C'est désormais à l'hôpital que l'on meurt le plus souvent : deux décès sur trois y surviennent. Si l'hôpital offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur, il symbolise surtout, comme l'a rappelé M. le président de la commission des affaires sociales, la mort solitaire, anonyme et surmédicalisée que redoute l'immense majorité d'entre nous. Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, dans le silence du recueillement, semble céder la place au défunt anonyme, abandonné dans l'indifférence de l'hôpital en raison de l'impossibilité des siens de l'entourer.
Toutes ces angoisses n'étant pas nouvelles, un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est le fruit du consensus recueilli par la commission spéciale présidée par M. Gaëtan Gorce - un socialiste, si je ne m'abuse - et animée par M. Jean Leonetti, au travail duquel je souhaite rendre particulièrement hommage.
La proposition de loi organisait un équilibre subtil des droits et responsabilités de chacun. L'ensemble des familles politiques, puis les grands courants de pensées, les sociétés savantes et les médecins y avaient adhéré sans exprimer de réserves. Le Sénat avait alors considéré que ce texte constituait la réponse la plus appropriée au problème de la fin de vie dans notre pays.
À entendre nombre d'intervenants ayant pris part au débat ces dernières semaines, j'ai le sentiment que cette loi est malheureusement trop peu connue, et sans doute pas assez appliquée. Je crois donc indispensable d'en rappeler ici les grands principes.
La loi consacre le principe déontologique du refus de « l'obstination déraisonnable », définie selon trois critères : l'inutilité des traitements, leur disproportion au regard du bénéfice pour le malade, une finalité exclusivement tournée vers le maintien artificiel de la vie.
De ce principe découlent, d'une part, le droit pour la personne malade de refuser tout traitement et, d'autre part, lorsque la personne ne peut pas elle-même exprimer sa volonté, la possibilité, dans le cadre d'une procédure collégiale, d'une décision médicale de limitation ou d'arrêt des traitements.
En outre, toute personne majeure dispose de la possibilité de donner des directives anticipées pour faire connaître ses intentions quant à sa fin de vie avant de ne plus être en état de le faire. L'équilibre global du texte repose sur le développement parallèle des soins palliatifs. Mais vous connaissez très bien tout cela, madame la ministre, puisque vous en avez déjà parlé à plusieurs reprises.
La loi s'inscrit dans le cadre préétabli des principes posés par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle comporte non seulement des dispositions spécifiques aux situations de fin de vie, définies comme « la phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable », mais également des dispositions applicables à toute situation de soins : tous les traitements, quels qu'ils soient, sont concernés, y compris les soins de suppléance vitale. La loi prend en compte l'ensemble des cas, que la personne soit ou non en état d'exprimer sa volonté.
Lorsque la personne malade est consciente, et alors même qu'elle n'est pas en fin de vie au sens de la loi, son refus de tout traitement, à condition d'être réitéré et après consultation éventuelle d'un autre praticien, s'impose au médecin, même lorsqu'il y a un risque pour la vie.
Toutefois, c'est en situation de fin de vie que le refus de traitement s'impose pleinement, sans consultation d'un autre médecin, ni délai de réflexion, ni procédure collégiale. Le médecin doit alors respecter la volonté de la personne tout en l'informant des conséquences de son choix.
Ces principes méritaient d'être rappelés, car je reste persuadé que la loi Leonetti n'est pas assez connue, et donc pas appliquée. Le texte prend position en faveur du laisser mourir, mais refuse l'aide active à mourir. Mais l'euthanasie, qu'elle soit « active » ou « passive « reste de l'euthanasie ! Le terme est là, l'acte est là. Et nous, nous refusons cet acte.
Le dispositif adopté en 2005 couvre l'ensemble des situations concernées par une décision de limitation ou d'arrêt de traitement, et non la seule phase terminale de maladies graves et incurables. La loi réaffirme la priorité accordée à la lutte contre la douleur, et consacre le principe dit du double effet qui, comme beaucoup d'entre nous l'ont rappelé, autorise le médecin à accéder à la demande du malade, même si cela risque d'abréger sa vie.
Après ces brefs rappels, j'aborderai le point qui nous réunit aujourd'hui : est-il nécessaire de légiférer de nouveau sur ce sujet ?
La question est posée depuis que Chantal Sébire, atteinte d'une tumeur évolutive, a fait face à la maladie incurable qui lui a causé de terribles souffrances et l'a défigurée. Avec infiniment de courage, elle a supporté tout cela.