Cela étant, dans certains cas extrêmes - j'y insiste - quand tout aura été tenté pour redonner le goût à la vie, quand toutes les aides humaines, techniques, financières, psychologiques auront été non seulement proposées mais mises en oeuvre, alors seulement je me demande s'il ne faudra pas humblement, en toute humanité, entendre la personne dans cette ultime demande pour arrêter de lutter.
Nul n'est en droit de la juger, car nul n'est à la place de celui ou de celle qui la formule. Demander le droit à mourir, n'est-ce pas alors pour la personne humaine une tentative de donner un ultime sens à la vie ?
N'est-ce pas pour l'esprit, submergé par les tumultes d'un corps qu'il ne maîtrise plus, une manière de refuser que ceux-ci viennent au final dicter leur loi ?
Ce n'est pas l'état de dépendance qui, en soi, est insupportable, ce qui est insupportable, c'est la perte de tout contrôle sur son existence.
Souvenons-nous des grands combats que nous avons menés, dans cet hémicycle, lors de l'examen des textes récents sur le handicap, la dépendance ou le droit des malades, le droit à l'autonomie, le droit à la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le droit au libre choix de vie, le droit à l'assistance sexuelle, le droit au consentement éclairé du patient...
Au fond, nous ne traitions que d'une seule et même chose : reconnaître le droit pour tout être humain, quel que soit son état de santé, de handicap ou de dépendance, de garder le pouvoir sur un corps qu'il est obligé d'abandonner aux autres.
Lorsque je rencontre les personnes en situation de grande dépendance, que me disent-elles ? Qu'elles veulent choisir qui va les accompagner dans leur vie de tous les jours, qui va les soigner, quels gestes de soins on va pratiquer sur elles et dans quel ordre ; elles veulent choisir leur mode et leur rythme de vie, l'heure à laquelle elles veulent manger, se coucher, aller aux toilettes, sortir ou rentrer, bref décider de leur vie.
Mais lorsqu'on ne peut plus rien décider du tout parce que toutes les facultés physiques ou de communication sont perdues et que même la vie de l'esprit ne supplée plus ce vide, demander à ne plus vivre peut avoir un sens. C'est peut-être l'ultime façon de rester un être humain, et cela, nous devons l'entendre.
Prévoir une situation d'exception applicable à ces demandes me paraît répondre à cette nécessité. Parfois, savoir qu'on pourra y avoir recours un jour lorsque l'état de dépendance sera devenu décidément trop intolérable peut suffire.
Oui, il y a une part d'anxiété profonde dans la demande que formule une personne malade à qui la médecine vient d'avouer son impuissance, pour qu'on reconnaisse son droit futur à choisir sa mort. Cette liberté peut aussi constituer en soi un apaisement, un remède, une délivrance. C'est parfois le seul calmant qui reste, quand tout a été essayé. Alors, pourquoi le refuser ?