Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la réflexion contemporaine porte fréquemment sur l'antagonisme entre le désir individuel de liberté, admis comme légitime, et les exigences, parfois jugées dépassées, de notre société.
Le débat, sans cesse relancé, autour de ce qu'on appelle communément l'accompagnement à la mort ou le droit des patients en fin de vie évolue depuis des années, mais reste souvent stérile et occulte complètement l'ensemble des travaux et des rapports d'une grande qualité qui l'ont jalonné.
Personne ici ne l'a oublié : la loi votée le 22 avril 2005 reconnaissait le droit pour les malades d'accéder aux soins palliatifs et en même temps de refuser un traitement. Par ailleurs, l'article 37 du code de déontologie médicale fait obligation au médecin de « s'abstenir de toute obstination déraisonnable » et de « s'efforcer de soulager les souffrances ». Cette loi, qui a fait suite à de nombreux travaux de réflexion, est aujourd'hui applicable, même si elle est encore trop méconnue par beaucoup.
Il n'est donc plus question de polémiquer, mais plutôt d'informer et de communiquer, de sensibiliser le plus grand nombre aux questions que pose la prise en charge de la fin de vie, car, quelles que soient nos références philosophiques, religieuses ou politiques, la vie est, dans les démocraties et dans notre pays, un droit inaliénable et sacré.
Proclamé dans l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le droit à la vie est un principe fondateur de nos sociétés modernes.
Dans la société actuelle, où règne l'apparence, la mort est passée sous silence. Sujet tabou, la fin de vie n'est que très peu abordée dans le cadre intime ou familial. Alors, plutôt que de l'affronter, on se réfugie dans l'occultation, on laisse encore bien souvent le malade, comme l'a dit M. le président de la commission des affaires sociales, sa famille et le corps médical, faire face seuls à des situations douloureuses.
Pourquoi le fait d'accompagner un malade en fin de vie vers une issue que l'on sait fatale pose-t-il encore tant de problèmes à nos consciences ? D'ailleurs, s'agit-il vraiment d'une question de conscience ? Ce malaise ne traduit-il pas davantage la crainte de l'homme moderne de la déchéance provoquée par la maladie, sa peur de mourir ou, pis, la peur du déclin ? La liberté de disposer de son corps serait-elle uniquement réservée aux seuls bien-portants ? Comment, enfin, permettre le respect du droit à l'intégrité physique sans entacher le droit à la vie ?
Offrir des conditions optimales de soins pour, à défaut de guérir, adoucir la souffrance est l'un des nouveaux grands enjeux de la médecine. Il s'agit non d'ôter la vie, en aucun cas, mais de diminuer la durée du passage à un terme inéluctable. Le médecin n'est pas formé, je le crois, pour abréger la vie.
Aujourd'hui, pour un certain nombre d'entre nous, il s'agit bien davantage de rendre la mort plus douce et, paradoxalement, en un certain sens, plus « naturelle ». Le médecin et les personnels soignants doivent rendre sa dignité et sa sérénité à la personne en fin de vie, en se souvenant qu'il s'agit non pas de provoquer la mort intentionnellement, mais de la laisser venir naturellement.
En effet, non seulement l'acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire, mais le fait de l'associer aux soins saperait la confiance des familles envers les soignants.
En 2005, lors de l'examen de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie par notre assemblée, il nous avait semblé nécessaire d'être à la fois modestes et précis : précis dans les mots, dans les réponses et dans les motivations. En effet, l'évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les habitudes et les valeurs communes qui fondent une société et qui soutiennent ses institutions. D'un certain point de vue, il s'agissait alors de reconnaître un contrat entre deux parties égales, le patient et son médecin.
En effet, si 80 % des Français souhaitent, lorsqu'ils sont en bonne santé, que les médecins puissent, le cas échéant, les aider à mourir, cette proportion tombe à 1 % chez les patients en fin de vie.
De tels chiffres montrent toute la prudence qui s'impose pour traiter au mieux le délicat problème de la fin de vie. Quoi qu'il en soit, et aussi tragiques ou dramatiques que soient les situations, il est, me semble-t-il, d'une importance capitale de ne jamais céder à l'émotion. C'est la raison pour laquelle il convient d'entourer de certaines précautions l'expression d'une telle volonté.
Mes chers collègues, si, à la suite de plusieurs autres orateurs, j'insiste volontairement sur la loi adoptée voilà trois ans, c'est parce que celle a constitué un progrès considérable, aujourd'hui admis par la quasi-totalité du corps médical. Ce dispositif a apporté des réponses à ce que, en l'état actuel de nos moeurs et de notre législation, certains vivaient alors comme un calvaire.
Renoncer à l'acharnement thérapeutique, éviter l'obstination déraisonnable, rompre l'isolement du malade en fin de vie, épargner le désarroi à la famille et éviter la culpabilité des personnels soignants, tels étaient les principaux enjeux de ce texte, qui recherchait une solution éthique à l'encadrement juridique de la relation médicale entre le médecin et son malade.
Cette loi, qui reconnaît le droit du patient à refuser tout traitement, est centrée sur la notion de « proportionnalité des soins » et sur le développement de la culture palliative. Elle ne prétend pas répondre à toutes les interrogations ou à tous les cas de figure, car ce qui est supportable pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre, et nul ne vit la douleur de la même manière, nul ne perçoit sa déchéance au travers du même prisme.
Accepter notre condition de mortels tout en refusant la douleur rédemptrice, telle est donc la philosophie qui, je le crois, sous-tend une telle loi. Il s'agit d'un texte équilibré, qui confirme l'interdit de tuer, mais replace le malade au centre du dispositif, en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. Il restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : faire le choix du traitement adapté, informer le malade et son entourage sur les vrais risques de certains médicaments et les conséquences prévisibles de l'interruption des soins, accompagner son patient jusqu'au bout de sa vie sans prendre soi-même l'initiative d'y mettre fin.
En contrepartie, ce texte affirme la reconnaissance des soins palliatifs dans l'accompagnement des pathologies graves, voire incurables. Faire entrer les soins palliatifs dans les services hospitaliers constitue une avancée notable - je dirais même une « révolution culturelle » -, dans la mesure où cette présence traduit l'acceptation des limites de la médecine curative. La loi rappelle chacun à l'humilité, et c'est déjà un grand progrès en soi.
Il est indispensable de confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs. Je pense d'ailleurs moins à la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements qu'à la participation des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie à une telle démarche.
Ainsi, des changements sont intervenus au fil des années, et nous pouvons nous féliciter de l'évolution significative de notre législation. Mais ce mouvement peut-il se poursuivre ? Peut-il aller encore plus loin ?
Le cas douloureux qui a marqué l'actualité au cours de ces dernières semaines - nous l'avons tous en mémoire - doit-il demeurer une exception ? Doit-il, au contraire, amener à une nécessaire évolution de nos mentalités et de nos lois qui irait jusqu'à reconnaître une forme de « droit à la mort » et qui consisterait à conférer un ancrage législatif aux conditions de limitation ou d'arrêt d'un traitement ?
Certes, comme nous l'avons vu depuis le début de ce débat, le sujet est polémique. Mais, quoi qu'il en soit, tout en respectant la dignité du patient, nous devons tenter de trouver sans hypocrisie des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et dramatiques, sachant que nous devons légiférer non pas à partir de cas particuliers, mais en fonction de l'intérêt général.
Aujourd'hui, si la question de l'euthanasie semble dépassée - presque toutes les souffrances peuvent être soulagées -, le terme d'« euthanasie » est souvent employé pour évoquer un autre débat, celui de l'aide au suicide. Dans ce débat, les personnes qui ne supportent plus de vivre et qui demandent à mourir au nom du droit de disposer de leur vie nous renvoient à notre regard sur elles. En effet, le devoir d'une société démocratique et soucieuse de solidarité à l'égard des plus vulnérables est d'abord d'explorer toutes les réponses humaines et sociales susceptibles de confirmer à ces personnes qu'elles ont leur place dans notre monde et que leur dignité n'est pas entamée.
La prudence vis-à-vis des dérives possibles d'une loi, la protection des plus faibles et la protection de la mission du médecin, qui est de soigner, plaident en faveur du refus de légiférer sur le principe d'un suicide assisté, car il y aura toujours - hélas ! - des situations dramatiques et des exceptions.
Un droit à la mort reste contraire aux valeurs de la médecine et aux sources morales de notre démocratie. Quelles que soient les motivations des partisans de la légalisation de l'euthanasie, on ne peut pas admettre que la société assigne aux médecins, aux infirmiers ou à tout autre personnel soignant la tâche de tuer un patient. De même, il ne faut pas que l'administration de la mort soit prévue par la loi. En effet, si le suicide est une liberté, il n'est pas un droit, et il n'a pas vocation à le devenir.
Pour ma part, au regard de l'extrême diversité des situations, je ne suis pas certain qu'il soit opportun de relancer un débat généraliste sur le vote d'une nouvelle loi traitant d'un sujet aussi douloureux et complexe.
En revanche, nous devons insister sur le refus de l'obstination déraisonnable et de l'euthanasie. Tentons de faire preuve du plus de créativité possible pour trouver des solutions aux pires situations. Redéfinissons l'acte d'« accompagner » et de « laisser mourir » un malade en fin de vie sans le comparer à celui de « donner la mort ». Et, avant toute chose, interrogeons-nous sur les raisons pour lesquelles la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reste peu connue et appliquée.
À partir de ce constat, essayons d'adapter de nouvelles formations et apprenons à communiquer davantage. Nous devons, j'en suis convaincu, en prendre conscience, s'il est important de développer les nombreuses actions de sensibilisation et d'information sur les soins palliatifs, il est également fondamental de former les professionnels de santé, les bénévoles et le public sur la législation actuelle, qui tolère un « laisser mourir », et surtout pas une aide à mourir.