Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la garde à vue est une mesure grave, le code de procédure pénale précise qu’elle doit être limitée aux nécessités de l’enquête. Or, en pratique, elle est devenue, dans le cadre des enquêtes pénales, un outil d’une banalité affligeante, permettant de garder une personne à disposition alors que sa présence n’est plus réellement nécessaire à la poursuite de l’enquête en cours.
Cette banalisation de la garde à vue est attestée par les statistiques disponibles. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mon collègue Alain Anziani les ayant déjà donnés.
L’inflation dramatique du nombre de gardes à vue trouve également sa source dans le fait que ce dernier est utilisé comme un indicateur de performance de l’activité des autorités de police. Sommés de « faire du chiffre », les officiers de police judiciaire recourent plus largement au placement en garde à vue afin d’atteindre les objectifs fixés par le ministère de l’intérieur.
L’instrumentalisation de cette mesure est une évidence : plus de 200 000 gardes à vue concernent des délits routiers déjà constatés, or, dans ce cas, la garde à vue n’est pas nécessaire à l’enquête, mais on l’utilise tout de même pour augmenter facilement le taux d’élucidation des affaires…
Il est intolérable qu’une mesure de privation de liberté puisse ainsi se transformer en indicateur de performance, en critère d’évaluation de l’efficacité des services de police, sans qu’aucune limitation ne soit aujourd’hui imposée à son recours. Non seulement la garde à vue s’est banalisée, mais elle est devenue, ce qui est pis encore, un outil de gestion sécuritaire entre les mains de la majorité, destiné à terroriser ceux qui, par exemple, ont eu le malheur de recharger la batterie du téléphone portable d’un étranger sans papiers.
Conçue comme une mesure grave, la garde à vue s’est transformée, entre les mains de ce gouvernement, en gadget sécuritaire servant à alimenter artificiellement les statistiques des ministères de l’intérieur et de la justice, pour atteindre les objectifs chiffrés imposés par le Président de la République.
À ces considérations pratiques s’ajoute l’incompatibilité juridique de la garde à vue avec la Convention européenne des droits de l’homme. La circulaire diffusée par la chancellerie pour tenter de nier la réalité ne doit pas nous abuser : notre système est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. C’est malheureux, mais c’est une réalité !
Les considérants de l’arrêt Dayanan rendu par la Cour européenne des droits de l’homme sont très clairs. Madame la ministre d’État, vous affirmez souvent que l’on fait dire à la Cour européenne des droits de l’homme ce qu’elle n’a pas voulu dire. Je citerai donc cet arrêt, pour vous prouver que je ne l’interprète en aucune manière : « l’avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, mais il doit également pouvoir exercer toute la palette des droits de la défense ».
Les parlementaires Verts en ont immédiatement tiré une conséquence, en déposant sur le bureau du Sénat une proposition de loi portant réforme de la garde à vue. Comme l’a dit Me Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris, « cette réforme est urgente : elle ne saurait attendre une réforme plus globale de la procédure pénale ». En effet, à l’heure actuelle, des centaines de gardes à vue illégales sont décidées chaque jour.
À cet instant, j’évoquerai l’actualité : le 28 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Paris a annulé cinq gardes à vue en raison de l’absence de l’avocat et de l’impossibilité pour lui de préparer correctement la défense de ses clients. Permettez-moi, dans ces circonstances, de vous exposer les points fondamentaux qui pourraient faire l’objet d’une réforme.
Premièrement, il est impératif de mieux encadrer la décision de placement en garde à vue, afin d’éviter les dérives constatées aujourd’hui. Parce que c’est une mesure privative de liberté, elle doit être réservée aux infractions les plus graves, sans toutefois être absolument exclue pour toutes les autres infractions. C’est pourquoi nous proposons qu’une garde à vue ne puisse être décidée que si l’infraction dont la personne est suspectée est passible de cinq ans de prison au moins. Pour les autres infractions, le placement en garde à vue devra être autorisé par l’autorité judiciaire.
Deuxièmement, notre droit devra, tôt ou tard, inscrire –ou peut-être réinscrire – parmi les droits du gardé à vue celui de se taire et de ne pas participer à sa propre incrimination. Il s’agit là d’un principe reconnu et consacré par de nombreuses législations européennes. La France fait office de dernier de la classe en la matière.
Troisièmement – c’est le point le plus important à mes yeux –, le rôle de l’avocat, dans le cadre de la garde à vue, devra évoluer vers une meilleure prise en compte des droits de la défense. L’avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, quelle que soit l’infraction, mais aussi pouvoir exercer un certain nombre de prérogatives, ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle la « palette des droits de la défense ».
Il s’agit, en premier lieu, de sortir de l’hypocrisie consistant à faire semblant de croire qu’il serait possible de communiquer réellement avec son client en trente minutes. L’entretien est aujourd’hui une visite de courtoisie, ce qui relègue l’avocat dans un rôle de figurant. Il convient, en conséquence, d’allonger sa durée, qui devrait raisonnablement atteindre au moins deux heures.
Il s’agit, en deuxième lieu, de permettre à l’avocat d’accéder au dossier pénal. C’est là une exigence fondamentale si l’on souhaite qu’il puisse préparer la défense de son client et trouver des éléments à décharge. Elle est d’ailleurs mentionnée dans le rapport du comité Léger ; nous en reprenons le principe, mais nous souhaitons que cette mesure soit applicable dès le début de la garde à vue, de manière que l’avocat dispose d’éléments suffisants pour préparer l’interrogatoire.
Il s’agit, en troisième lieu, d’autoriser l’avocat à assister aux interrogatoires. Là encore, la Cour européenne des droits de l’homme a été claire : cette présence devrait être un principe.
Enfin, il conviendra également de revoir le régime de la garde à vue applicable aux mineurs, sans attendre la réforme de l’ordonnance de 1945. L’actualité, malheureusement, nous donne là encore raison : une jeune fille de quatorze ans est restée en garde à vue pendant neuf heures, en pyjama, pour une dispute avec des camarades d’école. La garde à vue était-elle indispensable dans un tel cas ? L’enquête en cours nous le dira certainement.
Madame la ministre d’État, il est impératif de ne jamais oublier qu’un mineur de seize ans reste un mineur et qu’il convient de lui conférer des droits renforcés. Or notre système assimile le mineur de seize ans à un majeur, ce qui rend facultatifs la présence de l’avocat et l’examen médical, alors qu’ils devraient être obligatoires dans un tel cas.
Si nous voulons que notre droit soit conforme au droit européen, toute réforme de la garde à vue devra prendre en compte les exigences que je viens d’exposer et que nous avons inscrites dans une proposition de loi qui sera examinée prochainement en séance publique. N’oublions pas une page récente de notre histoire : c’est à cause d’une garde à vue que la France a été, voilà quelques années, condamnée pour acte de torture par la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous attendons du Gouvernement qu’il réagisse, non pas dans six mois, mais tout de suite, car nous sommes le seul pays européen à avoir encore un système de garde à vue archaïque, où les droits des personnes concernées sont réduits à leur plus simple expression ! Madame la ministre d’État, nous vous demandons donc de mettre fin à un scandale, à une aberration honteuse pour notre pays, en intégrant toutes les garanties d’un procès équitable dans le système français de la garde à vue.