Mais il est un troisième cas que la loi ne règle pas : je veux parler des personnes qui se retrouvent, jeunes ou moins jeunes, en situation de très grande dépendance à la suite d'un accident ou d'une maladie invalidante qui les prive soit brutalement, soit de manière progressive, de toutes leurs facultés physiques pour se déplacer, se mouvoir, communiquer.
Je parle ici de personnes totalement conscientes, lucides, et non de celles qui tombent dans le coma ou sont privées de leurs facultés mentales.
Précisément, il s'agit non pas de malades en fin de vie, mais de personnes qui, en dépit de leur volonté exprimée, n'ont pas la faculté physique de mettre fin à leur existence.
Être privé de toute possibilité de mouvement, être aveugle, bref être un quasi « emmuré vivant » et rencontrer une extrême difficulté à communiquer avec autrui ; être jeune, sans pour autant être atteint d'une maladie incurable, mais avec un coeur suffisamment solide pour avoir devant soi la perspective de nombreuses années de vie dans cette situation-là, sans issue possible et pour seul horizon la disparition des rares proches restés à son chevet... Il y a alors dans cet appel à mourir, répété, conscient, responsable, une voix qu'il nous faut entendre.
Là encore, il ne peut y avoir de généralisation possible. En matière delocked-in syndrome, par exemple, il est aussi des voix humaines qui s'élèvent - également respectables - pour crier leur envie de vivre. Songeons au témoignage vibrant du couple de M. et Mme Philippe Vigand dans un ouvrage récent.
Je trouve d'ailleurs qu'il est délicat, pour ne pas dire inconvenant d'utiliser à ce stade, comme le font certaines associations, le terme « mourir dans la dignité ». Qui peut dire si vivre dans la grande dépendance est conforme ou non à la dignité humaine ?
Je me demande s'il ne conviendrait pas d'instaurer une sorte de « droit opposable à la vie », tant ce que réclament nos concitoyens - y compris parmi les plus dépendants - consiste davantage en des conditions de vie décentes. Ils viennent encore de nous le rappeler massivement, le 29 avril dernier, dans une grande manifestation qui a rassemblé plus de 35 000 personnes handicapées à Paris.
Si la dignité humaine se définit d'abord par tout ce qui la blesse et peut lui porter atteinte, si, comme le rappelait le professeur Axel Kahn, « la dignité repose sur le regard signifiant posé sur autrui », c'est-à-dire sur notre capacité toujours renouvelée à nous indigner, alors je rêverais d'un monde qui se mobilisât en faveur des personnes âgées, handicapées ou dépendantes aussi promptement et massivement pour leur « droit de vivre dans la dignité » qu'en faveur d'une « aide à mourir ».