrie des droits de l’homme.

Aussi les propositions du comité Léger d’interdire le placement en garde à vue d’une personne soupçonnée de faits pour lesquels une peine d’emprisonnement inférieure à un an est encourue et de créer une nouvelle mesure coercitive d’une durée plus limitée méritent-elles d’être précisées, car si elles reviennent à créer une garde à vue bis, avec maintien des actuelles restrictions d’accès au dossier pour l’avocat, alors autant ne pas modifier les dispositions en vigueur !

La création d’une « retenue judiciaire », d’une durée maximale de six heures pour toute personne majeure soupçonnée d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans, nécessite également plus d’explications : si l’avocat n’avait pas un droit d’accès immédiat au dossier, où serait l’innovation ?

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