Mon cher collègue, la loi l'a prévu. Je ne dis bien entendu pas que le texte législatif constitue une solution parfaite. Bien au contraire, je demeure très humble devant ces problématiques si complexes, et je me garderai bien de tout prosélytisme.
Mais ayons également le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder ce débat de la fin de vie et des soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes que nous propose trop souvent le débat médiatique.
Prenons du recul et reconnaissons que, en la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir, mais aussi celle de se voir voler sa mort par l'administration excessive de sédatifs ; le refus de l'acharnement thérapeutique et l'inquiétude de se voir jugé par les médecins, d'être inéligible à certains traitements ; la terreur de sa propre déchéance, qu'elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l'on pensera lire dans le regard de l'autre.
Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge sa propre opinion, infiniment variable selon qu'il s'agit d'une éventualité abstraite et à venir ou d'une réalité vécue et subie.
Face à ces interrogations et ces craintes, certains militent pour le droit à l'euthanasie. Le contexte émotionnellement dramatique de telle ou telle affaire qui bouleverse nos concitoyens leur donne l'occasion de faire valoir leurs arguments.
Mais ces situations ne sont pas toutes semblables. Et le mot recouvre, dans l'opinion publique, des réalités diverses.
Ce peut être d'abord la mort volontairement donnée au malade incurable par compassion pour ses douleurs au vu de l'impasse thérapeutique à laquelle il est confronté, et sans d'ailleurs qu'il ait toujours donné son consentement à cette issue ultime.
Ce peut être aussi le suicide assisté de celui qui, sans que son pronostic vital soit engagé, souhaite se donner la mort mais ne peut y procéder lui-même.
Ce peut-être encore la non-intervention médicale dans l'intention de laisser faire la nature si le traitement est sans espoir de réelle guérison ou porteur de handicaps trop lourds, notamment pour les nouveau-nés.
Ce peut être enfin l'interruption des soins et traitements du malade lorsque la vie de ce dernier n'est alors plus qu'artificiellement maintenue par des machines dont, en l'état actuel des connaissances médicales, on estime qu'il ne pourrait jamais se priver.
La loi actuelle permet donc, par une approche globale, d'appréhender de façon humaine et structurée les différentes hypothèses selon lesquelles peut se dérouler la fin d'une vie, tout en respectant une vision profondément morale et éthique de notre société.
En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l'interdit de tuer, dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Avec nombre de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cette limite, que je me refuse de voir franchie.
La médecine n'est pas là pour administrer des substances létales. Le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l'on confonde un jour les officines avec une armurerie vendant de quoi tuer. Il n'est pas envisageable de demander aux médecins de trahir leur serment d'Hippocrate et d'imposer aux personnels médicaux de donner la mort.