Je pense, comme M. Badinter, que le fait de placer sur le même plan les enquêtes de police et les enquêtes du juge d'instruction est une erreur et témoigne d'une méconnaissance complète du mode de fonctionnement de la justice. Pour les enquêtes de police, qui se font dans un tête à tête entre un officier de police et un prévenu, il est évidemment bon qu'une sorte de témoin muet rapporte les éléments d'ambiance, le déroulement des choses.
Au-delà de leur utilité ultérieure, ces enregistrements ont aussi une grande utilité préventive, car la personne qui se sait enregistrée ne s'exprime pas de la même manière, n'a pas forcément la même attitude, autant de détails à première vue secondaires, mais, en réalité, essentiels.
Pour avoir assisté à de tels enregistrements à Scotland Yard, j'ai vu qu'ils garantissaient un climat beaucoup plus serein et beaucoup plus correct. C'est très bien, mais ce qui se passe chez le juge d'instruction est tout à fait différent. Comme l'a rappelé M. le garde des sceaux, nous sommes dans une procédure écrite, avec un greffier assermenté, qui a une responsabilité particulière. Et il y a un avocat.
Avec ce système, vous êtes en train de dévaloriser le procès-verbal : confiant dans l'enregistrement, l'avocat pourra éventuellement sortir et revenir au bout de dix minutes.
Or ce qui est essentiel, dans une instruction, et que nous autres, avocats, avons vécu, c'est que le juge rapporte au greffier ceci et cela, et l'avocat a toujours la possibilité de rétablir, devant le juge, les propos de son client, de souligner les nuances, la pertinence des adjectifs. Forts de cette expérience, nous savons que, jusqu'à nouvel ordre, le procès-verbal est ce qu'il y a de mieux ; il n'a pas besoin d'être complété.
Ne dévalorisez pas le procès-verbal sous prétexte qu'il y a un enregistrement. C'est une erreur ! Une susceptibilité de corps s'est manifestée, ce qui est très compréhensible sur le plan humain. Mais les niveaux de formation et les types de garantie ne sont pas les mêmes selon qu'il s'agit d'officiers de police judiciaire, de magistrats, d'avocats ou de greffiers.
Il est certain - et c'est normal, vous m'avez entendu le dire tout à l'heure - qu'il faut chercher la vérité. Toutefois, convenons-en, les procédés employés par la police sont quand même plus « rustiques » que ceux dont usent les magistrats.
Outre que tout cela n'est pas gratuit, il n'y a pas de véritable raison de créer une double approche du déroulement des interrogatoires chez les juges d'instruction.
Pour ma part, je crois qu'il faut, jusqu'à nouvel ordre, respecter l'importance du procès-verbal et ne pas lui apporter de complément. Ainsi, l'amendement n° 102 de M. Badinter me paraît le bienvenu et, en ce qui me concerne, je suis prêt à le voter. Car on peut, en toute sérénité, avoir une opinion technique sur une telle question. La solidarité de la commission n'est pas en jeu.