Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 9 février 2010 à 14h30
Droits des personnes placées en garde à vue — Discussion d'une question orale avec débat

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État :

C’est vous qui avez voulu établir des comparaisons de chiffres ! Si l’on veut être tout à fait objectif, il convient sans doute, dans cette optique, de considérer le taux d’élucidation des affaires plutôt que les chiffres de la délinquance.

En tout état de cause, nous sommes d’accord pour reconnaître que le recours à la garde à vue est certainement devenu trop systématique, ce constat ne remettant nullement en cause le travail des policiers et des gendarmes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la garde à vue est un instrument d’enquête devant contribuer à la manifestation de la vérité, ni plus ni moins. De ce point de vue, la décision de placement en garde à vue ne saurait être arbitraire ; Mme Escoffier a d’ailleurs très bien rappelé que le code de procédure pénale offre un certain nombre de garanties à la personne qui fait l’objet d’une telle mesure, dont l’usage, c’est un point essentiel, doit être limité aux nécessités réelles de l’enquête.

Tel sera bien l’un des objets de la réforme du code de procédure pénale qui vous sera soumise d’ici à l’été. Afin d’écarter tout soupçon d’arrière-pensée, je ferai en sorte que vous puissiez très prochainement travailler sur le texte, qui comportera notamment, bien entendu, des dispositions relatives à la garde à vue.

Avant même que cette concertation, que je souhaite très large, ne soit engagée, je puis d’ores et déjà vous indiquer les deux idées-forces qui sous-tendent ma réflexion en la matière.

Je souhaite d’abord réaffirmer le caractère exceptionnel de la garde à vue. Dans cette perspective, la décision de placement en garde à vue doit prendre en compte le degré de gravité des faits et la durée de la peine d’emprisonnement encourue.

Je souhaite ensuite accroître les droits de la personne gardée à vue et la latitude d’intervention de l’avocat.

Entrons maintenant davantage dans le détail du dispositif du texte.

En ce qui concerne la limitation du champ du recours à la garde à vue, celui-ci ne sera possible que dans le cas de crimes ou de délits punis d’une peine d’emprisonnement. Aujourd’hui, je le rappelle, une personne qui vient d’être interpellée doit être placée en garde à vue. Aux termes de la réforme que je suis en train de préparer, cette mesure ne sera plus systématique. Ainsi, pour des affaires ne présentant pas un caractère de particulière gravité, la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement. Elle sera alors retenue quatre heures au maximum dans les locaux des services de police ou de gendarmerie, ce qui sera suffisant, dans bon nombre de cas, pour recueillir les éléments utiles à l’enquête. Néanmoins, si elle le souhaite, cette personne pourra demander à être entendue sous le régime de la garde à vue, qui ouvre en effet un certain nombre de droits : prévenir des proches, être assisté par un avocat, voir un médecin, connaître la nature de l’infraction reprochée.

En ce qui concerne l’accroissement des droits de la personne gardée à vue, bien entendu, l’ensemble des droits actuellement inscrits dans le code de procédure pénale seront non seulement conservés, mais encore réaffirmés.

S’agissant du droit d’accès à un avocat, sur lequel, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous insisté, il est exact que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé, au travers de l’arrêt Dayanan, le droit pour toute personne, dès lors qu’elle est privée de liberté, à pouvoir s’entretenir avec un défenseur.

Je tiens à souligner que le droit français en vigueur satisfait à cette exigence précise, puisqu’il autorise le gardé à vue à s’entretenir confidentiellement, dès le début de la garde à vue, avec un avocat. À cet égard, l’interprétation de la jurisprudence européenne faite par certaines juridictions me paraît totalement erronée : si la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée. D’ailleurs, cette analyse est partagée par de nombreuses juridictions, tant du premier que du second degré, comme en témoigne ce qu’ont décidé le tribunal correctionnel d’Angers hier et la chambre de l’instruction de Paris aujourd’hui même. Il appartient maintenant à la cour d’appel de se prononcer.

En tout état de cause, nos pratiques ne contreviennent pas à la Convention européenne des droits de l’homme, et la France n’a pas été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, les arrêts en question concernant la Turquie et le droit de ce pays. D’ailleurs, en 2007, la Cour de cassation a admis la conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l’homme.

En ce qui concerne les cas particulièrement sensibles du terrorisme et de la criminalité organisée, leur spécificité justifie incontestablement, à mon sens, un régime de garde à vue différent, permettant d’assurer réellement l’efficacité des investigations. Si notre pays a été épargné par le terrorisme au cours de ces dernières années, monsieur Anziani, c’est en partie grâce à notre procédure pénale et à la possibilité de recourir à la garde à vue et à différentes mesures d’enquête dans ce domaine. De toute façon, l’existence de dispositions spécifiques en la matière n’est nullement propre au droit français : le Royaume-Uni et l’Espagne, par exemple, qui sont les deux pays d’Europe les plus menacés par le terrorisme, sont dotés de législations tout à fait similaires à la nôtre.

S’agissant de l’intervention de l’avocat, je voudrais d’abord rappeler que c’est la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, dite « loi Guigou », qui a déterminé les principaux mécanismes actuellement en vigueur. Nous ne faisons aujourd’hui qu’appliquer ce texte, qui a défini les modalités d’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue, notamment en limitant à trente minutes la durée de l’entretien confidentiel entre la personne placée en garde à vue et son avocat, sans que ce dernier puisse avoir accès au dossier ni être présent lors des interrogatoires, cet entretien pouvant en outre être différé dans le cas de certaines infractions graves – jusqu’à soixante-douze heures après le début de la garde à vue en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. C’est bien la loi de Mme Guigou qui a instauré ces dispositions !

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