Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 12 avril 2006 à 21h00
Difficultés éprouvées par les collectivités territoriales dans l'accès aux informations — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet de notre méditation en cette heure déjà nocturne est l'accès des collectivités locales à l'information, enjeu d'importance s'il en est.

Disposer en temps utiles d'une information suffisante, fiable et à jour est l'une des conditions d'efficacité de toute gestion, donc de celle des collectivités locales. C'est une banalité que de dire cela.

Si personne ne conteste ce principe, constatons que sa mise en application ne va pas de soi. Ainsi aura-t-il fallu attendre la dernière loi de finances pour obtenir ce qui aurait dû exister depuis longtemps, à savoir la transmission des rôles supplémentaires d'imposition et celle des montants des compensations et des dégrèvements dont les contribuables locaux ont bénéficié.

Ce tardif progrès permettra une meilleure estimation des bases, donc des recettes, ainsi que de la charge réelle pour les contribuables.

S'agissant de la connaissance des ressources fiscales et des dotations dont les collectivités bénéficient, il conviendrait cependant d'aller plus loin. Dans certains domaines, les règles du jeu demeurent trop complexes et les données communiquées sont invérifiables.

Les évolutions de la réalité ne trouvent pas non plus toujours aussi rapidement qu'il serait souhaitable leur traduction administrative, ce qui pose la question des moyens dont disposent les services de l'État. Est-il normal que de plus en plus de collectivités missionnent des cabinets privés pour faire le travail de récollection des bases, normalement à la charge de l'administration ?

Ce sera le premier ensemble de points que j'aborderai.

Cela dit, les collectivités locales ont surtout besoin d'informations pertinentes, constituant une véritable aide à la décision.

C'est vrai pour toutes les collectivités, mais probablement plus encore pour les petites et moyennes d'entre elles, qui ne disposent pas du personnel capable de traiter en temps réel une masse trop grande d'informations.

Paradoxalement, une pléthore d'informations peut avoir un effet négatif.

Le plafonnement de la taxe professionnelle à 3, 5 % de la valeur ajoutée et le bouclier fiscal, au-delà de leur signification en termes de transferts de charges - si certains paient moins, d'autres paieront plus -, complexifient encore notre usine à gaz fiscale. Ils rendent encore plus difficile l'appréciation de l'effet réel futur des décisions proposées par les exécutifs locaux et adoptées par les assemblées délibérantes.

Ce sera le deuxième point que j'aborderai, le troisième étant le problème de l'équilibre à tenir entre la diffusion de l'information utile aux collectivités et l'obligatoire confidentialité de celles qui concernent les personnes.

Comme je l'ai rappelé, l'obligation récente de transmettre aux collectivités, à leur demande, leurs rôles supplémentaires représente un progrès appréciable.

Cependant, sauf erreur de ma part, cette obligation ne porte que sur les rôles d'un montant supérieur à un seuil fixé par arrêté du ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, seuil qu'il serait envisagé de fixer à 5 000 euros.

On comprend les réticences de l'administration à prendre des engagements qu'elle sait ne pas pouvoir tenir. Il n'échappe cependant à personne ici que si 5 000 euros ne représentent pas grand-chose pour une grande collectivité locale, il en va différemment pour la plupart des plus modestes. Il serait donc logique et équitable d'en tenir compte pour la fixation des seuils de communication obligatoire.

On peut envisager de moduler ceux-ci en fonction des strates de population ou, plus simplement, de les fixer en termes de pourcentage des recettes fiscales. Le fait qu'il ne s'agisse que d'une réponse aux demandes et non d'une émission systématique des rôles devrait limiter la charge de travail de l'administration.

Par ailleurs, et cela a été évoqué tout à l'heure, deux sujets me paraissent demander un effort particulier de clarification et d'information : la fiscalité des communautés à taxe professionnelle unique durant la période - souvent longue - de convergence des taux et la dotation globale de fonctionnement.

S'agissant des intercommunalités à taxe professionnelle unique - notre collègue Yves Détraigne en a fait la démonstration tout à l'heure -, le bon sens voudrait qu'à bases constantes le produit de la taxe professionnelle soit équivalent chaque année à celui qui est obtenu en multipliant les bases par le taux de convergence. Or tel n'est pas le cas, comme je l'ai constaté dans la communauté d'agglomération à laquelle appartient ma commune. La différence peut être importante : de l'ordre de 2 % à 3 % du produit attendu.

Cette différence pose un problème de fond, la réforme du système, que je ne développerai pas puisque ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Elle pose également la question de l'information préalable. Découvrir au dernier moment que les recettes fiscales sont inférieures de 2 % ou 3 % à ce qui était attendu n'est en effet ni très agréable ni très facile à gérer.

Cela m'amène à revenir sur une autre de nos usines à gaz : la DGF. Il n'est ni satisfaisant ni très démocratique que les collectivités locales ne puissent pas contrôler l'exactitude des chiffres qui leur sont notifiés. Certes, elles connaissent les principaux paramètres à partir desquels les calculs ont été effectués, mais, pour le reste, elles en sont réduites à faire confiance.

Si l'opacité est grande s'agissant de la DGF des communes, elle est quasi totale pour ce qui est des intercommunalités, dont les variations de DGF peuvent être très fortes d'une année sur l'autre du fait du coefficient d'intégration fiscale moyen.

Donner aux collectivités locales les moyens de contrôler les données qui leur sont communiquées et de nourrir le dialogue avec l'administration sur des bases saines me semble indispensable et pas du tout hors de portée. Ce serait, en tout cas, de nature à raffermir l'esprit de confiance mutuelle sans lequel on ne peut absolument pas avancer.

J'en viens maintenant au deuxième point de mon intervention : fournir aux collectivités locales les informations et les moyens leur permettant de décider en toute connaissance de cause.

Je reviendrai sur deux amendements qui ont été déposés sur le dernier projet de loi de finances lors de son examen en première lecture au Sénat.

Le premier émanait de Michel Mercier et des membres du groupe de l'UC-UDF. Il visait à porter à la connaissance des collectivités locales non seulement le montant des bases nettes de taxe professionnelle, mais également celui des bases plafonnées. L'ensemble de ces informations auraient été assorties d'une simulation des conséquences du plafonnement de la taxe professionnelle à 3, 5 % de la valeur ajoutée, selon les variations de taux.

Le second amendement, qui avait été déposé par Michel Charasse, visait à faire connaître les effets du bouclier fiscal sur les finances de la collectivité locale.

Finalement, après discussion, ces deux amendements ont été retirés. Ils ont cependant eu le mérite de poser de véritables questions, qui sont au coeur du sujet dont nous discutons aujourd'hui.

Le plafonnement de la taxe professionnelle, comme ce qu'il faut bien appeler un plafonnement de l'impôt sur le revenu modifient substantiellement les mécanismes de notre fiscalité directe locale. Ils font dépendre son produit de variables exogènes au système. La connaissance des bases, des exonérations et des dégrèvements ne suffit plus à mesurer ni l'effet global d'une variation de taux ni le résultat pour chaque contribuable.

Pour les mêmes bases, la même variation de taux aura des effets très différents dans un département comme les Hauts-de-Seine, où seuls 28 % des bases de taxe professionnelle sont plafonnées, dans le Var, où ce pourcentage s'élève à un peu plus de 40 %, ou dans les Hautes-Alpes - les malheureux ! - où plus de 70 % des bases sont plafonnées.

Le problème est le même s'agissant de l'impact du bouclier fiscal.

Avant de faire varier le taux de l'impôt sur les ménages, les collectivités locales ne pourront pas ne pas se poser la question de savoir sur qui reposera l'essentiel de la charge et quel sera le résultat final de la décision. Le moins que l'on puisse demander est qu'elles disposent d'informations complètes et, pour les plus petites d'entre elles, des moyens d'expertise leur permettant de prendre des décisions en toute connaissance de cause.

Si, lors de la discussion du projet de loi de finances au Sénat en décembre 2005, le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État avait admis la possibilité d'une aide, au cas par cas et pour les collectivités particulièrement démunies, de la part des services préfectoraux, il n'avait pas cru possible sa généralisation, car il trouvait le système trop lourd à mettre en place.

Le président de la commission des finances avait été encore plus clair : « la simulation est impossible faute de savoir a priori ce qui va se passer. [...] Autrement dit, à partir de 2007, il faudra que les élus territoriaux n'augmentent la taxe professionnelle que d'une main tremblante tant, en pratique, la loi que nous avons votée sur la taxe professionnelle rend extrêmement compliqué l'exercice d'augmentation de la taxe professionnelle ».

Si l'objectif de la réforme est de priver les collectivités territoriales des pouvoirs que la Constitution leur reconnaît en matière fiscale, il aurait été plus simple d'interdire toute augmentation du taux de la taxe professionnelle. Dans ce cas, effectivement, toute simulation devient superfétatoire.

Si tel n'est pas le cas, la structure des bases ayant désormais un effet important sur le résultat de toute décision en matière de taux, jamais des simulations n'auront été aussi nécessaires. Celles-ci pourraient prendre la forme d'une réflexion sur des cas types. Il n'est donc nul besoin de connaître le deuxième chiffre après la virgule, que l'on ignore, pour réfléchir à partir de ceux qui sont placés avant, que l'on est fort capable d'anticiper.

La discussion que je viens de rappeler aura également été l'occasion d'aborder une question importante - ce sera mon troisième et dernier point -, la nécessaire conciliation entre une information pertinente et suffisante des collectivités locales et la confidentialité qui s'attache nécessairement à certaines données fiscales et sociales.

Le problème n'est pas insoluble dans la mesure où, pour définir leurs politiques fiscales ou sociales, les collectivités locales ont besoin non pas d'informations nominatives, mais de données globales ou de données de structure. Cela devrait aussi suffire à mettre en évidence les éventuelles aberrations, à charge pour les administrations compétentes de les élucider à l'aide d'enquêtes spécifiques, dont elles ont la responsabilité.

En ce sens, je proposerais volontiers, en matière fiscale, que l'on élargisse le champ des préoccupations des commissions communales des impôts qui, lorsqu'elles sont régulièrement et sérieusement tenues, permettent un bon suivi de l'évolution de la base de la fiscalité sur les ménages et de se passer des cabinets qui ont été évoqués tout à l'heure.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les quelques réflexions que m'inspire l'importante question posée par notre collègue Jean Puech.

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