Intervention de Robert Badinter

Réunion du 8 février 2007 à 15h00
Équilibre de la procédure pénale — Article 7

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Cet article tend à introduire une innovation que l'on pourrait aisément qualifier de surprenante : l'enregistrement des interrogatoires chez le juge d'instruction.

À ma connaissance, nul ne le demandait. Je ne me souviens pas, en effet, d'avoir entendu un juge d'instruction, un procureur de la République ou un avocat demander un enregistrement en matière criminelle dans le cabinet du juge d'instruction. Les conditions sont radicalement différentes de celles d'un local de police. Sont présents l'avocat, le greffier - ne l'oublions pas -, le magistrat instructeur. L'interrogatoire se déroule selon les règles établies par le code de procédure pénale. Cela ne souffre aucune difficulté.

Puis, brusquement, on clame qu'un tel enregistrement est absolument indispensable ! Je rappelle pour le public - peut-être ai-je tort, mais, à cet égard, je fais partie du public et non des initiés -, que cela est dû à une volonté singulière, née d'un malentendu, du corps respectable des officiers de police judiciaire, plus particulièrement, me semble-t-il, les plus importants, qui jugent intolérable d'être suspectés. C'est en tout cas ainsi qu'ils comprennent l'obligation d'avoir des caméras dans tous les lieux où se déroulent des interrogatoires.

C'est d'autant moins justifié, selon eux, que ces interrogatoires se déroulent dans des conditions parfaitement légales. En conséquence, ils réclament, afin que tous soient traités sur un pied d'égalité, que les interrogatoires menés par des magistrats instructeurs soient aussi enregistrés par des caméras.

Inutile de rappeler que nous n'arrivons déjà pas à assurer la totalité des enregistrements des interrogatoires de mineurs dans les locaux concernés, auxquels s'ajoutent les centaines de milliers d'interrogatoires de police que vous avez déclinés tout à l'heure et qu'il va falloir également enregistrer.

Et voici que, d'un seul coup, on va passer à un stade supérieur pour enregistrer, de surcroît, ce que personne ne demande et qui n'a jamais posé de problème. Nous aussi, nous sommes donc tout à fait étonnés.

L'utilité du dispositif me laisse perplexe. Pour avoir évoqué toutes les garanties de la défense, je sais qu'il serait vain de chercher de ce côté-là ! Á mon sens, la seule utilité serait de permettre une information plus complète des magistrats qui se succèdent dans des instructions trop longues Franchement, cela ne me paraît pas une exigence impérative dans l'état général d'impécuniosité où nous nous trouvons et alors que le budget de la justice va avoir à supporter l'utilisation généralisée des caméras pour couvrir les interrogatoires qui se déroulent dans le cadre des locaux de police.

Á ce stade, il n'y a pas de raison de procéder de la sorte, d'autant que les magistrats le ressentent très mal. Ils y voient une pure complaisance vis-à-vis des réactions que j'évoquais, soutenues par le ministre de l'intérieur. Pour eux, c'est, en quelque sorte, une contrepartie à ces prétendus affronts - qui n'en sont nullement - à l'égard des officiers de police judiciaire. Á l'heure où nous sommes, tout cela ne se justifie pas !

La seule utilité que je vois à cette innovation concernerait des affaires extrêmement complexes dans lesquelles le magistrat instructeur voudrait se réserver la preuve audiovisuelle et le détail de l'enregistrement. Á lui reviendrait la décision d'y procéder soit sur son initiative, soit à la demande du parquet ou de la défense. Le moment ne me paraît pas venu. Nous avons des priorités et, vous le savez comme nous, les ressources de la Chancellerie sont toujours limitées.

Alors, abstenons-nous de cette extraordinaire nouveauté ! Dans le climat qu'ont fait naître, au sein de la magistrature, les déclarations répétées du ministre d'État, ministre de l'intérieur, lequel a mis en cause la responsabilité des magistrats instructeurs, on conçoit la suspicion de ceux-ci à l'égard d'un moyen de contrôler la façon dont ils mèneraient les interrogatoires, et ce, malgré la présence de la défense et du greffier. Ce procédé, ils l'appréhendent comme une phase préliminaire, destinée à nourrir d'éventuelles actions disciplinaires.

Comme je sais que telle n'est pas la pensée du législateur, je crois que l'on a tout à perdre avec cette innovation. Nous verrons, dans les années à venir, si l'on peut envisager de conserver des interrogatoires difficiles à l'usage d'autres magistrats ou pour venir compléter les chambres d'instruction.

C'est la raison pour laquelle, au-delà de l'utilisation des travaux de la commission d'Outreau, dans ces affaires complexes, une concertation avec tous les corps intéressés sera, à mon sens, toujours indispensable.

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