Intervention de Jean Puech

Réunion du 12 avril 2006 à 21h00
Difficultés éprouvées par les collectivités territoriales dans l'accès aux informations — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean PuechJean Puech :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du débat sur la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le Gouvernement a veillé à ce que soit insérée une disposition obligeant les collectivités territoriales à transmettre à l'État des données sur l'exercice de leurs compétences.

Ces transmissions, qui ont un but essentiellement statistique, viennent bien évidemment en complément des transmissions des délibérations soumises au contrôle de légalité. La partie réglementaire du code général des collectivités territoriales détaille, sur plusieurs dizaines de pages, le contenu de ces obligations.

A contrario, de leur côté, malgré le principe de libre administration, les collectivités territoriales sont souvent étroitement dépendantes des informations détenues par les services déconcentrés de l'État ou par les organismes publics. En matière financière, par exemple, elles ne maîtrisent pas l'établissement des assiettes fiscales ni le recouvrement des impôts. Elles ne peuvent ni calculer ni vérifier elles-mêmes les dotations qui leur sont dues. Elles dépendent du comptable public pour le recouvrement de leurs créances.

Certes, d'aucuns disent que tout cela est normal. Mais, tout de même, nous sommes dans un processus de décentralisation, qui compte déjà plusieurs actes ; or, l'esprit même de la décentralisation devrait nous inciter à faire évoluer la situation actuelle.

Dans le domaine social, les départements sont très dépendants des informations détenues par l'Agence nationale pour l'emploi et les caisses d'allocations familiales. C'est vrai pour la gestion du revenu minimum d'insertion, mais c'est vrai aussi pour la gestion du fonds de solidarité pour le logement.

Sur la gestion des personnes âgées dépendantes, les conseils généraux sont tributaires des directions départementales de l'action sanitaire et sociale. La prestation de compensation du handicap a été récemment confiée à une commission d'examen dont la composition peut sembler pléthorique, mais où le conseil général est minoritaire. Un établissement national, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, joue un rôle croissant dans ce domaine pourtant « décentralisé ».

S'agissant de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, nombre de décrets ne sont pas encore sortis, alors que la loi est applicable et appliquée depuis le 1er janvier dernier. Les personnels de l'État qui doivent être transférés sont dans le flou concernant leur situation, comme le sont d'ailleurs ceux qui sont transférés dans le cadre du RMI, et ce depuis maintenant deux ans.

Les conseils généraux ont bien souvent le sentiment de ne jouer qu'un rôle de guichet. Ils n'ont pas de marges de manoeuvre pour mener une réflexion sur la fixation des prestations, les dossiers étant instruits par l'État ou par des organismes paraétatiques. Les conseils généraux doivent seulement accepter de payer et ont souvent peu de moyens de contrôle.

Finalement, le dialogue que nous devons avoir avec la haute administration de notre pays n'est pas satisfaisant. Disant cela, monsieur le ministre, je veux vous alerter quant au système mis en place. À mon avis, au sommet, toutes les mesures n'ont pas été prises pour accompagner la décentralisation.

À travers tous ces exemples, j'ai souvent l'impression que les différents acteurs ne donnent pas la même signification au mot « décentralisation ». Pour les collectivités territoriales et leurs élus, la décentralisation, c'est la prise en charge des compétences qui sont transférées. Pour la haute administration et les différentes directions centrales, la décentralisation, c'est une délégation de compétences.

Par conséquent, il importe véritablement d'entamer un dialogue aussi clair et serein que possible, pour aborder le sujet au fond et bien préciser ce qui définit la décentralisation.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets de donner d'autres exemples, pour éclairer encore davantage la situation.

En ce qui concerne non seulement le transfert des TOS, les personnels techniciens, ouvriers et de services, mais également l'application de la loi relative au handicap, les départements se sont vu demander de mettre en oeuvre les textes dès le 1er janvier 2006, alors que la plupart des décrets et circulaires manquaient ou étaient à peine publiés. En la matière, l'État a donné le sentiment de se désintéresser quelque peu de l'avis des collectivités, notamment des départements.

S'agissant des TOS, les textes de mise en application du transfert, prévu au plus tard à l'automne 2005, sont sortis juste avant Noël 2005, pour une application au 1er janvier 2006. Entre Noël et le jour de l'An, il a été demandé aux départements de désigner leurs représentants aux commissions tripartites.

Monsieur le ministre, mettez-vous à ma place et à celle de mes collègues présidents de conseils généraux, et imaginez que, dans votre propre administration, vous receviez pareilles informations à cette période de l'année : vous en conviendrez, vous auriez vraiment peu de temps pour agir ! D'ailleurs, encore faut-il être présent pour prendre connaissance de ces demandes, car, souvent à cette époque, nous sommes toujours sur le terrain.

Tout cela le montre, il existe tout de même un certain manque de coordination.

En réalité, monsieur le ministre, nous sommes en quelque sorte aux ordres de l'administration et nous nous efforçons de suivre les instructions le mieux possible. Nous avons ainsi désigné en temps utile les représentants aux commissions tripartites qui devaient se tenir dans la première quinzaine de janvier. Ces commissions se sont finalement réunies dans le courant du même mois, ont émis des avis et formulé des remarques, mais cela n'a servi à rien, car les arrêtés étaient déjà pratiquement rédigés.

Si je me permets de dire cela, c'est surtout pour faire un constat, et non pour jeter de l'huile sur le feu. En définitive, un climat de méfiance mutuelle s'est instauré progressivement entre les collectivités territoriales et les organismes détenant les informations qui leur sont nécessaires. Par conséquent, il nous faut renouer un vrai dialogue.

Toutefois, des progrès ont été récemment accomplis dans cet accès à l'information, notamment à la suite de l'adoption d'amendements parlementaires.

La loi de finances pour 2006 prévoit ainsi la transmission par l'administration fiscale des montants des rôles supplémentaires et des montants des exonérations, compensations et dégrèvements dont les contribuables ont bénéficié. Cette information est essentielle aux collectivités, à la fois pour connaître les ressources sur lesquelles elles peuvent compter, mais aussi pour mener une politique fiscale appropriée. Par exemple, la politique de taux et d'abattements en matière de taxe d'habitation ne doit pas être la même si la majorité de la population atteint le fameux plafond des 4, 3 % du revenu ou si, au contraire, seule une petite partie des contribuables est concernée.

En ce qui concerne la taxe professionnelle, il est bien évident que les collectivités territoriales devront connaître avec précision le niveau des bases plafonnées sur leur territoire. C'est prévu par la loi ! Mais il serait nécessaire qu'elles aient accès aux modalités de calcul de ces bases plafonnées, qu'elles puissent les contrôler et tenter de mener une politique de nature à maîtriser le dispositif. Toutefois, cette demande sera sans doute assez difficile à obtenir dans l'immédiat.

La possibilité d'échanger des informations de nature fiscale entre collectivités et administration de l'État, auparavant réservée aux seules communes, a été étendue par la loi de finances de 2006 à toutes les collectivités territoriales, ce qui est heureux.

Dans le programme intitulé « Concours spécifiques et administration » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », l'objectif associé aux crédits de la Direction générale des collectivités locales, ou DGCL, est d'« améliorer l'information des collectivités territoriales et de l'administration territoriale sur la décentralisation ». L'un des indicateurs est le taux de réponse aux demandes sous un certain délai. La Direction générale des collectivités locales se fixe un taux de 40 % de réponses sous un mois et de 80 % de réponses sous trois mois. De fait, la DGCL fournit de plus en plus vite une information plus complète aux collectivités locales. Ainsi, le montant détaillé de la dotation globale de fonctionnement paraît sur le site Internet du ministère assez rapidement dans l'année.

La DGCL a également publié un guide pour l'établissement des budgets locaux et une circulaire portant sur les informations utiles aux budgets locaux, qui détaille notamment la réforme de la taxe professionnelle. J'ajoute que l'Observatoire de la décentralisation a récemment auditionné M. Dominique Schmitt, directeur général des collectivités locales. Je dois dire que ce dernier a fait preuve d'une grande capacité de dialogue, de transparence et d'une franchise que je salue. Au nom des membres de l'Observatoire, je tiens à l'en remercier vivement.

Mais la DGCL n'est pas seule concernée. Aussi, peut-on espérer autant de diligence de la part de la direction des routes et des directions départementales de l'équipement, des inspections d'académie, de l'ANPE, des caisses d'allocations familiales, bref de toutes les administrations de l'État et des organes paraétatiques ?

Le représentant de l'État, dans les régions et dans les départements, est le préfet, en principe. Ce dernier est l'interlocuteur normal des collectivités. Or, cela est confirmé de toute part, le préfet est le plus souvent « court-circuité » par les administrations, qui s'adressent directement à leurs directeurs territoriaux.

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